Avec la démission de Ter Pétrossian, le Tachnag veut occuper l’avant-scène politique en Arménie Rencontre avec Hagop Pakradouny, responsable des affaires politiques au sein du comité central du parti “Nous avons désormais notre mot à dire et la démocratie sera enfin instaurée en mère-patrie”

La démission le 3 février de M. Levon Ter Pétrossian, président de la République d’Arménie, a produit l’effet d’un séisme dont l’épicentre, bien que se trouvant à Erevan, a secoué la Diaspora tout entière.  
Certes, les observateurs notaient des changements et le malaise était profond en Arménie où le peuple ne voyait venir aucune amélioration à sa condition sociale. L’on devinait les dissensions politiques du chef de l’Etat avec ses alliés les plus proches et, surtout, avec son Premier ministre, M. Robert Kotcharian, ardent défenseur du droit à l’autodétermination du Karabagh qui, déjà au lendemain même de sa nomination à ce titre en 1996, annonçait sa couleur, en affirmant: “qu’il ne démissionnerait pas facilement et que seule une situation extrême le pousserait à prendre une telle décision, par exemple l’absence de soutien du chef de l’Etat...”  
Le Premier ministre démissionnait deux ans plus tard, entraînant avec lui M. Ter Pétrossian.  
Robert Kotcharian lors de la célébration de la fête de l’Indépendance du Karabagh affirmait: “Je ne pense pas que l’Arménie et le Karabagh soient deux identités différentes. Pour moi, il s’agit d’un seul Etat.”  
Tout récemment encore, en visite officielle en France, l’ancien Premier ministre affichait tout haut sa différence avec le président arménien, se démarquant nettement des prises de position de M. Ter Pétrossian qui déclarait: “Si les Serbes de Bosnie avaient souscrit au règlement qu’on leur proposait il y a un an, ils auraient été mieux lotis qu’aujourd’hui et la Kraïna aurait survécu en Croatie...”  
En voulant jouer à fond la carte diplomatique, M. Ter Pétrossian, sous la pression des grandes puissances, ralliait les propositions de l’OSCE co-présidée par la France et l’Amérique dont on connaît les intérêts dans la région de Bakou, se rangeant aux côtés de la Russie et de la France, “exigeait” à son tour une “négociation rapide d’un accord et ceci sans délai au sujet du Karabagh.”  
M. Kotcharian, franchement opposé à des négociations “par étapes” s’insurgeait: “Jamais la population de cette région n’acceptera une subordination quelconque à Bakou...”  
Au Karabagh, le ministre de la Défense en écho à la déclaration de Kotcharian affirmait: “Les Karabaghtzis sont prêts à prendre les armes”, ce  à quoi le président Ter Pétrossian répondait: “Pour faire capituler l’Azerbaïdjan, le Karabagh devrait occuper Bakou... Mais si les Karabaghtzis essaient de prendre ne serait-ce qu’une nouvelle région azérie, la communauté internationale s’y opposerait... Il existe une limite à ne pas franchir.”  

AU LENDEMAIN MÊME DE LA DÉMISSION  
DU PRÉSIDENT, LE BUREAU TACHNAG ROUVRE SES PORTES EN ARMÉNIE  
Si l’on revient quelques années plus tôt dans l’histoire, la crise Diaspora-Arménie était au point culminant avec l’expulsion de M. Maroukhian, secrétaire général de la FRA-Tachnagtsoutioun par le président arménien qui laissait éclater au grand jour ses divergences avec ce parti.  
Et depuis, c’est le bras de fer...!  
L’autorité au Pouvoir accuse le parti de financer une organisation terroriste “TRO”, ce que les Tachnags ont toujours réfuté d’ailleurs...  
Les forces de sécurité nationales procèdent à des arrestations des membres de la dite organisation secrète...  
Tous les journaux appartenant au parti ou à l’opposition sont muselés...  
Le Tachnag, écarté de l’Arménie, surenchérit dénonçant les “privatisations à outrance, exige le rééquilibrage politique extérieur avec l’intensification des relations avec l’Iran, la Géorgie, la Russie, dénonce la politique d’ouverture affichée par Ter Pétrossian vis-à-vis de la Turquie, déclarant que “tout effort pour se gagner la Turquie était vain, tant que le gouvernement turc n’aurait pas reconnu sa responsabilité dans le Génocide”.  
Mais voilà qu’au lendemain même de la démission du président arménien, on assiste à un revirement à plus de 180 degrés de l’Arménie vis-à-vis de la FRA-Tachnagtsoutioun qui est à nouveau autorisée à s’établir sur le terrain et à rouvrir ses bureaux...  
On libère les prisonniers politiques...  
Si les Arméniens d’Arménie vivent toujours dans une espèce de coma social, loin des querelles politiciennes, démotivés par l’absence d’un véritable projet politique qui sortirait le pays du marasme, la capitale libanaise est en effervescence...  
On s’active au sein du Tachnag qui dépêche une délégation à Erevan.  
Un “Fonds Karabagh” est lancé... Y aurait-il déjà des bruits de bottes dans la région du Caucase?  
Le Tachnag appuie ouvertement la candidature de l’actuel homme fort sur le terrain, M. Robert Kotcharian, mais est-ce que ce dernier remplit les normes imposées par la Constitution arménienne selon laquelle on ne peut être citoyen de ce pays qu’après 10 ans de résidence?  
M. Kotcharian natif de Stépanakert, est en poste en Arménie depuis peu.  
De quoi rêve le Tachnag?  
“La Revue du Liban” a rencontré le responsable des Affaires politiques au sein du Comité central du parti, M. Hagop Pakradouny qui a répondu à nos questions avec fermeté et un ton qu’il voulait modéré.” 

NOUS N’AVONS JAMAIS QUITTÉ L’ARMÉNIE  
- RDL: - Vous avez quitté très tôt la scène politique en Arménie. Aujourd’hui, vous amorcez un extraordinaire “come back”...  
H.P.: “Comme vous le savez, nous n’avons pas quitté l’Arménie. Nous avons tenu à nous éloi-gner de la mère-patrie, sur ordre du président Ter Pétrossian qui suivait une ligne politique allant presque toujours à l’encontre de notre idéologie... 
“Mais nous nous sommes toujours tenus aux côtés du peuple arménien et comme organisation nous n’avons jamais cessé d’œuvrer au Karabagh.” 
RDL: - Que cache la démission du président et comment est-il arrivé à prendre cette décision?  
H.P.: “Il nous faut remonter à sa réélection... Rappelez-vous des jugements prononcés à son encontre et au sujet de la manière dont s’étaient déroulées ces élections qui, selon des observateurs étrangers, étaient purement et simplement truquées. 
“Mais il serait trop facile de dire, voire simpliste de prétendre que l’unique des raisons de son geste a été due à sa prise de position nuancée sur le Karabagh... 
Il règne en Arménie des conditions de vie déplorables. 
“Les Arméniens sont confrontés à un quotidien difficile tant sur le plan social que sur le plan économique. 
“La démocratie a souffert sous le régime Ter Pétrossian qui cherchait à faire cavalier seul, réussissant ainsi à écarter ses plus proches collaborateurs. 
“Le Tachnag considère que cette démission était nécessaire et aurait souhaité qu’il la présente bien avant que le pays arrive à ce point de dégradation sociale, économique et politique.” 
- RDL: - Mais comment le président aurait-il pu faire face aux décisions prises par l’OSCE? Comment combattre la Russie, les Etats-Unis et la France qui cherchent à occulter le droit à l’autodétermination pour le Haut-Karabagh? Avait-il des moyens que nous ne lui connaissions pas?  
H.P.: “Il existe et il existera toujours dans la vie politique des pressions de toutes formes, des tiraillements... 
“Ceci ne veut absolument pas dire qu’il faut céder, se plier à toutes demandes. 
“Un dirigeant, à condition qu’il jouisse de l’appui de son peuple, peut faire face aux pressions. Ce que Ter Pétrossian n’a pas fait, puisqu’il savait qu’il ne représentait pas le peuple dans sa totalité et que le peuple n’aurait jamais toléré et accepté de faire des concessions. 
“Il y a la volonté du peuple, une idéologie nationale... Le peuple arménien tout au long de sa longue Histoire a donné la preuve qu’il préférait mourir plutôt que de plier la tête... 
“Ce que n’avait jamais compris M. Ter Pétrossian.” 
RDL: - Comment l’Arménie peut-elle prétendre s’insurger et en a-t-elle les moyens? Comment pourrait-elle mener le combat contre Bakou où tant d’intérêts sont en jeu, intérêts qui concernent les superpuissances...  
H.P.: “Vous nous posez une question qui est d’après nous une sorte de constat défaitiste. 
“Comment alors expliquer les révolutions dans le monde... 
“D’autres les ont faites, et pourquoi pas les Arméniens? L’Histoire n’appartient pas qu’aux puissants, mais à tous ceux qui luttent pour leur survie. L’Arménie durant toute son histoire a lutté tour à tour contre les Perses, les Byzantins, les Assyriens... 
“Et voyez aujourd’hui, nous sommes encore là. L’Arménie existe.” 

NON À LA GUERRE  
R.D.L.: - Vous envisagez alors la continuation de l’Etat arménien libre et indépendant au prix versé lors de la création de la Première république en 1918, lorsque l’Arménie a été érigée sur les champs de bataille de Sardarapad. Devrez-vous pour garantir la survie de l’Etat, vous engager sur les champs de bataille du Karabagh...?  
H.P.: “Si vous faites allusion à une guerre éventuelle au Karabagh, nous y sommes opposés. 
“Nous croyons, au contraire, qu’un gouvernement fort en Arménie et la volonté du peuple créeront un tout autre climat, d’autres facteurs entreront alors en jeu...” 
R.D.L.: - Quels seraient ces facteurs...  
H.P.: “Que le pays refuse toute forme de concessions touchant au problème du Karabagh.” 
R.D.L.: - Nous tournons en rond... Voilà que nous arrivons à envisager la reprise des hostilités.  
H.P.: “Pas forcément. Les “statu quo” peuvent changer... 
“Mais chacun sait aussi que le Karabagh est un territoire arménien qui, en 1923, a été séparé sciemment de l’Arménie par Staline pour “l’offrir” à l’Azerbaïdjan.” 
R.D.L.: - Y a-t-il un candidat Tachnag aux prochaines élections présidentielles? On dit aussi que vous appuyez M. Kotcharian. Mais celui-ci selon la Constitution arménienne, n’est pas encore citoyen arménien... Et s’il gagnait les élections, on parle de lui comme étant un homme inflexible...  
H.P.: “Nous appuyons sa candidature. Le Tachnag n’a pas de candidats à ce titre... 
“Vous parlez du droit à la citoyenneté. Je veux souligner là que nul Arménien ne peut alors prétendre qu’il est citoyen de ce pays, puisque l’indépendance de l’Arménie ne date pas de dix ans. M. Ter Pétrossian lui-même ne remplissait pas ces conditions... C’est une loi qui ne peut être appliquée. Chaque personne vivant sur le territoire de l’Arménie ou du Karabagh est citoyen arménien. 
“M. Kotcharian a la réputation de suivre une ligne dure... Peut-être! Mais l’Histoire nous dit aussi que des généraux ont instauré la paix, des personnalités non militaires ont opté pour la guerre... 
“M. Kotcharian est un politicien chevronné. Mais sa priorité sera toujours le Karabagh. Il n’est pas question de mettre en cause l’indépendance de cette partie du monde. 
“Autre priorité: le “corridor” de Latchine reliant le Karabagh à l’Arménie qui doit rester sous l’autorité de cette dernière. 
“Mais il s’agit aussi et avant tout d’instaurer la démocratie en Arménie.” 

POLITIQUE D’OUVERTURE SOUS CERTAINES CONDITIONS...  
R.D.L.: - Votre désaccord était profond au sujet de la politique suivie par M. Ter Pétrossian concernant son ouverture avec la Turquie.  
H.P.: “Le Tachnagtsoutioun a continuellement pris position contre la politique menée par l’ancien président. Ceci a été justement le point de départ de notre mésentente. 
“Nous ne sommes pas contre les relations de bon voisinage, l’Arménie y est géographiquement forcée. 
“Ce que nous ne tolérons pas, ce sont les relations unilatérales... 
“A l’occasion de la mort de Turgut Ozel, le président arménien s’est rendu en Turquie... Ce voyage n’était pas diplomatique, mais était une sorte de concession faite à ce pays... 
“La Turquie lui avait promis l’ouverture des frontières, la levée du blocus et on est toujours au point mort. Nous sommes sûrs, cependant, qu’avec l’élection d’un nouveau président ce problème ne sera pas ignoré. 
“Pour notre part nous prônons une politique d’ouverture avec l’Iran, la Géorgie et, surtout, la Russie qui reste l’alliée naturelle et principale de l’Arménie.” 
R.D.L.: - Mais la Russie a tergiversé en “bradant” en quelque sorte le problème du Karabagh... 
H.P.: “Peut-être. Mais lorsque ce dernier verra qu’il existe en Arménie un gouvernement fort, sa position changera...” 

PAS DE CANDIDAT TACHNAG 
R.D.L.: - On vous a souvent accusé de vouloir former un Etat dans l’Etat; d’être établi en Diaspora et de vouloir gouverner de loin l’Arménie? 
H.P.: “Chaque parti politique vise à arriver au pouvoir; prétendre le contraire serait faux. 
“Chaque parti cherche à concrétiser ses demandes... Ceci ne veut pas dire accéder au pouvoir à tout prix. La preuve la meilleure la voici: Nous n’avons pas de candidat Tachnag aux prochaines élections. Nous n’avons jamais cherché à nous substituer à l’Etat. Notre seule demande est de participer démocratiquement au pouvoir, sans chercher de monopole. 
“Nous sommes la plus forte organisation en Diaspora et pensons, justement, que la Diaspora serait d’une grande aide à l’Arménie. 
“Mais nous croyons, aussi, que les décisions prises en Arménie ne concernent pas uniquement les citoyens arméniens, mais tous les Arméniens où qu’ils soient dans le monde... 
“C’est pourquoi nous voulons participer à la vie politique. Nous avons notre mot à dire.” 
R.D.L.: - L’Arménie est encore une fois au bout du gouffre... 
H.P.: “C’est le “wait and see”... Certains avaient prédit que le départ de Ter Pétrossian entraînerait un bain de sang... Ce qui était totalement faux. Attendons les élections démocratiques. Les observateurs étrangers s’ils sont là, serviront en quelque sorte, à établir le parallèle entre ces élections et celles de M. Ter Pétrossian.” 
R.D.L.: - M. Hariri s’est rendu tout récemment en Azerbaïdjan, en affirmant que le Liban avait là des intérêts à ne pas ignorer...” 
H.P.: “Le voyage de M. Hariri a été très mal perçu par les Arméniens du Liban et de toute la diaspora qui se sont sentis profondément blessés par son geste, lorsqu’à Bakou, il a déposé une gerbe de fleurs sur la tombe du soldat “martyr” tombé au Karabagh... Ce geste a surpris tout un chacun et, d’ailleurs, quels intérêts pourrait bien avoir le Liban en Azerbaïdjan qui traverse actuellement une crise encore plus grave que celle que connaît notre pays? 
“Mais peut-être M. Hariri a ses raisons “privées”, personnelles, dont rien n’a filtré. Il serait intéressant que vous lui posiez personnellement cette question.”   

 


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