Le 20 février, le Conseil de sécurité
de l’ONU a voté, à l’unanimité, une résolution
permettant à l’Irak
d’exporter du pétrole pour 5,2 milliards de dollars
contre 2 milliards en cours.
Bill Clinton
entouré du vice-président Al-Gore, de Madeleine Albright
et de Sandy Burger, annonce le oui conditionnel des Etats-Unis à
l’accord conclu à Bagdad par Kofi Annan.
Les trois
messagers de Clinton à l’université d’Ohio chahutés:
William Cohen, secrétaire à la Défense; Madeleine
Albright, secrétaire d’Etat et Sandy Burger, conseiller à
la sécurité nationale.
Boris Eltsine recevant le ministre japonais des Affaires
étrangères, a estimé que la Russie avait été
à la base de l’accord conclu avec Bagdad.
La peur des armes bactériologiques s’est emparée
du FBI qui a arrêté à Las Vegas deux chercheurs Larry
Wayne Harris et William Leawitt soupçonnés de conserver de
l’anthrax. Leawitt sera relâché par la suite.
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Il y a une
disproportion tragique entre ce qui motive votre refus (“la dignité
et la souveraineté de l’Irak”) et les conséquences de ce
refus”, avait relevé le chef de la diplomatie française Hubert
Védrine, en recevant à Paris son homologue irakien Mohamed
Saïd al-Sahhaf. Comme “il y a une disproportion tragique”, pourrait-on
ajouter, entre la rébellion imputée à Bagdad et les
immenses moyens mobilisés pour la mater.
Ceux qui se considèrent les maîtres de l’univers et se
sont inventé une “petite guerre bien gérée” pour consacrer
leur mainmise sur les richesses du Golfe, ont vite fait d’avouer leurs
limites, aussi bien dans la conquête des sables mouvants du désert
que de leur propre opinion publique qui ne s’en laisse pas compter.
Fallait-il toute cette armada pour ramener à la raison le maître
de Bagdad? 18 navires, 30.000 soldats, 3 porte-avions, 350 avions face
à un irréductible qui détiendrait, selon Bonn, quatre
tonnes d’armes chimiques et biologiques, dont l’armée composée
de 387.500 hommes n’a pas fini de panser ses blessures infligées
par la “Tempête du désert” de janvier 1991 et dont le peuple
ne parvient plus à s’alimenter et se faire soigner.
D’UNE GUERRE À UNE AUTRE
Avec les énormes moyens dont elle disposait: 1.200 avions, 300 bâtiments
de guerre, 8 porte-avions, 1.800 chars d’assaut et plus de 500.000 hommes,
la “Tempête du désert” était parvenue à chasser
l’Irak du Koweït, mais pas Saddam Hussein de Bagdad. Elle avait, alors,
l’appui de 37 pays alliés y compris la majorité des pays
arabes, tandis que “Tonnerre du désert” n’a pu compter que sur le
soutien efficace de la Grande-Bretagne qui a dépêché
dans la région l’un de ses porte-avions. Et dans le meilleur des
cas, les pays rangés sous sa bannière, ne lui ont offert
que l’usage de leurs bases aériennes. De plus, les frais de l’intervention
militaire sont à la charge des Etats-Unis qui ont déjà
déboursé pour les seuls préparatifs un milliard de
dollars.
Des voix discordantes se sont fait entendre dans l’état-major du
Pentagone où l’on reconnaît que les bombardements aériens
programmés pendant quatre jours, 24h sur 24 et ciblés sur
les installations militaires, ne peuvent avoir un impact limité
sur la force de nuisance de Saddam Hussein. Selon un ancien secrétaire
adjoint à la Défense, Richard Perle: “Il n’y a aucune chance,
aucune, qu’une campagne de bombardements aériens, fût-elle
la mieux conçue et la plus impeccablement menée, puisse éliminer
l’arsenal chimique et biologique que Saddam a caché, ni sa capacité
de le reconstituer.”
Certes, les armes depuis 1991 ont été perfectionnées.
Les Tomahawk missiles de croisière tirés à des centaines
de kilomètres depuis une quinzaine de bâtiments de guerre
de l’US navy, ainsi que les bombardiers de la flotte aérienne américaine,
sont aujourd’hui aiguillonnés par satellite. Ils peuvent être
relayés par des bombes de deux tonnes, les “Bunker buster”, en mesure
de pénétrer sur plus de trois mètres les bunkers de
béton irakiens, ainsi que des “Stand-off Weapon” (JSOW) de 500 kilos
chacune, tirés par des chasseurs-bombardiers à partir de
100 kilomètres. On aurait, ainsi, affaire à des bombes dites
“intelligentes”.
En 1991, en 42 jours de bombardements déversant 277.000 tonnes d’obus
sur l’Irak, les Américains et leurs alliés n’avaient pu abattre
Saddam Hussein qui, aussitôt la guerre achevée et l’humiliation
assumée, a reconstitué ses installations militaires. Quel
résultat attendre d’une guerre de moindre intensité, uniquement
aérienne et qui soulève, à l’exception du Koweït
et de Bahrein, l’hostilité du monde arabe?
Certes, 75% d’Américains ont approuvé l’intervention militaire,
mais ils la voudraient beaucoup plus déterminante pour l’avenir
de l’Irak conçu sans Saddam Hussein. Seulement pour avoir la tête
du président irakien, selon une étude du Pentagone de l’été
dernier, il faudrait recourir à plus de 20.000 parachutistes. Opération
à hauts risques que les Américains se refusent d’envisager
étant peu disposés à faire le sacrifice de leurs boys.
Aussi, pour répondre aux jusqu’au-boutistes dans son pays, Madeleine
Albright a-t-elle écrit à ce sujet dans “Newsweek”: “Renverser
Saddam Hussein requiert un engagement beaucoup plus important et présente
un risque beaucoup plus grand pour les vies américaines”. L’objectif
des Américains serait simplement de le “contenir”. Retour donc à
la case départ. La guerre est inefficace, puisqu’elle ne permettra
pas d’éliminer l’arsenal chimique ou bactériologique irakien,
ni Saddam Hussein.
L’UNSCOM MESURÉE AUX BOMBARDIERS
Les experts internationaux s’accordent à souligner, selon les indications
de l’AFP, que “les tentatives de frappes directes ont toutes chances d’être
inopérantes et hasardeuses”. D’après Ian Kemp, rédacteur
en chef du magazine “Jane’s Weekly”, “Les Américains ne peuvent
rien garantir”. “C’est l’inconnue la plus totale, ajoute Nigel Vinson du
Royal United Services Institute for Defence Studies. On n’a jamais attaqué
ce genre de cibles auparavant ni effectué, que l’on sache, de simulations
par ordinateurs.”
Le retour aux inspections de l’Unscom est, en fait, la meilleure solution.
Ceux-ci ont permis, à l’aide de 200 missions déployées
à partir de l’étranger et de leur bureau à Bagdad,
la visite de 300 sites suspects, installé 120 caméras de
surveillance, neutralisé les centres nucléaires, détruit
les lanceurs balistiques, etc... C’est leur retour immédiat, inconditionnel
et illimité qu’exigent les Etats-Unis, ainsi que l’ensemble de la
communauté internationale qui a mandaté à Bagdad le
secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan. Signe encourageant,
celui-ci portait avec lui un cadeau à ses interlocuteurs: l’approbation,
la veille, par les 15 membres du Conseil de sécurité d’une
résolution permettant à l’Irak d’exporter du pétrole
tous les six mois, pour 5,2 milliards de dollars, tandis qu’il était
limité à 2 milliards.
QUELQUES ÉPISODES D’UNE GUERRE ANNONCÉE
Les différents épisodes d’une guerre annoncée, le
formidable déploiement de forces qui l’a accompagnée, les
multiples offensives politiques, diplomatiques, psychologiques, les chassés-croisés
des médiateurs ont fini par réveiller l’Amérique profonde
vers laquelle étaient partis, confiants, les trois messagers clintoniens:
Madeleine Albright, secrétaire d’Etat; William Cohen, secrétaire
à la Défense et Sandy Burger, conseiller à la sécurité
nationale.
Lors du débat télévisé retransmis en direct
et exclusivement par la CNN sur le campus de l’université de Columbus
dans l’Ohio, les contestataires furent nombreux parmi les 6.000 participants
où se retrouvaient côte à côte: étudiants,
militaires, anciens combattants, mères de famille de toutes races
et religions: “Nous ne voulons pas d’une guerre raciste et refusons le
sacrifice des innocents” (le Pentagone annonçait 1.500 morts dans
les rangs irakiens en cas de guerre). Fiasco total pour cette opération
médiatique où la mine déconfite, les trois apôtres
de la guerre sont rentrés chez eux, bredouilles, pour être
confortés le lendemain par cette remarque de Bill Clinton: “Ce qui
s’est passé dans l’Ohio est un débat américain old
fashion.”
Les trois relais présidentiels reprenaient leur offensive avec plus
de succès dans des universités de Columbia en Caroline du
Sud et de Nashville. En revanche, Bill Richardson, ambassadeur des Etats-Unis
auprès de l’ONU, farouche partisan de la guerre, a été
chahuté par les étudiants qu’il était venu rencontrer
à l’université de Minnesota à Minneapolis. Les universités
américaines, terreau de la contestation et de la créativité,
ont, ainsi, mis en doute l’intervention américaine inopérante.
Tandis que des manifestants à Washington invitaient le président
à “réserver ses conquêtes à la Maison-Blanche”.
“No blood for oil”, avaient-ils scandé ailleurs.
Les sondages qui donnaient l’avantage à l’option militaire ne reflètent
pas nécessairement l’opinion publique. L’International Action Center
(IAC) les a fortement contestés et a considéré qu’ils
étaient faussés à la base. Néanmoins, valant
ce qu’ils valent, ces sondages ont indiqué que si trois Américains
sur quatre approuvaient l’intervention militaire, 60% d’entre eux privilégient
la voie diplomatique.
CLINTON: OUI, MAIS À CONDITION QUE...
L’accord signé, le 23 février, au ministère des Affaires
étrangères de Bagdad entre Kofi Annan et Tarek Aziz, vice-Premier
ministre, qui permet un “accès immédiat, inconditionnel et
sans limites” des sites présidentiels à une commission spéciale
d’experts onusiens rejoints par des diplomates, permettra une belle fuite
en avant à Bill Clinton qui a levé inconsidérément
l’étendard de la guerre, vaincu d’avance.
Soumis le 24 février au Conseil de sécurité, l’accord
a reçu un appui de principe de la part du président américain
qui attend de l’examiner attentivement, en maintenant sur le pied de guerre
les forces américaines dans le Golfe. Celles-ci contraindraient
à tout moment Saddam Hussein à appliquer les résolutions
de l’ONU. Avec cet homme si imprévisible, l’Amérique n’a
pas fini d’en découdre.
Soulagement et expectative dans le monde. Satisfaction à Moscou
où Boris Eltsine souligne le rôle majeur joué par la
Russie dans l’élaboration de l’accord. Dans les grandes capitales,
on retient toujours son souffle. La “Machine infernale” grince toujours.
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