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Techno-utopies
et
Cyber-mythes
C’est la première fois depuis le “plantage”
de mon ordinateur portable, que s’impose à moi l’importance grandissante
qu’il revêt dans ma vie de tous les jours. J’étais, comme
un enfant privé de dessert ; pire, tel un adulte privé de
voiture dans un univers où le véhicule est devenu indispensable.
Ou encore, semblable à un ressortissant libanais sans son inséparable
cellulaire. Un cyber-citoyen démuni de cyber-outil, donc de cyber-existence !
Ceci pour introduire le thème de la dépendance de l’homme
envers sa machine, de cet asservissement dont nous devenons victimes de
plein gré et qui, en dépit de ses contraintes, nous facilite
grandement la vie… avant de la monopoliser. Nous connaissons tous les formidables
possibilités positives de l’évolution du Réseau. Mais
les aspects néfastes de cette globalisation sont souvent occultés.
Cyber-“machin…”
Aujourd’hui, tout est Cyber (prononciation au choix ; internationale :
“saibeur” ou française : “sibair”) Qu’est-ce ? C’est la
définition de tout ce que regroupent les nouvelles technologies.
L’équivalent, en vogue il y a quelques années était
le multimédia, puis vinrent les mots : virtuel, interactif, numérique,
3D, online, pour enfin être regroupés sous le terme
générique Cyber, qui englobe toutes ces techniques. Synthétiquement :
tout ce qui a un rapport avec les télécommunications, la
vidéo, la télévision, l’information, l’informatique,
le multimédia, l’Internet ; est Cyber ! L’expression a
depuis été trivialisée, voire exploitée jusqu’à
saturation. Aujourd’hui, on vous vend du Cyber à toutes les sauces.
On vous fourgue de la cyber-pagaille, on vous assène de cyber-guerre,
de cyber-projets et autres cyber-divagations... Le cyber- ras-le-bol, vous
connaissez ? Globalisation Le développement du Net a popularisé
la notion de “village global”. Au-delà de l’aspect bon enfant et
fort pratique de la chose, est-ce bien ce que l’on veut ? Devenir
tous les mêmes êtres, avec les mêmes références
et les mêmes ambitions, portant les mêmes habits, suivant les
mêmes modes, subissant les mêmes problèmes, aspirant
aux mêmes idéaux, admirant les mêmes idoles, ruminant
les mêmes révoltes (sic). En somme, l’uniformisation des esprits :
tout le monde finit par rentrer dans un moule préfabriqué,
prédéfini ; pour être mieux intégrés
à une “politique globale”, parfaitement assujettis aux idéaux
de tel ou tel gouvernement. C’est aussi cela que peut devenir le Net. Il
serait temps d’ouvrir les yeux sans se croire au-dessus de toute manipulation,
parce que nous allons puiser l’information à sa source. Au lieu
d’assister à un développement des émetteurs d’informations,
ce sont les conglomérats qui renforcent leur position dominante
à force de guerres au sommet pour imposer leurs “news”. Le business
de l’info est un marché d’avenir qui se porte bien. Toute nouvelle
technologie connaît son lot de partisans et de détracteurs.
Contrairement aux apparences, je fais partie de la première catégorie.
Mais, passée l’euphorie du tout nouveau tout beau, observons les
choses avec une certaine distanciation. On parle de vote électronique
mais comment plébisciter librement alors que nos connaissances du
monde sont guidées, par des données pré-mâchées ?
Le fast-food du news est un leurre ! Sommes-nous correctement
informés ? Pourquoi se référerait-on perpétuellement
à un média qui véhicule telle image de tel pays ?
Parce qu’il est constamment réactualisé ? L’instantané
est une bonne chose – lorsqu’elle est analysée, pesée, vérifiée.
On a trop souvent pu constater les dérapages de la course à
l’information (démentis poussifs, rectifications après dégâts…)
Le bonheur online, un mirage ?
Là aussi, il convient de relativiser. Pour certains, le bonheur
consiste à être connecté, recevoir et émettre
des informations de par le monde. Mais focaliser ses centres d’intérêts
sur le Net, peut mener vers une déception induite par cette projection
ratée. Le Net peut devenir une formidable thérapie pour des
introvertis qui s’ouvrent au monde et faisant fi des barrières sociales,
se révèlent aux autres. Mais la tromperie du virtuel consiste
à faire croire que le charme restera au moment où la frontière
de l’écran disparaîtra ; qu’il dupe, que l’immersion
– censée être provisoire – devienne totale et non plus partielle,
se prolongeant dans le monde réel. Soyons honnêtes, l’online
simplifiera votre vie, mais il n’est guère question de la changer.
S’il est vrai que, lorsque vous draguez dans le cyberspace, rien
ne vous empêche de “tricher” sur votre physique ou votre âge,
voire votre sexe ; en réalité, la rencontre se fera
“physiquement”. Le bluff peut être maintenu jusqu’à une certaine
limite. Celle de la “real life” – et elle n’est pas prête
d’être révolutionnée. A moins d’avoir recours à
des cyber-chirurgiens. Prudence face au cyber-rêve que veulent nous
vendre des camelots promettant un quotidien meilleur – à défaut
d’un monde – grâce à telle méthode ou tel produit novateur.
Les dupes sont très bien exploités sur le Réseau et
ceci sans aucune vergogne. La méfiance est de rigueur, d’autant
que l’on est parfaitement renseigné sur votre profil… Intimité ?
Nous sommes entrés dans une ère où le fichage est
roi. Où n’importe lequel de vos actes sociaux, d’achat, de déplacement,
est trié, répertorié, classé par catégorie,
pour enfin être accédé en quelques secondes. Cette
traque est de surcroît plus simple sur Internet et autrement plus
effroyable. Les paranos de l’incognito sont légions, à juste
titre : on peut se considérer en permanence sur écoute.
Le Net est une formidable arme pour les libertés. Certes, mais encore
faut-il être en mesure de les protéger. Une des utopies consiste
à croire que vous naviguez librement ; s’il est vrai que l’internaute
se déplace sans contraintes, il n’en est pas de même pour
son itinéraire – pisté. Au train où vont les choses,
il y a crainte pour la vie privée. Sur Internet, on vous connaît !
Pas ou peu d’anonymat, à moins que vous ne preniez la peine de surfer
en conséquence (www.anonymizer.com),
cryptiez vos données et autres e-mails (www.pgp.com)
– pratique actuellement prohibée dans certains pays – ou mieux,
revêtiez une autre identité (www.hotmail.com).
Ces parades étant pour le moins inconfortables, vos pérégrinations
laisseront des traces, façon Petit Poucet… Il n’est nullement question
de créer des phobies, mais bien de prévenir des aléas
de toute nouvelle technologie dont les finesses – souvent dissimulées
– servent à des fins pas toujours innocentes (mailings, stratégies
marketing, publicités…) Il est de fait, possible de savoir quels
sites vous avez visités, pendant combien de temps et même
quelles pages vous avez lues… Big Brother n’est jamais loin.
Communiquer, est-ce s’enfermer ?
Les nombreux freins qui empêchaient l’accès au Réseau
(coût du matériel, contenu licencieux), tendent à s’estomper
face aux avantages grandissants : économie à long terme
(e-mail, téléphonie), large accès à la culture…
Internet n’a rien d’effrayant, mais le danger consiste à tomber
dans l’excès inverse : l’individualisme informatique. A force
de s’ouvrir au reste du monde, on se ferme à ses proches. Cette
sorte d’auto-suffisance entre Homme et ordinateur pousse vers la réclusion
électronique. Seul devant l’écran, le meilleur ami de l’homme
n’est plus le chien (sauf s’il s’agit d’un simulateur canin), mais la machine.
Signe des temps : deux personnes déjeunant ensemble où
l’une d’elles passe les trois quarts de son temps au téléphone.
Pire, lorsque les deux ont leur portable et dialoguent séparément...
La proximité crée la distance. A trop aimer les objets, on
néglige les vivants. C’est cela, la principale crainte des sociologues
et l’effet pervers du progrès. L’inanimé ne doit pas prendre
l’avantage sur l’Homme. Ailleurs, dans “Les Ailes du Désir” où
le réalisateur Wim Wenders – témoin de son époque
– insiste sur cette envie qui démange d’établir un contact
alors qu’on est si proche… “Si loin si proche”, justement. La technologie
rapproche le monde mais éloigne les voisins. La distance créant
l’excitation, on cherche à discuter avec un étranger situé
à des milliers de kilomètres, alors qu’on ne salue guère
son voisin de palier ou le marchand au coin de la rue. L’ordinateur fait-il
de nous des reclus ? Des ermites de cette société de
l’“incommunication” ? A quoi ressemblera votre cellulaire dans quelques
années ? Il intégrera un écran couleur qui permettra
de voir ses correspondants ou de regarder un film… sans se préoccuper
de ce qui se passe autour… fichu isolationnisme !
Paradoxes
On parle de protéger sa vie privée mais certains cherchent
l’ostentation. Le succès des pages personnelles est en lien étroit
avec le changement de mentalités auquel nous assistons : exhibitionnisme,
volonté de se montrer, de paraître, qui se traduit par un
excès du soi, quasi-égocentrique. Toujours est-il que les
Webcams allumées en permanence, révélant de manière
presque impudique la vie privée de leurs possesseurs en mal d’exposition
(www.boudoir.org), font le bonheur
des mateurs. Autre contresens du Net : d’un principe de gratuité,
on est passé à une implacable logique commerciale ; la société
de consommation a investi le Réseau. L’inéluctable loi du
marché serait-elle la seule issue de survie du premier médium
livré au peuple ? Les commerçants du Web veulent imposer
une vision en WYSIWYG (what you see is what you get) de la vie en
général. Le Net est devenu un produit de la pub : “trouvez
tout sur le Net”, “faites ceci grâce à Internet”. On trouve
certes de tout sur Internet, mais la vraie vie reste ailleurs. L’intérêt
des commerçants et des nouveaux métiers en ligne à
tout recentrer vers le Net est évident et presque légitime :
leur survie dépend de votre temps de connexion et de vos taux de
consommation.
Action
Les utilisateurs d’Internet sont actifs, à l’inverse de la télévision,
trop coûteuse pour s’y lancer et où le spectateur demeure
passif. Avec le Net, on touche toute la planète avec un investissement
sommaire. La désertion de la télé par la population
des internautes, traduit bien un manque et un scepticisme quant au contenu.
L’information télévisée est volatile ; une revue
ou un fichier informatique sont plus simples d’accès. La richesse
du Réseau des réseaux est sa décentralisation ; il
n’appartient à personne – pour l’instant –, donc à tout le
monde et c’est là sa force. Nul ne peut prédire l’avenir
du Web, mais l’idée d’un média pollué, souillé
et exploité commercialement jusqu’au sang comme c’est le cas de
la télévision n’est pas réjouissante. Une adresse
e-mail n’est qu’un visa ; pour exister dans le cyberspace, il est
nécessaire d’avoir une consistance dans le monde réel. Nous-mêmes,
sommes conscients que la vie online n’est pas la vraie, mais les
enfants qui naîtront, une souris à la main, auront le plus
grand mal à distinguer le tangible du latent, puisque leur réalité
est le cyberespace. Le Net est un plus, qui doit s’ajouter, concrétiser
un rêve virtuel sans déposséder le réel de son
apanage : le palpable. Car le jour où les univers virtuels
tendront à remplacer le nôtre, il y aura de quoi s’inquiéter
quant au devenir de l’humanité et la qualité de la vie dans
le monde réel…
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