Dans
ce climat chaotique, le président Boris Eltsine mène une
guerre à outrance contre la Douma (chambre basse du Parlement) qui
conteste la nomination de Sergueï Kirienko, un jeune technocrate libéral
inconnu, au poste de Premier ministre après le limogeage du Cabinet
présidé par son vieil ami Victor Tchernomyrdine. Pour la
Douma, Sergueï Kirienko, ne passera pas. Pour Boris Elstine, le temps
presse. Si la confirmation du nouveau Premier ministre ne se fait pas au
premier tour, ni au second, ni au troisième comme prévu dans
la Constitution, le temps du chantage est révolu. La Douma sera
dissoute. Pour le chef du Kremlin, la Russie est en mauvaise posture dans
tous les domaines et à tous les niveaux. Il est grand temps de la
remettre sur rails. L’heure du développement économico-social
a sonné. Le président russe a choisi le moment de la visite
du patron du Fonds monétaire international pour effectuer ce remue-ménage
et renforcer l’étau sur le Parlement pour qu’il adopte un “budget
réaliste” obéissant aux codes internationaux et licencie
le gouvernement qui s’est avéré incapable de mener le pays
à bon port.
Telles sont les motivations principales de ce rebondissement dans la
lutte pour le pouvoir dans un pays où tout est délabré,
où mafias et détracteurs font la loi, un crime contre un
grand peuple en déprime, après soixante-quinze ans de régime
totalitaire, déficitaire, en quête d’une paix civile, de prospérité,
de justice sociale, prêt à affronter les défis d’un
millénaire intraitable à l’égard des retardataires,
peu soucieux des luttes pour le pouvoir, plutôt de son bien-être
et de son avenir et surtout et aussi de son rôle prééminent
dans le concert des nations, dans une planète en perpétuelle
mutation.
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Certes, dans la Russie post-communiste, les menaces de démembrement
de la Fédération s’affirment de plus en plus. Les guerres
du Caucase continuent de faire rage. Le spectre d’une révolution
généralisée frappe à la porte. L’épreuve
de force entre les divers centres du pouvoir compromet sérieusement
toute chance de s’attaquer aux problèmes embarrassants d’une société
ravagée par de graves inégalités, par des mafias de
tous genres qui refont surface au fil des jours. Une société
envahie par la misère et la délinquance rampante, d’une génération
en perte d’identité, en quête de repères, où
l’économie est balayée à une vitesse foudroyante,
par une inflation galopante et incontournable qui atteint le taux paroxystique
de 3000% et au-delà.
***
D’autre part, la Fédération de Russie a mis plus d’un
an à digérer la campagne présidentielle de 1996, elle
en mettra autant pour digérer la prochaine, prévue pour fin
98. Elle a appris à vivre avec un Boris Eltsine malade et intraitable,
avec ses bavures diplomatiques et ses écarts de comportement et
leurs revers. Néanmoins, les institutions semblent mieux résister
que prévu à ce qui aurait pu conduire à un dangereux
vide de pouvoir.
En fait, l’actuel paradoxe qui prévaut en Russie, est que la
présidence est forte en dépit d’un président affaibli.
En cas de maladie, l’appareil étatique est pris en charge par un
petit cercle, qui permet, autant que faire se peut, le bon fonctionnement
des institutions.
Boris Eltsine a bien saisi que la Russie avait changé entre
son premier et second mandats. Désormais, le défi consiste
à intégrer les forces issues de la démocratisation,
alors que la vie politique, demeure un jeu entre élites formées
par les organisations gouvernementales, les chefs d’une oligarchie disposant
de liens privilégiés avec le Kremlin et les médias.
Complexité qui exige du président Eltsine un sens de l’organisation,
dont il est, malheureusement, dépourvu et d’un certain talent de
négociation qu’il déteste. Ce qui fait du système
de gouvernement, un mélange bizarre de convictions démocratiques
et de pratiques autocratiques.
En automne 97, Boris Eltsine modifie ses rapports avec les institutions
élues, ayant compris que ses vieilles méthodes de diviser
l’opposition, d’opposer les députés de la Douma aux sénateurs,
ne lui permettaient plus d’arracher le vote du budget. A l’occasion du
80ème anniversaire de la révolution d’Octobre, Boris Eltsine
prône la réconciliation et la coopération pour le redressement
d’une Russie défaillante à bien des égards. En décembre
dernier, il réunit autour d’une table ronde un groupe de quatre
grands (président, Premier ministre, présidents des deux
Chambres) pour débattre des questions les plus sensibles affectant
la société russe et trouver un compromis à chacune
d’elles. Dans son discours de fin d’année, il a sévèrement
critiqué “le remplacement des slogans productivistes” par les “slogans
du marché”. Ce virage de 180Þ a été suivi par
une décision déterminante prise en janvier 98, de faire du
Premier ministre un homme à pleins pouvoirs, jusqu’alors, n’étant
que l’exécutant docile d’une politique élaborée par
l’administration présidentielle dont les départements doublonnent
les ministères et divers conseils (sécurité, défense,
comités d’Etat, douanes, etc.) et dont les membres sont nommés
par décret présidentiel.
Le régime présidentiel en vigueur ne fait qu’entraver
la bonne marche des institutions. La récente décision de
limoger son fidèle allié Victor Tchernomyrdine depuis 1992
et de le remplacer par un quasi-inconnu de 35 ans, le ministre du Pétrole
sortant Sergueï Kirienko, a fait l’effet d’une bombe à Moscou,
un coup de poker. Cependant, Boris Eltsine a peu de prise sur ce qui constitue
le handicap permanent de la démocratie russe nouvellement arborée:
l’absence de véritables partis politiques. Ce manque se traduit
par un gouvernement constitué de représentants de partis
qui totalisent moins de 10% de l’électorat et un Parlement dont
les députés se comptent en groupes de pression. Ainsi en
ce début de 1998, la Douma cherche-t-elle toujours sa place sur
l’échiquier politique, handicapée par sa désorganisation,
l’infrastructure, experts, bibliothèques, etc., un climat anti-parlementaire
entretenu par le président et ses membres. La seconde Chambre, le
conseil de la Fédération de Russie, souffre peut-être
moins d’absence de partis politiques que la Douma, mais le désordre
est presque le même.
Les Fonds de l’Etat sont aussi bien gérés que les autres
départements. Le décret présidentiel de mai 97 remet
un peu d’ordre en distribuant par appel d’offres le droit de gérer
les Finances publiques, mais le président Eltsine n’a pu appliquer
aux financiers la politique “divide et impera” qu’il utilise aussi bien
en politique qu’ailleurs.
***
Que se passe-t-il donc dans la Russie de Boris Eltsine? Epreuve de force,
combat d’ours polaires, déficit de légitimité, échecs
des réformes, triomphe des mafias, ou tout à la fois?
L’opinion inquiète s’interroge: Boris Eltsine dont on ne cesse
de rattraper les impairs et les gaffes, est-il encore en mesure de gouverner
un si vaste empire?
A en croire Andrée Rietioveski de l’Institut d’études
stratégiques, “toutes les images que nous voyons de lui sont déprimantes.
Il n’est ni rationnel, ni adapté aux situations”.
Seule une solution de compromis éviterait une nouvelle vague
léniniste-marxiste qui, le cas échéant, serait plus
désastreuse que celle de 1917 et emporterait toutes les chances
de paix en Russie, face à l’inconnu.
C’est d’un changement radical, d’une unité, d’une solidarité
à toute épreuve que la Russie a besoin, celle des grandes
certitudes qui détermineraient le sort de grands pays. Le contraire
serait un suicide. Dieu préserve la Russie de toute aliénation
fatale à tous points de vue. Boris Eltsine devrait en être
fort conscient. Il devrait se retirer avant que le malheur n’arrive. “Dans
une politique de casino, on spécule évidemment sur tout,
même sur l’avenir d’un pays, quitte à jouer les apprentis-sorciers.” |
“Jamais la voie n’a été aussi dégagée
et aussi attrayante. A l’orée du troisième millénaire,
les Etats-Unis jouent un rôle éminent dans le développement
de la planète et du prochain chapitre de l’histoire de l’Afrique.
Son engagement s’avère impératif et favorise les intérêts
de l’Amérique.”
Sandy Berger
(Conseiller présidentiel pour la Sécurité nationale)
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