LE DESSUS ET LES DESSOUS DU PANIER |
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Ce
n’était pas un poisson d’avril. Dès le lever du jour, ils
se sont retrouvés l’électricité coupée et le
sifflet aussi. Qui l’eut cru? pas moi, en tout cas. Pourtant, l’expérience
est là pour nous rappeler qu’avec le ministre Hobeika, il ne faut
douter de rien.
Combien sont ceux, comme moi, qui croient aujourd’hui rêver? Couper l’électricité aux seigneurs de la terre est, à la fois, incroyable et gratifiant. C’est, au Liban, une grande première dont il faudrait faire une fête nationale chômée et carillonnée. Le ministre Hobeika avait déjà brandi la menace, mais personne ne l’avait cru. Il avait déclaré, du haut de la tribune du parlement, qu’il couperait le courant à ceux qui n’acquitteraient pas leurs factures et ce, après plusieurs sommations. Et il l’a fait. C’est d’autant plus stupéfiant qu’il ne s’agit pas de pauvres diables, comme vous et moi, mais des coqs en pâte de la nomenklatura. Un véritable tableau d’honneur: les ministères, les administrations et les institutions publiques, les services autonomes, les quartiers généraux de tels ou tels uniformes (il y en a tellement au Liban), les casernes, une brochette de ministres à titre officiel ou individuel, une collection de députés, de directeurs généraux et autres hauts fonctionnaires et j’en oublie... et j’en passe... En résumé - M. Elie Hobeika dixit - tout ce beau monde a accumulé des factures impayées d’un montant de 61 milliards de livres libanaises ou 40 millions de dollars. Cet énorme trou à combler explique pourquoi, lorsque nous recevons, vous et moi, nos factures, nous ratons de peu l’infarctus du myocarde. Il en a toujours été ainsi dans cette république de goinfres en tout genre. L’on se rabat sur la piétaille, les traîne-misère, les sans-grade, le menu fretin, quoi. On leur gonfle, surgonfle, regonfle leurs factures jusqu’à les réduire à la lampe à pétrole (que M. Sanioura veut d’ailleurs majorer) et s’il leur arrive de se hasarder à protester, on leur enjoint de la fermer. En fait, vu le harcèlement énergético-financier auquel nous sommes soumis et si nous devons absolument fermer quelque chose, nous préférons commencer par nos compteurs, quittes à revenir à l’époque du silex. Le ministre Hobeika serait-il en mesure de changer la donne? A propos de changer, voilà les responsables de la circulation qui semblent soudain pris d’un zèle ravageur. Là aussi, on a donné du poing sur la table. Mais quand Hobeika donne du poing, c’est un coup, quand les types de la circulation le font, c’est du bruit. Nous avons vu récemment à la télévision, un général de brigade, responsable de la circulation, nous annoncer les réformes drastiques décrétées pour mettre les automobilistes au pas. En faisant quoi, général? En majorant les amendes à payer, lesquelles amendes passent du simple au quadruple, avec suspension du permis de conduire et confiscation de la voiture. Bravo! Nous aimerions seulement savoir qui sont ces gibiers de contraventions qu’on se propose de traquer, à part vous et moi. Ce n’est pas là un plaidoyer en faveur de ce genre de quadrupèdes. Nous savons tous que les automobilistes libanais ne sont pas des modèles de civisme. Nous savons que lâchés sur les routes, ils se transforment rapidement (c’est le cas de le dire) en dangereux anarchistes, écraseurs et embouteilleurs par tempérament et par vocation. Qu’on les sanctionne, c’est juste et c’est bien fait. Mais et les autres? Quels autres? Comptons ensemble: 128 députés à trois voitures plaque bleue par tête de pipe. Les voitures de fonction des présidents, celles de leurs cortèges, de leurs épouses, descendants et collatéraux, de leurs employés, des proches de leurs proches. Celles des ministres, de leurs escortes, de leur progéniture, des hauts fonctionnaires, du corps diplomatique - avec sirènes et mitraillettes à l’appui - des C.C. (ou corps consulaire honoraire), qui ne représentent réellement qu’eux-mêmes et ne jouissent d’aucune immunité diplomatique, même si M. Farès Bouez en a décidé autrement. Il y a les véhicules des forces armées, militaires, FSI, sûreté générale, sécurité d’Etat. Il y a, aussi, les copains du copain du chauffeur d’un zaïm local, les informateurs zélés et pressés d’un service de renseignement. Le gratin, quoi. Et toute cette élite frémit, trépigne, caracole sur quatre roues, embouteille, écrase, occupe toute la largeur de la chaussée, prend des sens interdits, arrête la circulation en priorité absolue, stationne sur les trottoirs, bouche les issues des garages, boucle la porte des hôpitaux, barre l’entrée des urgences, parque en double et triple files... Lequel de vos agents, général, oserait-il leur dresser contravention? La voiture duquel confisquerez-vous et le permis de qui retirerez-vous? Si vous voulez que vos amendes, lourdement lestées, aient valeur d’exemple, commencez par pénaliser les grosses pointures, les Rambos et les Terminators de la route. Sinon, eh! bien un dernier conseil, mettez le ministre Hobeika à la circulation. |