LE SCANDALE DES PRISONS |
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L’un
des bons ou des mauvais côtés d’un environnement familier
est qu’il finit par devenir invisible. Cela conforte, d’ailleurs, l’absence
de conscience chez nos responsables. Tout simplement, Roumié, on
ne la voyait plus.
Nous ne sommes pas blancs comme neige non plus. Ne nous donnons pas benoîtement l’abso-lution. Pour nous, Roumié était de-venue un mot du vocabulaire courant, un mot synonyme de prison. Et quelle prison! Du moins dans notre ima-gination. Une prison cinq étoiles, sorte de grand complexe moderne qui avait remplacé les Sablons de sinistre mé-moire. Un point, c’est tout. On le pro-nonçait sans y penser et on passait outre. Mais personne, du moins dans le public, ne savait ce qui s’y passait; ni le gouvernement non plus, à en croire les ministères concernés, celui de l’Intérieur et celui de la Justice. Et ce qui s’y passait, ce qui s’y passe, est inavouable et déshonorant pour tout responsable qui se respecte. Mais combien sont-ils ceux qui se respectent?! Cela explique - justifie même - la récente mutinerie qui a failli tourner à la tragédie. Voilà donc une prison, conçue à l’origine pour loger 1.000 détenus, où l’on a enfourné comme du bétail plus de 3.000 prisonniers en vrac: les meurtriers avec les voleurs à la tire, les violeurs avec les jeunes délinquants, les dealers avec les petits escrocs à la semaine, les dangereux récidivistes avec des novices... Le tout dans des cellules malpropres, surpeuplées à 15 dans une cellule prévue pour 5 et une nourriture infecte. Quant aux sanitaires, elles n’ont pas de l’eau courante et les relents qui s’en dégagent mettraient en fuite la plus coriace des hyènes. En outre, il n’est pas permis aux pensionnaires de sortir dans la cour pour une promenade hygiénique quotidienne. Ils n’y ont droit que deux fois par semaine. Raison donnée: la gendarmerie ne possède pas assez d’effectifs pour les surveiller. Sans compter les diverses formes de tortures, devenues simple pratique de routine. Une autre raison - parmi tant d’autres - qui a poussé à la mutinerie, l’amnistie générale, votée par le parlement, en faveur des héros de la drogue. Ainsi, un petit chapardeur minus est maintenu en détention pour une durée indéter-minée, alors qu’un salopard, qui fourgue héroïne, crack, ecstasy et autres LSD, est gracié, quelle que soit l’ampleur des ravages qu’il sème avec préméditation. Même un assassin est plus absolvable qu’un dealer. L’assassin, lui, travaille au détail, tandis que le dealer et ses commanditaires opèrent en masse. Mais il faut dire que ces marchands de mort, dont les quartiers de noblesse remontent au cartel de Medellin, sont riches à millions et savent se montrer généreux avec ceux qui leur rendent service. Sont encore maintenus en état d’arrestation - à Roumié - des suspects non encore jugés. Ils y croupissent depuis des mois, voire des années sans être déférés devant un juge d’instruction, ni même devant le Parquet. Autre raison invoquée: la république manque de magistrats. En fait, magistrats ou pas, on les a tout simplement oubliés, les responsables étant fort occupés à se crêper le chignon, pour aller ensuite pleurer dans le gilet de tonton Khaddam qui les renvoie à leurs billes, avec régulièrement une distribution - méritée - de bonnets d’âne. Il arrive souvent - pour ne pas dire presque toujours - que ces suspects fassent un temps de prison bien plus long que celui, pour lequel ils seront finalement condamnés. Il arrive, aussi, que certains d’entre eux soient acquittés. Dans ce cas, qui les dédommagera du préjudice qu’ils ont subi du fait d’une incarcération préventive inter-minable dans des conditions particulièrement ignobles? Dans les démocraties civilisées - que nous prétendons singer - il y a ce que l’on appelle l’habeas corpus. C’est une loi anglaise, votée en 1679 (au XVIIème siècle, déjà!), sous Charles II Stuart, qui garantit la liberté individuelle et protège contre les arrestations arbitraires. Ainsi, un suspect ne peut être maintenu en état d’arrestation plus de 48 heures ou trois jours selon les pays. A l’issue de ce laps de temps, la police doit soit le relâcher, soit le déférer devant le magistrat instructeur. Il est, également, admis que, même officiellement inculpé, il soit remis en liberté sous caution. Nos dirigeants feraient mieux de jeter un regard responsable sur nos prisons, avant de pousser l’outrecuidance jusqu’à prétendre édifier la “Cité du Futur”. Ils devraient, surtout, savoir que pour entrer de plain-pied dans le troisième millénaire, il faudrait commencer par sortir du Moyen Age. |