MOUNA HRAOUI
PATRIMOINE, UNE MEMOIRE RETROUVEE

 
“Les pays qui n’ont pas de légendes risquent de mourir de froid”. De même que les pays qui n’ont pas de mémoire risquent de manquer leur futur. Une mémoire retrouvée, c’est tout ce que l’histoire et la géographie, le labeur et l’imagination des hommes ont accumulé sur des millénaires dans une nature recréée et que condense, de la base au sommet, une nation. 
Mouna Hraoui à Evelyne Perucic-Massoud: “Si vous préservez le patrimoine, vous préservez votre pays.” 
“Le Bon Dieu nous a donné une intelligence pour réfléchir et un cœur pour sentir.". 
  
“Il faut accepter le réel, donner à chaque minute son droit.” 
 
LA FONDATION NATIONALE 
DU PATRIMOINE
Membres fondateurs
La Première Dame Mouna Hraoui (présidente);
Ghassan Tuéni (vice-président);
Assaad Diab, recteur de l’Université libanaise (secrétaire général);
Raymond Audi (trésorier);
Michel Eddé, ministre;
Marwan Hamadé;
Bahia Hariri;
Georges Zouein;
Amine Bizri (représentant 
auprès du gouvernement).
Membres
May Arida;
Camille Asmar, directeur général 
des Antiquités;
Leila Badre, conservateur-Musée AUB;
Hareth Boustany;
Myrna Boustany;
Lady Yvonne Cochrane;
Nina Jidéjian;
Adnan Kassar;
Nadine Kettaneh Farah;
Pierre el-Khoury;
Dr Loutfallah Melki 
(conservateur du Musée Sursock).
 
Mais quand une nation sort exsangue d’une guerre qui lui laisse d’immenses plaies à panser, ses priorités vont forcément ailleurs. Les structures étatiques doivent, alors, être soutenues, renforcées, doublées par une dynamique nouvelle qui supplée aux défaillances de l’ordre préétabli fait bouger les institutions et les hommes. 
C’est un style nouveau que la Fondation nationale du patrimoine a adopté depuis sa création en 1996 “pour préserver le patrimoine national dans tous ses aspects historique, archéologique, culturel, artistique, architectural, naturel, écologique et le développer”, en coopération avec toutes les institutions officielles, notamment le ministère de la Culture et de l’Enseignement supérieur et la Direction générale des Antiquités (DGA), ainsi que les organismes et le monde associatif concernés. 
La Première Libanaise, Mme Elias Hraoui qui se trouve à la tête de cette Fondation, y avait été sensibilisée par Mme Nina Jidéjian et fut invitée à la présider par Ghassan Tuéni. Dès lors, fortement motivée, étant de ceux qui mènent les choses jusqu’au bout, elle a lancé une véritable croisade en vue de l’une des priorités de la Fondation: la réhabilitation du Musée national. Un défi majeur qu’elle est parvenue à relever avec une diversité de compétences, reflet de tout le Liban et un large faisceau de relations allant récolter les dons jusqu’au bout du monde. “Et personne ne m’a refusé une demande sur les plans culturel et social”, assure-t-elle. 

PRESQUE TROIS GÉNÉRATIONS RISQUAIENT DE PASSER À CÔTÉ 
“Le musée étant un condensé de tout le patrimoine du Liban”, il devait être accessible, en premier lieu, aux jeunes, a pensé Mouna Hraoui qui mesurait le risque de voir trois générations passer à côté de ce patrimoine. Le musée leur appartient. Il fallait accélérer sa réhabilitation et le soustraire aux lenteurs administratives. 
En se mettant à l’œuvre, elle n’oubliait pas ceux qui l’avaient précédée, “les Amis du Musée” (présidente Khawla Arslan) qui lui passaient le flambeau (certains faisant, désormais, partie de la Fondation) et qui, dès 1993, s’étaient attelés à une très lourde entreprise: réhabiliter le laboratoire avec des dons de l’étranger, notamment la British Lebanese Friends et les locaux de l’administration en ruines, avec des crédits avancés par la Banque Audi et quelques mécènes. Mais les fonds manquaient pour poursuivre une œuvre d’une telle envergure. 
Aussitôt le vaste mouvement de rénovation intégré, Mouna Hraoui a battu le rappel de ses amis. Un premier donateur s’est manifesté par de grands moyens: “Wafic Saïd avec un don de 100.000 dollars fut le levain qui a fait monter la pâte”. Il a continué en accompagnant les travaux, bourse déliée.”Et puis, relève la présidente, nous partagions tous un même esprit, un même idéal”. Le coup d’envoi des travaux donné, sa pensée allait reconnaissante à feu l’émir Maurice Chéhab secondé par son épouse Olga qui avaient si bien préservé les trésors du musée, ainsi qu’à Camille Asmar, actuellement directeur général des Antiquités. Elle allait, également, à tous ces donateurs dont la liste s’allongeait et qui devaient être inscrits sur les murs intérieurs de l’institution. 
Tandis que le ravalement et la réfection des façades extérieures avaient été assurés par le Conseil de la Reconstruction et du Développement (CDR) à hauteur de 950 millions de L.L. alloués par l’Etat), la DGA détruisait les chapes de béton qui enveloppaient les objets, décapait les murs, procédait au nettoyage des lieux. La Fondation du patrimoine assurait, à l’intérieur, les travaux de réfection: peinture, carrelage, toiture de verre, scénographie (réalisée par l’architecte français Jean-Michel Wilmott) panneaux, d’exposition, le tout entrepris selon un nouveau concept qui supprime l’aspect sinistre et austère que peut revêtir un lieu du passé devenu un centre culturel et éducatif. 
Le 25 novembre dernier, à la suite d’une accélération sans précédent des travaux, le Musée national était inauguré par le président Elias Hraoui. “La nouvelle génération née durant la guerre et qui ne connaissait pas le patrimoine, pouvait désormais, s’y retrouver. “La guerre avait divisé les Libanais. Le Musée les réunifiait”. 

CIBLE ACTUELLE: LE PREMIER ÉTAGE DU MUSÉE  
Forte de ce succès, la Fondation - toujours en collaboration avec la DGA, ne s’arrêtait pas à mi-chemin. 
Certes, les 26 sarcophages anthropoïdes de Sidon (la plus grande collection au monde) étaient, désormais, accessibles au sous-sol à l’admiration du public, 75 grands objets, statues, fresques, stèles, mosaïques, etc... étaient réunis au rez-de-chaussée mais il restait encore beaucoup à faire, notamment au premier étage. C’est là qu’on pourra, en l’espace de cinq mois, si les fonds sont réunis, admirer les trésors de Byblos cachés depuis vingt ans et qui se trouvent en excellent état (“le bronze ayant été déjà traité et l’or ne s’abîme pas”, indique Nina Jidéjian), les trésors de Kamed el-Loz, ceux de Tyr, les bijoux de l’époque arabe. Il restera, ensuite, toutes les mosaïques dont une partie a déjà été réhabilitée. 
“Mais ce n’est pas tout, souligne Mme Hraoui, nous comptons installer l’air conditionné, chaud et froid, selon les saisons, de même que deux ascenseurs, ainsi que des rampes et des chaises roulantes à l’usage des handicapés. Nous voulons contribuer au bonheur de tous nos concitoyens: les handicapés au même titre que les bien portants, sans aucune distinction afin que tous les Libanais puissent apprécier leurs trésors nationaux.” 
A ce niveau, une expérience réussie: une vingtaine d’élèves non-voyants avaient accompagné une classe d’écoliers en visite au musée. Ils ont pu utiliser des gants pour pouvoir toucher les objets. Des expériences similaires pourraient se reproduire afin que, réellement, le musée soit celui de tous les Libanais 

SENSIBILISER, PRÉSERVER, CONSERVER 
La Fondation qui est “une organisation non-gouvernementale à but non lucratif” dispose d’un bureau au ministère de la Culture pour l’étude des dossiers. “Nous travaillons avec toutes les institutions officielles et privées sur un très large éventail allant de la culture à l’environnement. Nous intervenons auprès de l’Etat pour préserver les lieux risquant de perdre leur identité, notamment au niveau des maisons anciennes classées pour résoudre les différends à l’amiable. 
Vaste domaine qui requiert une campagne de sensibilisation et des colloques réguliers. L’un a déjà eu lieu, en décembre, au Bustan. Un autre se tiendra, le 23 avril, à Tripoli. “La journée du patrimoine se propose d’encourager les régions à préserver leur patrimoine. De nombreuses associations y sont déjà engagées. Et nous collaborons avec elles.” 
Selon la Première Libanaise, “le plus important dans le monde, ce sont les individus qui soutiennent l’Etat sur les plans culturel et social.” Et c’est avec les uns et les autres qu’elle travaille en qualité d’épouse du président qui assume des responsabilités. 
Elle soutient le patrimoine parce que “si vous préservez le patrimoine, vous préservez votre pays”. Elle soutient, également, la femme en qualité de présidente du Comité national des femmes formé après la conférence de Pékin à laquelle elle a participé en septembre 1995 et “parce que la promotion de la femme est à la base de celle de la société”. Et elle se consacre à l’enfance pour défendre “son droit à la santé et au bonheur”, après avoir créé en 1993 son projet majeur, le Chronic Care Center. 
“C’est en favorisant la stabilité, la liberté, la culture, en portant une attention particulière à l’enfant et à la femme, aux nouvelles générations que l’on forge une nation. Si la santé de votre enfant est en jeu, si la culture de la femme fait défaut, si votre patrimoine est en péril, tout est fragilisé. L’enfance, la femme, le patrimoine sont liés et nécessaires pour consolider la paix, sauver le pays, reconstruire le Liban et corriger la situation de l’homme.” 
 
 
“J’AIME LES GENS” 
Tant de secteurs, n’est-ce point trop, même pour une présidente aussi active?” J’aime les gens, confie Mouna Hraoui. Quand vous restez proche d’eux, vous écoutez leurs problèmes, vous entrevoyez les solutions et pouvez les secourir. Et, croyez-moi, plus vous travaillez et plus vous donnez. Vous vous habituez au travail et ne pouvez plus rester inactif.” 
Mais tout cela demande plus que de l’énergie, de la constance, de la persévérance, un travail quotidien acharné, ce qui a incité certains de ses collaborateurs à la comparer à un “bulldozer”. “Je résiste, assure-t-elle, parce que je veux être présente et travailler pour mon pays. Si dans ma situation actuelle, je ne fais pas quelque chose pour ma patrie, qui donc le fera? Il faut donner l’exemple. Heureusement que je suis entourée de très bons collaborateurs (scientifiques, économistes, professeurs d’université, avocats, médecins). C’est très important.” 
Mais quand elle quittera la présidence, ne ressentira-t-elle pas un vide dans son existence après s’être tant donnée? “Il y a un temps pour tout et il faudra bien que je m’octroie une certaine période de repos. Mais, je n’abandonnerai pas les diverses associations avec lesquelles j’ai travaillé, bien que mon rôle y sera moins actif. Cependant, le Chronic Care Center est l’œuvre de ma vie. Il m’accompagnera tout au long de mon existence.” 
“Une heure de réflexion tous les jours pour tout réévaluer. C’est indispensable pour moi. Nous allons créer au CCC un centre de recherches sur le diabète infantile en filiation avec l’université de Harvard qui poursuit un programme sur l’environnement affectant cette maladie.” 

LA  LIBERTÉ, LA DÉMOCRATIE ET LE MARIAGE CIVIL 
On ne peut donc pas dire que Mouna Hraoui vit en vase clos. “Je lis, j’entends les nouvelles, je dois écouter les gens pour être à jour... Je n’ai en fait pas une minute à moi. Ma journée, c’est douze heures de course contre la montre. Heureusement que le Bon Dieu m’a donné de la force et qu’il nous a fait don d’une intelligence pour réfléchir et d’un cœur pour sentir.” 
Souhaiterait-elle une prolongation du mandat présidentiel? La réponse est catégorique”. Non pas du tout. Pour moi, c’est carrément non. Ça suffit pour mon mari et pour moi. Neuf ans,  c’est déjà très difficille.” 
Le mariage civil, le président Hraoui en a fait un des objectifs de fin de mandat. Mais il a déchaîné les passions, suscité une controverse envenimée, d’aucuns estimant qu’il attaquait la religion et les prérogatives des hommes de religion; d’autres que le “timing” d’un tel projet était inopportun. “Le président, souligne Mme Hraoui, a défendu le mariage civil parce qu’il y croit. Ce projet est en route depuis un an et ce n’était une surprise pour personne. Le mariage civil ne s’oppose pas à la religion. Malheureusement, il a été présenté comme tel. Je comprends que les hommes de religion le mettent en question. Mais je voudrais qu’ils se demandent pourquoi les gens se rendent à l’étranger pour contracter un mariage civil? S’ils étaient bien traités chez eux et j’en suis convaincue, aucun d’entre eux ne voudrait se marier à l’extérieur de son pays. Hélas! ce sont les femmes qui sont les premières victimes d’une telle situation.” 
 Les gens s’accordent en général à dire chaque chose en son temps. “Oui chaque chose en son temps. Le président défend avec pugnacité le Sud, cause sacrée et le salut du Liban, Ce qui ne l’empêche pas de réclamer le mariage civil. Nous devons progresser dans un Etat moderne et non celui des confessions. Si nous croyons en la liberté et la démocratie, nous ne pouvons pas priver le peuple de sa liberté de mouvement et de mesures  équitables. Certes, le sujet est sensible, mais je demande aux hommes de religion de ne pas accabler les gens.” 

“IL FAUT SE CONTENTER DE CHAQUE MOMENT QUI PASSE” 
Pour changer d’atmosphère, arrêtons-nous au chapitre de l’élégance. Mouna Hraoui en est une véritable incarnation portant si bien des toilettes renouvelées tout au long des jours. “L’élégance est le reflet de la personnalité. Elle est faite de simplicité, de distinction, de netteté et de propreté. J’achète mes toilettes du Liban et de l’étranger et je sais ce qui me convient: le classique chic sans provocation. Et pour garder la ligne, je fais du sport et surveille ma nourriture.” 
Quant à son amour pour les enfants et son émotion face aux malades d’entre eux, il revient de très loin: “J’ai perdu un enfant de un an dix mois. Et jusqu’à présent, quand je vois les enfants du CCC, les larmes me montent aux yeux (et effectivement, en parlant, ses yeux s’embuent de larmes). Ce n’est pas par amour des apparences. Je réagis avec les enfants malades, avec les enfants qui souffrent. J’ai beaucoup souffert dans la vie.” 
Avec le président, elle a une fille, un garçon et six petits-enfants. Ensemble, ils ont  cinq enfants et onze petits-enfants.” Je les considère tous comme mes enfants. Je n’ai pas de problèmes avec eux. Ils me respectent.” 
Une certaine philosophie motive le comportement de la Première Libanaise: “Il faut se contenter de chaque moment qui passe. Si vous vous plaignez, vous n’obtenez rien, vous manquez tout. Il faut accepter le réel, donner à chaque minute son droit. C’est  la vie.” 
Le patrimoine nous a menés loin. Il ne faut pas s’en étonner. Il s’identifie lui-même à la vie. 

 
AU MUSEE NATIONALE
 
Avant-bras couvert  
de bracelets,  
Beyrouth, époque romaine. 
 
 
Sarcophage au navire, Sidon, 
IIème s. av. J.-C. .Reproduction 
de la Direction générale 
des Antiquités. 
 
Tête masculine, 
Tyr, 
1er s. av. J.-C. - 
1er s. ap. J.-C.
 
 
Hygie, Byblos, 
époque romaine.
 
 
 

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