Rafic Ali Ahmed: “Le théâtre traverse
une crise grave.”
Antoine Moultaka: “Le mouvement théâtral
périclite”.
Wassim Tabbarah: “Un retour aux sources s’avère
difficile.”
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1960 est une date
impor-tante au Liban, puis-qu’annonçant le début du mouvement
théâtral mo-derne avec Mounir Abou-Debs, Michel Basbous, Edouard
Boustany et quel-ques autres noms illustres.
Antoine Moultaka soupire en songeant à l’époque
des ateliers dans lesquels ils se réunissaient tous. Il soupire
en pensant au professionnalisme d’antan qui vise, aujourd’hui, un autre
objectif: le gain rapide et facile.
CHANGEMENT NÉGATIF
Bien que ne faisant pas partie de la tradition locale, le théâtre
au Liban a, bien entendu, subi un changement non négligeable à
caractère négatif.
“Définir, en général, est la chose la plus difficile”,
selon Aristote.
Pourtant, pour Wassim Tabbarah, le théâtre est un moyen
de transmettre un message au public.
Antoine Moultaka le privilégie sur tous les autres moyens d’expression,
parce qu’il réunit toutes les activités artistiques. “Le
théâtre, dit-il, c’est l’art de l’acteur, le promoteur d’une
culture, un va-et-vient entre l’homme de théâtre et le public
afin de toucher des vérités enfouies dans l’inconscient de
l’être humain.”
“Je ne suis pas un adepte de l’Art pour l’Art, dit Rafic Ali Ahmed.
Le théâtre doit se centrer sur tout ce qui touche l’homme
ou l’entoure.”
SPECTACLE DE DIVERTISSEMENT
Les représentations d’aujourd’hui respectent-elles l’essentiel
du spectacle artistique?
“A considérer la majorité des pièces, observe
Moultaka, le théâtre a beaucoup perdu de ses véritables
fonctions. Au lieu de permettre un retour vers soi, une réflexion
sur les problèmes humains et, quelquefois, d’aider à leur
solution, il s’investit dans une voie différente, celle du divertissement
d’une nature médiocre.
“Penser et réfléchir sont autant de moyens de divertissement
qui valorisent davantage l’homme dans son existence.”
QUI EST RESPONSABLE DE CETTE DÉGRADATION?
“Le théâtre n’est pas que chansonniers et comédies,
souligne Rafic Ali Ahmed. La guerre de 1975 et ses séquelles sur
les citoyens ne justifient pas ce virement visant, uniquement, le rire,
la légèreté, la rentabilité au plan commercial
et l’exploitation des spectateurs.
“Qui est responsable de cette dégradation? se demande-t-il.
Je ne nierais pas que maints facteurs y ont contribué, à
commencer par la publicité et l’encouragement des vedettes dans
cette voie.
“Des pièces ayant pour toile de fond les mêmes sujets,
appartenant au même genre sont souvent jugées mauvaises.
LE THÉÂTRE EN CRISE
“Le théâtre, affirme-t-il, traverse une crise suite à
la dégradation de la situation économique, politique et sociale.
D’une manière générale, la culture actuelle a tendance
à se confessionnaliser.
“Je m’estime heureux pour la chance que j’ai eue de ne pas avoir été
pris par ce courant et d’avoir pu rester moi-même. Mes thèmes
sérieux provoquent un choc émotionnel et ont comme objectif
de défendre la liberté, la patrie et l’avenir.
“La réalité amère apparaît comme une mise
en garde contre un point d’arrivée très regrettable pour
le danger qu’il présente. Les larmes ou l’effroi ne sont-ils pas
générateurs de joie? Nos émotions confirment
notre existence.
“Pour cela, il me suffisait toujours de me baser sur la sincérité,
la communication avec mes semblables et la spontanéité. Atteindre
les gens nécessite tout un savoir-faire.”
RETOUR IMPOSSIBLE AUX SOURCES
“Différent mais aussi important est l’accessoire essentiel des
chansonniers. Beaucoup plus que le cadre, la tenue ou la musique, le “mot”
prime dans notre théâtre, relève Wassim Tabbarah. Ceci
sans oublier l’art de présenter l’histoire, le texte et le jeu de
l’acteur. C’est là que résident notre succès et notre
secret.
“Un retour aux sources ne serait guère possible pour le moment,
les hommes de théâtre d’avant-guerre bénéficiant
d’un public très restreint.”
“Autre fait à mentionner: la relève est difficile à
entreprendre faute de moyens. Une aide du ministère de la Culture
s’avère indispensable, le théâtre ne pouvant survivre
sans aide. L’Etat doit prendre les dispositions nécessaires afin
de permettre une adaptation des grandes œuvres et un financement des promotions
ou des artistes locaux.
“Les années de guerre, ajoute Tabbarah, n’ont permis aucun progrès
dans ce domaine et j’espère que le théâtre libanais
récupèrera sa place d’antan.”
Citant à titre de référence, le théâtre
égyptien, il compte sur les générations futures, leur
volonté d’innovation, d’originalité et de variété
“pour combattre la stagnation.”
Moultaka appelle les jeunes diplômés “à trouver
une identité au théâtre national, puisque le but essentiel
n’est pas d’imiter, mais de créer, en tenant compte du goût
et des besoins de notre société.”
Il termine par cette réflexion d’un poète syrien: “Je
ne voudrais pas mourir avant de voir Beyrouth, ville de la culture et le
Paris du Proche-Orient sur le plan artistique.”
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