Un
vrai diagnostic s’appliquant formellement au Liban, qui a la réputation
d’un pays politiquement, économiquement et socialement malade et
ne prévoit les grands malheurs, que lorsqu’ils surgissent, croyant
qu’il peut les guérir à coups de petites recettes anodines.
Tout ce qui vient d’arriver était parfaitement prévisible.
Les mises en garde que nous adressons aux responsables ne se comptent plus.
Elles sont là sous nos yeux et les leurs. Comme s’ils étaient
frappés d’amnésie. Il semble que nous vivons dans un pays
qui refuse de regarder l’avenir et ne fait que se recroqueviller sur lui-même.
Cette passion pour le passé serait légitimée si elle
ne cachait pas des non-dits, si elle ne dissimulait pas des bavures et
des abus contraignants à tous égards, si elle ne masquait
pas des réalités dangereuses comme celles que nous vivons
actuellement, à l’échelle nationale et régionale.
L’histoire qu’on nous raconte est mystifiée quand il s’agit
d’Israël et la sacro-sainte résistance, alors qu’elle est occultée
quand il s’agit de connivences politicardes, cou-pables de tous nos maux
devenus incurables. C’est lamentable et pourtant vrai.
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Toutefois, il n’est pas dans notre tradition d’engager l’opinion, encore
moins la tribune qui nous est réservée, derrière telle
ou telle politique particulièrement sournoise et préméditée,
quels que soient les thèmes débattus. Néanmoins, le
diagnostic que nous faisons sur la santé du Liban sous la deuxième
république est plus clinique que politique, dépassant les
clivages partisans et les alibis qui, pour notre malheur, durent encore
et nous accablent davantage au quotidien. Si au Liban, il y a fatalité
de différence ou de division, encore faut-il qu’elles se jouent
sur des politiques essentielles dont le Liban a impérativement besoin
et non sur des futilités.
Le Liban dont Dieu a fait une merveille, le Liban de la créativité,
à quoi le réduiront les songe-creux s’ils continuent à
céder à leurs divagations?
N’est-il pas grand temps d’abattre la bête fauve et d’en finir
avec la dualité du pouvoir qui immobilise toutes nos institutions
et nos infrastructures au point de rendre toute réforme impossible?
De rendre à chaque pouvoir l’intégralité de ses attributions,
sans plus? Encore faut-il rappeler pour la millième fois, que la
Première magistrature matraquée au fil des jours, n’est pas
le symbole de l’Exécutif, ni du Législatif, mais le représentant
suprême du Liban et l’unique maître des horloges, à
l’heure de vérité.
Désormais, aucun esprit réfléchi ne se laissera
prendre par les appels fallacieux prodigués à chaque instant
par l’étrange cohorte dont on connaît l’identité, œuvrant
inlassablement pour convaincre les Libanais à se rallier naïvement
à la remorque d’une realpolitik déroutante à tout
point de vue.
***
Toutefois, au Liban, réformes toujours promises, réformes
toujours remises. On vient de vivre l’épopée du mariage civil
qui a fait tant de bruit, pour rien. Le temps perdu demeure chez nous,
comme celui de l’occasion manquée. Le réformisme entendu
comme tel se perd toujours entre le Sérail et la Place de l’Etoile
où gisent tous les projets de loi, pour que longtemps après,
ils ressuscitent, amendés sinon rafistolés. Parallèlement
à ce phénomène de routine, chaque gouvernement publie
son répertoire de réformes pour annoncer quelques jours après
que rien ne se fera de sitôt car rien ne presse.
Les projets herculéens de M. Rafic Hariri resteront-ils eux
aussi au stade des promesses? Il semble que oui.
La politique des petits pas roulant sur un tapis à contre-sens,
serait-elle dès lors, la seule carte à jouer? Le Liban vit
aujourd’hui, l’heure des émeutes pénitencières, ivre
de vertus, il entreprend de nettoyer les écuries. Puisse-t-il sortir
indemne de ce grand remue-ménage sans trop de dégâts.
A en croire les faits, ce sont les bavures et les abus de pouvoir à
répétition qui auraient porté le président
de la République à crier haut et fort, à mettre de
l’ordre dans un Etat délabré, à aborder en profondeur
les problèmes qui affectent la marche des Institutions et les moyens
de sortir de l’immobilisme qui continue à peser sur une République
en plein désordre. Une franche explication entre les trois présidents
devrait prévaloir, une fois au moins, sans l’arbitrage de Damas.
Ainsi, le mal rongeant les Libanais, n’est-il pas dans la persistance
d’une course au pouvoir qui se développe dans la décadence
d’un Etat impuissant, alors qu’on le voudrait vif et fort pour affronter
les défis au dedans et au dehors? Et pour requinquer, d’abord, une
opinion en colère d’avoir tout à la fois perdu l’illusion
des lendemains qui chantent et dans ses files de chômeurs de déplacés,
l’illusion du miracle énonomique désespérément
attendu?
Notre seule cuirasse, face à la délinquance des pouvoirs
publics, c’est l’entente nationale, l’esprit, le style, la valeur de cette
entente fragilisée; c’est la prudente cohabitation de l’Exécutif
et du Législatif, soutenue par un consensus populaire sans faille.
C’est dans cette direction qu’on devrait tout acheminer. Tout le reste
est manœuvres et supercheries; elles font plonger le Liban dans un déversoire
aux odeurs nauséabondes comme celles qui nous suffoquent au quotidien.
Ce qui se mijote actuellement sur la scène politique, c’est
ce fricot de la cohabitation, celui de la carpe et du lapin où deux
pouvoirs s’échineront dans la sournoiserie à consumer l’adversaire,
ni plus, ni moins. Lorsqu’on sait qu’un pouvoir démocratique ne
peut braver la démagogie qu’à l’arraché, on mesure
sa perversité!
Elle accouchera soit d’une crise de régime, soit d’un Exécutif
en flanelle. L’intérêt du Liban commande, évidemment,
d’éviter une telle décadence byzantine. Ce sera pour les
tenants du Pouvoir, affaire de confiance et de crédibilité.
Le Liban se passionne toujours pour ses élites. Ont-elles ou
non failli à leur mission d’éclaireurs? Derrière les
hommes et les programmes, il y a la conscience nationale, le seul rituel
qui s’impose. Plus que de changer de gouvernement, il faudrait à
tous prix l’écouter. Le temps passe, celui des institutions et des
principes, des arrogances et des certitudes. Encore une fois, il faut créer,
en évitant les bavures et les équivoques à répétition.
C’est d’une morale citoyenne à toute épreuve que le Liban
a besoin. |
“Ce n’est pas avec ceux qui ont créé
les problèmes qu’il faut espérer les résoudre.”
(Valéry Giscard d’Estaing
citant Einstein)
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