Chronique


Par JOSE M. LABAKI  

 
POUR UNE NOUVELLE MORALE “CITOYENNE”
Un vrai diagnostic s’appliquant formellement au Liban, qui a la réputation d’un pays politiquement, économiquement et socialement malade et ne prévoit les grands malheurs, que lorsqu’ils surgissent, croyant qu’il peut les guérir à coups de petites recettes anodines. Tout ce qui vient d’arriver était parfaitement prévisible. Les mises en garde que nous adressons aux responsables ne se comptent plus. Elles sont là sous nos yeux et les leurs. Comme s’ils étaient frappés d’amnésie. Il semble que nous vivons dans un pays qui refuse de regarder l’avenir et ne fait que se recroqueviller sur lui-même. Cette passion pour le passé serait légitimée si elle ne cachait pas des non-dits, si elle ne dissimulait pas des bavures et des abus contraignants à tous égards, si elle ne masquait pas des réalités dangereuses comme celles que nous vivons actuellement, à l’échelle nationale et régionale. 
L’histoire qu’on nous raconte est mystifiée quand il s’agit d’Israël et la sacro-sainte résistance, alors qu’elle est occultée quand il s’agit de connivences politicardes, cou-pables de tous nos maux devenus incurables. C’est lamentable et pourtant vrai. 
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Toutefois, il n’est pas dans notre tradition d’engager l’opinion, encore moins la tribune qui nous est réservée, derrière telle ou telle politique particulièrement sournoise et préméditée, quels que soient les thèmes débattus. Néanmoins, le diagnostic que nous faisons sur la santé du Liban sous la deuxième république est plus clinique que politique, dépassant les clivages partisans et les alibis qui, pour notre malheur, durent encore et nous accablent davantage au quotidien. Si au Liban, il y a fatalité de différence ou de division, encore faut-il qu’elles se jouent sur des politiques essentielles dont le Liban a impérativement besoin et non sur des futilités. 
Le Liban dont Dieu a fait une merveille, le Liban de la créativité, à quoi le réduiront les songe-creux s’ils continuent à céder à leurs divagations? 
N’est-il pas grand temps d’abattre la bête fauve et d’en finir avec la dualité du pouvoir qui immobilise toutes nos institutions et nos infrastructures au point de rendre toute réforme impossible? De rendre à chaque pouvoir l’intégralité de ses attributions, sans plus? Encore faut-il rappeler pour la millième fois, que la Première magistrature matraquée au fil des jours, n’est pas le symbole de l’Exécutif, ni du Législatif, mais le représentant suprême du Liban et l’unique maître des horloges, à l’heure de vérité. 
Désormais, aucun esprit réfléchi ne se laissera prendre par les appels fallacieux prodigués à chaque instant par l’étrange cohorte dont on connaît l’identité, œuvrant inlassablement pour convaincre les Libanais à se rallier naïvement à la remorque d’une realpolitik déroutante à tout point de vue. 

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Toutefois, au Liban, réformes toujours promises, réformes toujours remises. On vient de vivre l’épopée du mariage civil qui a fait tant de bruit, pour rien. Le temps perdu demeure chez nous, comme celui de l’occasion manquée. Le réformisme entendu comme tel se perd toujours entre le Sérail et la Place de l’Etoile où gisent tous les projets de loi, pour que longtemps après, ils ressuscitent, amendés sinon rafistolés. Parallèlement à ce phénomène de routine, chaque gouvernement publie son répertoire de réformes pour annoncer quelques jours après que rien ne se fera de sitôt car rien ne presse. 
Les projets herculéens de M. Rafic Hariri resteront-ils eux aussi au stade des promesses? Il semble que oui. 
La politique des petits pas roulant sur un tapis à contre-sens, serait-elle dès lors, la seule carte à jouer? Le Liban vit aujourd’hui, l’heure des émeutes pénitencières, ivre de vertus, il entreprend de nettoyer les écuries. Puisse-t-il sortir indemne de ce grand remue-ménage sans trop de dégâts. A en croire les faits, ce sont les bavures et les abus de pouvoir à répétition qui auraient porté le président de la République à crier haut et fort, à mettre de l’ordre dans un Etat délabré, à aborder en profondeur les problèmes qui affectent la marche des Institutions et les moyens de sortir de l’immobilisme qui continue à peser sur une République en plein désordre. Une franche explication entre les trois présidents devrait prévaloir, une fois au moins, sans l’arbitrage de Damas. 
Ainsi, le mal rongeant les Libanais, n’est-il pas dans la persistance d’une course au pouvoir qui se développe dans la décadence d’un Etat impuissant, alors qu’on le voudrait vif et fort pour affronter les défis au dedans et au dehors? Et pour requinquer, d’abord, une opinion en colère d’avoir tout à la fois perdu l’illusion des lendemains qui chantent et dans ses files de chômeurs de déplacés, l’illusion du miracle énonomique désespérément attendu? 
Notre seule cuirasse, face à la délinquance des pouvoirs publics, c’est l’entente nationale, l’esprit, le style, la valeur de cette entente fragilisée; c’est la prudente cohabitation de l’Exécutif et du Législatif, soutenue par un consensus populaire sans faille. C’est dans cette direction qu’on devrait tout acheminer. Tout le reste est manœuvres et supercheries; elles font plonger le Liban dans un déversoire aux odeurs nauséabondes comme celles qui nous suffoquent au quotidien. 
Ce qui se mijote actuellement sur la scène politique, c’est ce fricot de la cohabitation, celui de la carpe et du lapin où deux pouvoirs s’échineront dans la sournoiserie à consumer l’adversaire, ni plus, ni moins. Lorsqu’on sait qu’un pouvoir démocratique ne peut braver la démagogie qu’à l’arraché, on mesure sa perversité! 
Elle accouchera soit d’une crise de régime, soit d’un Exécutif en flanelle. L’intérêt du Liban commande, évidemment, d’éviter une telle décadence byzantine. Ce sera pour les tenants du Pouvoir, affaire de confiance et de crédibilité. 
Le Liban se passionne toujours pour ses élites. Ont-elles ou non failli à leur mission d’éclaireurs? Derrière les hommes et les programmes, il y a la conscience nationale, le seul rituel qui s’impose. Plus que de changer de gouvernement, il faudrait à tous prix l’écouter. Le temps passe, celui des institutions et des principes, des arrogances et des certitudes. Encore une fois, il faut créer, en évitant les bavures et les équivoques à répétition. C’est d’une morale citoyenne à toute épreuve que le Liban a besoin. 

 
 “Ce n’est pas avec ceux qui ont créé les problèmes qu’il faut espérer les résoudre.” 

(Valéry Giscard d’Estaing 
citant Einstein) 

 
 

 

  

 


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