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ON DEMANDE UNE BOUSSOLE
Les journaux qui nous ont révélé, ces jours-ci, que nos trois présidents, réunis à Lattaquieh, ont prié le président Assad de leur indiquer quelle personnalité il souhaiterait voir accéder à la présidence de la République libanaise pour le prochain sexennat, ces journaux savaient bien qu’en réalité, ils ne nous apprenaient rien. Ils se livraient, en quelque sorte, à une provocation. Ils mettaient brutale-ment en relief ce que tout le monde savait depuis longtemps mais que, par un reste de pudeur, on préférait taire ou, tout au plus, se contenter de suggérer. On a pris l’habitude d’avaler des couleuvres.  
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Il y a eu toujours deux ou trois grands électeurs pour déterminer le choix d’un président de la République au Liban. C’est une sorte de tradition. Les présidents ainsi élus n’ont pas été nécessairement inféodés à la puissance extérieure qui avait appuyé leur candidature. La plupart avait su conserver leur liberté de décision  et plusieurs avaient réussi à pratiquer une politique de neutralité entre les divers courants qui se partageaient le monde arabe. Quoique élus sous influence extérieure, ils avaient assez d’habileté, de force de caractère et d’autorité (la Constitution leur conférait de très larges pouvoirs) pour se constituer un parti et une forte majorité parlementaire. 
Il n’en est plus ainsi aujourd’hui. L’autorité est partagée. Les pouvoirs sont dispersés. De nouvelles formes de féodalités se sont constituées. L’influence du chef de l’Etat sur la Chambre n’est plus qu’un vague souvenir. La base populaire de chacun des détenteurs du pouvoir est contestable et contestée. 
Que le choix d’un président de la République soit déterminé par des considérations étrangères quoique fraternelles, s’il peut encore choquer, n’étonne en fait personne. La classe politique qui occupe la scène, y est totalement inféodée. Le chemin de Damas est ouvert à tout le monde. Le pli est pris. Les justifications pour s’y engager ne manquent pas. Et il n’est pas un parti qui ne s’y soumet. 

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Le voisinage hostile d’Israël et, singulièrement, son occupation d’une portion du territoire libanais, a rendu impérative une étroite coordination entre le Liban et la Syrie. Un front commun s’est imposé aux deux pays pour faire face aux manśuvres de l’Etat juif qui s’emploie à faire dévier le processus de paix de la voie qui lui avait été tracée à Madrid. 
Sur le plan économique, également, la coordination entre le Liban et la Syrie est dans l’ordre naturel des choses, dictée par la Géographie. 
Cette double coordination peut, évidemment et devrait se concevoir dans le respect de la souveraineté et de l’indépendance de chacun des deux pays. Damas ne manque jamais d’ailleurs de souligner, hypocritement ou non, son souci de respecter cette souveraineté et cette indépendance. C’est dans le comportement de la classe politique mise en selle depuis Taëf qu’apparaissent les défaillances. 
A quoi cela tient-il? A la faiblesse morale des hommes politiques? Au système constitutionnel institué par l’accord de Taëf? A ces deux causes simultanément? 
Le fait est que l’on se trouve devant une attitude  d’irresponsabilité généralisée. Les hommes portés au pouvoir par Taëf se sont contentés de rechercher la satisfaction de leurs intérêts personnels, sans jamais en évaluer les conséquences sur le fonctionnement de l’Etat. Politique à courte vue, pratiquée au jour le jour, sans doctrine, sans conception d’ensemble, sans souci de l’avenir national. 
Pendant qu’ici on joue, on compte sur le voisin pour tracer la voie. L’abandon de souveraineté, les Libanais en sont ainsi les premiers responsables. 

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Les voix qui s’élèvent de temps à autre pour dénoncer ces déviations et préconiser des correctifs, se font de plus en plus rares et n’ont d’ailleurs jamais représenté toutes les tendances. Pour beaucoup, hélas! soulever ce genre de problème, signifie remettre en question la politique même de coopération avec Damas. 
On dirait qu’on touche là à un domaine sacré. Vous avez beau protester de votre bonne foi et proclamer votre conviction qu’une coordination libano-syrienne est nécessaire, on suspecte toujours vos intentions. Le dialogue sur ce sujet est impossible. 
S’il est vrai que le système constitutionnel actuel a été inspiré par Damas et s’il est vrai que Damas souhaite que les détenteurs du pouvoir à Beyrouth assument plus complètement toutes leurs responsabilités, il n’y aurait plus qu’à prier pour que la lumière vienne de nouveau de Damas afin de corriger et de rééquilibrer ces mécanismes constitutionnels. Car c’est là que réside finalement la clé de la paralysie du régime. Ce serait même dans l’intérêt de la Syrie d’avoir un partenaire digne de confiance. On l’a souvent dit. 
Mais pour le moment, ne nous faisons aucune illusion. Ce n’est là qu’un vain débat. Pour le principe. Et pour l’honneur. 

 
 
 

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