Editorial


Par MELHEM KARAM 

 
DÉMISSION DE SUHARTO
LA LEÇON ET LES CAPRICES DES GÉANTS
La satisfaction ressen-tie après le départ de l’ancien président indonésien, Mohamed Suharto, est unanime. Mais cela ne signifie pas que le problème en Indo-nésie a pris fin et que les réformes attendues par les gens seront réalisées d’un moment à l’autre. Bachar Eddine Youssef Habibie, successeur de Suharto, ancien vice-président de la République et ministre, est l’image de son prédécesseur, lié à lui d’une manière fondamentale. Il n’est pas l’animateur des changements souhaités et n’est pas en mesure de mettre fin à l’engagement de l’Indonésie, de son économie qui dépend du soutien extérieur, ni de lui permettre d’édifier une entité financière pouvant la libérer de ses liens avec l’étranger, comme de l’alignement de cette économie sur celle de l’étranger et ses directives.
Qu’est-ce qui a achevé le régime de Suharto? L’arrogance américaine. C’est une honte pour un chef d’Etat de se maintenir par la volonté d’un autre Etat ou de quitter le pouvoir sur un caprice de cet Etat. C’est la première fois où l’ingérence à découvert atteint un tel degré, au point que le chef de la diplomatie américaine invite un chef d’Etat à démissionner et ce dernier s’exécute.
Le président de l’Assemblée nationale indonésienne, chef du parti “Golkar” au pouvoir, avait adressé un ultimatum à Suharto, lui demandant de se désister et de partir. Il était soutenu par Amien Raïs, leader islamique opposant qui a rendu visite au nouveau président pour lui dire qu’il lui accordait un délai pour agir et a harangué les sept mille étudiants retranchés au parlement en ces termes: “L’armée doit choisir entre les deux cents richards se réclamant de la famille Suharto, soutenus par sa coterie et entre les deux-cents millions d’Indonésiens.”
Bien que le commandant en chef de l’Armée, Wiranto, eut proclamé son soutien à Suharto, il a déclaré après la démission du président que “l’armée préservera avec force la sécurité et la stabilité en Indonésie.”
L’opposition a fait savoir qu’elle observait avec une grande méfiance tous les comportements de Habibie et Amien Rais a dit qu’il surveillait les agissements de la classe au pouvoir, considérée comme perpétuant le régime de Suharto.
Ce qui s’est passé éveille les Etats des “Noumours” asiatiques qui ne disposent pas d’un commandement, tout en s’appuyant sur les autres pour se maintenir, la situation dans laquelle ils se trouvent n’étant pas viable.
La tension avait atteint son paroxysme durant les derniers jours de Suharto, à un tel degré, que tous l’ont accusé d’être “un voleur sans moralité”, ainsi qu’un homme arrogant, le mouve-ment de l’Eveil national figurant en tête de liste parmi ses accusateurs.
Mais cela ne signifie pas que le “suhartisme” est fini. Ses partisans continuent à sévir, en soutenant que nul n’est pré-paré à lui succéder: ni l’intellectuel islamique Nirchuls Majid, ni l’historien Toufic Abdallah, ni même Amien Raïs, chef du mouvement “Al-Mouhammadieh” et encore moins Gus Dur qui prétend être en mesure de succéder à Suharto, ni l’avocat Adnan Nasucion, chef du mouvement des droits de l’homme
Ainsi, les doigts sont braqués, dans la pire des éventualités, sur les deux leaders islamiques: Amien Raïs, chef du mouvement qui prétend regrouper 28 millions de membres ou Abdel-Rahman Wahid, connu sous le nom de Gus Dur. Celui-ci préside le “mouvement des ulémas” qui, assure-t-il, compte 30 millions d’adhérents.
Tout à l’horizon indique que le problème n’a pas pris fin et en est à son début: les étudiants sont au parlement et la capacité du gouvernement suscite des doutes, la crise financière ayant affecté l’Indonésie au mois d’octobre dernier.
Ce qui a précipité la fin de Suharto, ce sont les difficultés financières auxquelles l’Indonésie était confrontée depuis octobre. Quelques mois plus tôt, les responsables d’un syndicat illégal ont entrepris un mouvement ayant entraîné l’arrestation d’un nombre d’étudiants. La répression a, alors, commencé de la part de l’autorité policière et dictatoriale au pouvoir: elle a étouffé la révolte dans les universités où les manifestations ont commencé au début de l’année.
Cependant, la réélection de Suharto pour un nouveau mandat de cinq ans, a ravivé de nouveau la colère estudiantine. Le 1er mai, Suharto a écarté l’éventualité des réformes et s’est opposé à toute évolution politique avant la fin de son mandat, en l’an 2003.
Le 2 mai, les étudiants ont déclenché de violentes manifestations dans tout le pays et réclamé, publiquement, la démission du président de la République. Le général Wiranto, commendant en chef de l’armée, ministre de la Défense, a déclaré que l’institution militaire était en faveur de réformes à entreprendre d’une manière progressive, conformément aux principes constitutionnels.
Ceci n’a pas empêché Raïs, avec bon nombre de personnalités indonésiennes éminentes de réclamer l’exclusion de Suharto de la vie publique. Le 14 mai, la répression de manifestations d’étudiants a fait cinq tués et ceci a provoqué la mise à sac d’un quartier dans sa totalité, celui où réside une minorité chinoise. Des incendies ont embrasé les centres commerciaux à Djakarta qui ont été pillés et où ont été tués mille hommes, femmes et enfants.
Le 15 mai, Suharto a écourté sa visite au Caire, pour voir Djakarta désertée, alors que des institutions et des ambassades étrangères commençaient à fermer leurs portes et à quitter la ville. Il a pris connaissance des manifestations qui se déroulaient à Sourabaya et de l’ultimatum du président de l’Assemblée insistant sur la nécessité pour Suharto de résigner ses charges officielles. De même, il a écouté la réponse de Wiranto, ministre de la Défense, commandant en chef de l’Armée, selon laquelle la demande faite à Suharto de démissionner n’était pas légale. Cependant, Madeleine Albright adressait au président une franche invitation à présenter sa démission.
***

Ainsi, autant on se réjouit du départ de gouvernants n’ayant rien accompli ni réalisé, se contentant de s’enrichir et de former une classe corrompue, autant on s’attriste de constater que les décisions vitales sont prises par les étrangers. Le peuple se trouve réprimé, sa volonté étant spoliée; il essaye de se mentir à lui-même et de se leurrer, en se disant le gagnant et le triomphateur. Alors, qu’en vérité, il exécute des volontés étrangères en accédant aux désirs des grands et des géants. 

Photo Melhem Karam

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