DE QUOI A PEUR LA TURQUIE
Mais de quoi au juste a peur la Turquie au seuil de ce troisième
millénaire?
D’ouvrir peut-être la voie à la revendication dans un
second temps, des Arméniens à exiger la libération
de leurs territoires occupés...
D’ouvrir peut-être la voie à d’autres reconnaissances...
le problème kurde, par exemple...
Puis, il y a la question de la paix dans le Caucase. Le problème
épineux du Karabagh, des intérêts de Bakou, des Azéris
qui se disent être les “cousins” des turcs...
Mais peut-on construire une paix durable sur le mensonge?
Le député français, M. Jean-Paul Bret qui fut
au cœur de la promulgation de la loi reconnaissant le génocide arménien
dit: “Si la Turquie veut faire partie de l’Union européenne, elle
doit reconnaître les faits, comme l’ont déjà fait les
historiens et les écrivains turcs.
Pourquoi la Turquie d’aujourd’hui n’admet-elle pas l’implication du
gouvernement des jeunes turcs dans l’Empire ottoman?
“Cette reconnaissance, ajoute encore le député français,
permettrait à ce pays d’intégrer peut-être plus facilement
l’Union européenne, s’il reconnaissait, enfin, l’Histoire et respectait
les droits de l’homme, en devenant un Etat de droit.”
TURQUIE v/s FRANCE: UN SEUL GAGNANT: LE PEUPLE
ARMÉNIEN
Le chef de la diplomatie turque, M. Ismael Cem a réagi promptement
au vote de l’Assemblée nationale française, en soulignant
que cette “décision aurait des effets néfastes sur les relations
turco-françaises”.
Minimisant l’impact de la promulgation de cette loi, M. Hubert Védrine,
ministre français des Affaires étrangères, parle “d’initiative
purement parlementaire...”.
L’ambassadeur de Turquie en France, M. Sonmez Koksal accuse, quant
à lui, l’Assemblée nationale française de s’ériger
en tribunal international pour juger l’Histoire...”
On s’agite à Ankara, on s’active... Les diplomates de haut rang
se sont réunis en urgence au ministère des Affaires étrangères
pour préparer un plan de représailles prévoyant une
action diplomatique, des pressions politiques et des sanctions économiques.
“La Turquie, dit-on de source bien informée, ira jusqu’à
l’exclusion des compagnies françaises et appellera au boycottage
des produits français”.
Pour sa part, le gouvernement d’Ankara se prépare à soumettre
au parlement turc, une résolution de protestation et déposera
une autre condamnant, officiellement, la France pour “les massacres commis
lors de la guerre d’Algérie.”
Un grand quotidien turc écrit que son pays projette d’annuler
le projet “Turquie-France 2000” estimé à des millions de
dollars, si la loi sur le génocide est adoptée par le Sénat
français.
Le quotidien “Milliyet” titre: “Honte à la France” et écrit
que “toutes les visites officielles seront annulées...”
Au grand dam d’Ankara qui a toujours cherché à gommer
de la mémoire nationale depuis des décennies le génocide
arménien, la proposition de loi tient en une seule phrase si courte,
mais combien lourde de sens a été votée: “La France
reconnaît le génocide arménien de 1915.”
Pour ses promoteurs, ce texte a valeur de symbole: “Les autres génocides
ne sont pas contestés, confie M. René Rouquet, député-maire
d’Alfortville et aucun parlementaire ne nie la réalité de
la “Shoah”, mais il n’en est pas de même pour le génocide
arménien. Pour cela ce vote était nécessaire...”
La France se sera, enfin, alignée sur le parlement européen
qui lui, avait déjà depuis 1987 adopté cette résolution
affirmant la nature du génocide, demandant à la Turquie de
faire de même...
Hitler avait dit: “Qui se rappelle encore aujourd’hui du génocide
arménien?”.
Des millions se sont souvenus et se souviennent encore de ce massacre.
Aujourd’hui, un pays se souvient et répond peut-être par
la voix d’une haute personnalité française à la question
d’Adolf Hitler: “Est-ce que l’Allemagne aurait pu construire l’Europe si
elle était encore à se demander si les chambres à
gaz avaient existé...?”
Il est dans l’intérêt du peuple et du gouvernement turcs
de reconnaître ces actes commis par une minorité avant la
naissance de leur république...
Quand l’Histoire est blessée, l’Homme a droit à la vérité.
Nous avons voulu dans le cadre de cet article connaître le point
de vue du parti Tachnag, dont la caisse de résonance a toujours
été la reconnaissance du génocide arménien
par les Turcs.
M. Dikran Djinbachian, président du Comité central de
ce parti, a bien voulu se prononcer sur ce sujet et sur le congrès
qui s’est tenu encore tout récemment à Beyrouth, capitale
de la Diaspora arménienne où d’éminentes personnalités
du Liban, d’Arménie, du Karabagh, de la Russie et des membres du
Parlement kurde en exil, ont pris la parole.
LE PRÉSIDENT DU COMITÉ CENTRAL
DU PARTI TACHNAG:
“CE VOTE A UNE VALEUR HISTORIQUE...
MAIS IL FAUDRAIT INTENSIFIER LES CONTACTS POUR QUE D’AUTRES PAYS SUIVENT
CET EXEMPLE”
RDL: - Quelle a été la réaction du Tachnagtsoutioun
au vote de l’Assemblée française portant sur la reconnaissance
du génocide arménien?
Dikran Djinbachian: “Ce vote a une valeur historique certaine. C’est
la première fois que le parlement d’un grand pays membre du Conseil
de Sécurité des Nations Unies prend une telle décision.
“Cette résolution très courte, consiste en un article
déclarant: “La France reconnaît le génocide arménien”.
Ce qui est nouveau est le mot “génocide”. Jusqu’à présent,
on ne parlait que de massacres, d’événements douloureux en
prenant bien soin d’éviter ce mot particulier.
“Aujourd’hui, cela signifie que désormais tout ce qui touche
au problème arménien en France, sera considéré
comme un fait génocidaire et comme ce fut le cas durant ces dernières
années, des intellectuels, des hommes politiques qui nieront ce
fait historique pourront être traduits en justice.”
RDL: - Comment expliquez-vous la réaction du locum tenens
du patriarche arménien d’Istanbul “déplorant” cette résolution?
D.D.: “Vous avez bien fait de rectifier... La presse locale citant
Mgr Mutafian avait omis d’écrire qu’il n’était que le “locum
tenens” en l’absence d’un patriarche...
“On peut affirmer que cette déclaration a été
faite sous pression des autorités en place dans ce pays. Il n’est
pas compréhensible, il n’est pas acceptable qu’un Arménien
où qu’il soit ne reconnaisse pas les faits historiques de 1915.
“Nous pensons qu’on lui a demandé, sciemment, de faire une déclaration
en ce sens et il a dû obtempérer.”
RDL: - Peut-on l’excuser pour autant?
D.D.: “Il est difficile d’excuser une telle déclaration, mais
il faut aussi essayer de le comprendre.
“La Turquie a toujours exercé des pressions sur la communauté
arménienne. Déjà un fait corrobore mes dires: le report
de l’élection du patriarche d’Istanbul qui devait avoir lieu au
mois de mai. Ceci est très significatif.
“Il existe là-bas une vie communautaire très intense,
mais les droits de l’homme reconnus d’ailleurs par le traité de
Lausanne, ne sont nullement respectés par les autorités.
“Certes, nous avons des écoles, des églises mais les
sermons, les prêches doivent être délivrés en
turc...”
RDL: - Tout récemment encore un congrès a eu lieu en
collaboration avec les Kurdes.
Les ennemis de nos ennemis sont-ils devenus nos amis...?
D.D.: “Ce congrès était organisé par le Comité
de défense de la cause arménienne qui est une émanation
du Tachnagtsoutioun et il a eu lieu en collaboration avec les membres du
parlement kurde en exil dont le siège se trouve à Bruxelles.
“Nous savons que ce peuple mène une lutte contre la Turquie.
C’est une lutte nationale.
“Le parlement kurde en exil s’occupe de problèmes politiques
et est formé de personnalités modérées.
“Nous avons pensé qu’il serait bon de renouer des contacts avec
eux.”
RDL: - Y avait-il des membres du PKK?
D.D.: “Non.”
RDL: - Mais vous oubliez le rôle joué par les Kurdes
durant le génocide; ces Kurdes ont aussi participé aux massacres
des Arméniens?
D.D.: “Les choses ont évolué depuis... Les Kurdes se
sont rendus compte depuis très longtemps de leurs erreurs; en fait,
ils avaient été en quelque sorte l’instrument des turcs.
“D’ailleurs les autorités turques de l’époque ont procédé
par étapes.
“Après avoir éliminé les Arméniens, ils
ont éliminé les Kurdes.
“La politique kurde actuelle et cela depuis plus de cinquante ans,
n’est plus pareille... Les choses ont changé.”
“LA COLLABORATION ISRAËLO-TURQUE,
UNE MENACE POUR LES NATIONS ARABES
RDL: - Quels ont été les sujets abordés durant
ce congrès?
D.D.: “Il y a eu des intervenants libanais, arméniens d’Arménie,
du Karabagh, de Russie, de Chypre et kurdes.
“Le thème central était la politique expansionniste turque
au Moyen-Orient.
“Un contexte géopolitique qui englobe et touche les pays de
cette région du monde.
“On a soulevé la question de collaboration israélo-turque
qui constitue une réelle menace pour les nations arabes.”
RDL: - La tenue de ce congrès coïncidait avec l’adoption
par le Parlement français de la résolution touchant au génocide.
Coïncidence ou...
D.D.: “On savait qu’il se passait quelque chose d’important en France
que les hommes politiques français bougeaient.
“Mais la tenue de notre congrès à cette date historique,
pour nous Arméniens, était une coïncidence heureuse
qui nous a permis de féliciter tous les Arméniens à
la séance inaugurale.”
RDL: - Quelles seront les prochaines étapes à franchir
pour amener d’autres pays à suivre l’exemple français?
D.D.: “Il y a, d’abord, en France une étape à franchir.
Ce vote doit être accepté par le Sénat. Ce n’est qu’après
que cette résolution deviendra une loi une fois promulguée
par le président français.
“Il reste encore beaucoup de travail à mener...
“Maintenant qu’un pays européen, membre permanent du Conseil
de Sécurité a pris une résolution pareille, il faudrait
intensifier les contacts pour que d’autres pays lui emboîtent le
pas.
Il y a des procédures à engager...”