Bloc - Notes

Par ALINE LAHOUD  
 

LA BOÎTE DE PANDORE

Que de discours plus assommants les uns que les autres n’avons-nous pas entendu à propos du confessionnalisme et de ses méfaits. Que d’arguments bancals, que de raisonnements débiles par leur indigence et leur refus d’aller jusqu’au bout des réalités! Que de mauvaise foi et de mentalités coincées!
On nous a harcelés (et on continue à le faire), ahuris, vrillé le crâne, scié les nerfs, sous prétexte de vraie démocratie qui n’était - vu les intentions inavouées - qu’une évolution à rebours et une partie de dés pipés au départ.
On a prétendu que supprimer le confessionnalisme politique était nécessaire pour faire place à l’avènement d’une société égalitaire où chacun jouirait de la plénitude de ses droits, sous l’ombre tutélaire de l’égalité des chances.
Les résultats des élections municipales de Tripoli et d’El-Mina sont venus démontrer qu’il y a loin de la coupe aux lèvres. Livrés à eux-mêmes, sans verrous de sécurité, les électeurs de la capitale du Nord ont purement et simplement passé au laminoir la minorité chrétienne, la refoulant en marge de sa propre ville. Ils ne l’ont peut-être pas fait exprès. Mais la réalité est là, sous nos yeux, indéniable, représentant par l’exemple, la menace d’un dangereux précédent.
Un précédent d’autant plus dangereux que rien ne semble avoir été fait sous le coup du sectarisme ou du fanatisme religieux. Bien au contraire. Le mufti cheikh Mohamed Rachid Kabbani, cheikh Mohamed Mehdi Chamseddine, cheikh Hussein Fadlallah, ainsi que d’autres leaders musulmans se sont époumonnés à inciter leurs électeurs à voter pour les candidats chrétiens, afin de préserver l’équilibre communautaire et par conséquent l’unité du pays. Peine perdue. L’électeur moyen a voté pour les gens qu’il connaît, qu’il fréquente, ceux dont les noms lui semblent familiers. Il l’a fait sans doute de bonne foi, sans sournoiserie. Mais le résultat est là, regrettable et ce résultat risque de faire tache d’huile, d’atteindre Beyrouth, le Sud et la Békaa...
Ceux qui prônent à cor et à cri l’abolition du confessionnalisme - s’ils ne sont pas animés par des intentions inavouables - feraient bien d’y réfléchir à deux fois.
L’égalité des chances proclamée comme un credo ne pourrait et ne saurait être obtenue dans l’improvisation. Il ne s’agit pas ici de prendre la défense du confessionnalisme, surtout de la façon dont il est appliqué chez nous et qui, en plus de son négativisme, ajoute le ridicule à la laideur, mais de rectifier le tir qui, par maladresse ou à dessein, vise en dehors de la cible. Ce qu’il faudrait ce serait, non pas abolir le confessionnalisme politique, mais déconfessionnaliser tout un peuple. Ce qui n’est pas du tout la même chose. Il faudrait lui apprendre (au peuple) à ne pas penser chrétien ou musulman, mais à penser libanais. Et cela ne pourra être obtenu - si l’on commence tout de suite - que dans deux ou trois générations. Ce dont nous aurons besoin alors, ce sera d’une laïcisation totale, sans aucune restriction d’aucune sorte.
Insister pour uniformiser la mosaïque libanaise dans la conjoncture actuelle, c’est lâcher un troupeau d’éléphants dans un magasin de porcelaine. Abolir le confessionnalisme sur le papier à défaut de le faire dans les esprits et les mentalités, dans un pays fragilisé par une fausse guerre de religions, apparaît - que les hérauts de l’abolitionnisme s’en défendent ou pas - comme une volonté délibérée de substituer à l’équation actuelle, une hégémonie d’autant plus vicieuse qu’inavouée. Ce serait le retour de la chasse aux sorcières, à 1860 et à 1975. Un retour dont on préférerait ne pas envisager les conséquences.
Halte donc aux surenchères débridées et irresponsables. On ne peut continuer impunément à jouer le destin du Liban et de son peuple à la roulette russe.
Qui ne connaît l’histoire de “la boîte de Pandore”?
Un petit rappel pour ceux qui ne s’en souviennent plus: dans la mythologie grecque, Pandore était la première femme créée par les dieux. Animée de l’esprit du mal, elle désobéit et ouvrit la boîte où Zeus avait enfermé toutes les misères du monde, lesquelles misères se répandirent sur l’ensemble de l’humanité. Dans “la boîte de Pandore”, il ne resta plus que l’Espérance.
Après le passage des faiseurs de catastrophes qui tiennent chez nous le haut du pavé politique, nous restera-t-il même cela? 

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