Chronique


Par JOSE M. LABAKI  

 

ÉTATS-UNIS-EUROPE:INCONCILIABLES?

Depuis, les Américains sont habités par la hantise d’une Europe forte. L’administration américaine ne rate jamais l’occasion d’adresser un message aux Européens souvent d’un ton menaçant. Aussi, faut-il reconnaître que l’Europe, première puissance commerciale de la planète, dont les exportations s’évaluent à 45% du total mondial, est un interlocuteur difficile aux yeux des Américains, dont le commerce extérieur SEUO ne pèse que 15% du total mondial. Une raison de plus pour se méfier de la forteresse Europe. 
Depuis un âge lointain, l’Europe et les Etats-Unis, sont condamnés à une concurrence irréversible. Il n’est pas exclu que, même au sein du nouvel ordre mondial orchestré par les Etats-Unis, l’Europe soit toujours la grande perdante; c’est lamentable et pourtant vrai. 
En effet, bien avant le redressement vertigineux de l’économie américaine depuis l’arrivée de Bill Clinton au pouvoir, les Etats-Unis étaient déjà l’unique super-puissance mondiale, “l’hyper-puissance”, comme il plait au ministre français des Affaires étrangères, Hubert Védrine de l’appeler. Position qui assure à “l’establishment” américain une arrogance sans-mesure, jusqu’à refuser à ses partenaires toute immixtion dans les affaires mondiales, que ce soit en Europe, au Moyen-Orient, en Afrique, en Asie ou ailleurs. 
Les Américains ont toujours été intolérants à l’égard des contestataires, reprochant spécialement à la France et à l’Europe d’entraver l’application de leur stratégie militaire, politique, économique et culturelle à l’échelle planétaire, dont ils détiennent l’exclusivité. Si le président Clinton a renoncé à menacer l’Irak durant la dernière crise du Golfe, le Congrès américain, lui, était inflexible quant à la contribution européenne pour éviter une confrontation dont les conséquences auraient été plus désastreuses que celle menée par George Bush. 
Toutefois, la compétition entre l’Europe et les Etats-Unis, particulièrement entre la France, un des piliers principaux de la construction européenne et les Etats-Unis, vient de très loin. Force est de rappeler que ces deux pays sont les seuls à s’être investis d’une vocation universelle. L’Histoire nous enseigne que c’est l’origine commune de ce “messianisme”, qui a rapproché ces deux grandes puissances et c’est le même qui a rendu leurs rapports de plus en plus distants. Quant à la Révolution française de 1789, rappelons que tout avait débuté avec l’attentat perpétré contre le roi Charles 1er d’Angleterre, avec la révolution de 1688 et avec l’émancipation américaine de 1770. Cependant, c’est la Révolution française qui avait suscité l’enthousiasme sans précédent dans toute l’Europe et une influence notable sur l’intelligentsia allemande dirigée par Goethe, Hegel et Kant. Les Américains ont été sûrement influencés par ce mouvement. D’aucuns prétendent que la Constitution américaine aurait inspiré certains précurseurs des droits de l’homme, dont la France est incontestablement le berceau. 
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Avec cette montée houleuse de la puissance américaine à l’échelle planétaire et le crépuscule de la puissance européenne, à cause des deux conflagrations mondiales de 1918 et 1939, le rapport des forces entre les deux colosses devait naturellement changer. Les Etats-Unis deviennent au grand dam des Européens, les Anglais alliés inconditionnels des Etats-Unis exceptés, les sauveteurs du vieux continent prétendant à l’héritage pour s’ériger en détenteurs exclusifs de cette obligation missionnaire mondiale qui avait été durant des siècles celle de la France. Depuis la chute du Mur de Berlin et l’effondrement de l’Union soviétique, les Etats-Unis s’instituaient en super-puissance mondiale, unique gendarme de la planète, ayant l’exclusivité d’exporter, voire d’imposer un modèle de démocratie et le système de l’économie de marché dont ils se doivent les promoteurs. Jamais début n’a été aussi controversé. 
L’ancien secrétaire d’Etat Henri Kissinger, plaidant en faveur d’une Amérique assistante plutôt qu’hégémonique, à égale distance de toute mutation historique, la Pax americana, dit-il, devenue par la suite le mythe incontournable de la démocratie américaine de chaque pays assisté des Etats-Unis, exige une stricte application de la démocratie, en même temps qu’une observance à la lettre des normes du Fonds monétaire international. Condition sine qua non pour adhérer à la mondialisation prônée par l’Amérique. 
Européens et Occidentaux œuvrent, inlassablement, depuis bien longtemps à la recherche des moyens leur permettant de ne pas s’abandonner, aveuglément, aux caprices de la realpolitik d’outre-Atlantique. Lorsque les Nations Unies, jusqu’à l’heure sous tutelle des Etats-Unis, ont suggéré le devoir d’assistance; puis, du droit d’ingérence des Etats-Unis dans les conflits mondiaux, n’ont-elles pas commis une grave erreur à l’encontre du principe sacro-saint de la non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats, en se pliant aux exigences outrecuidantes américaines, dont le monde continue à subir les méfaits au quotidien? 
Les Américains après avoir longtemps fait usage de la politique “diviser pour régner”, auraient choisi dernièrement le pragmatisme en suscitant une vaste zone triangulaire de libre-échange avec le Canada, le Mexique rien que pour affronter la Forteresse Europe. N’oublions pas que George Bush vociférait à longueur de journée: attention, l’Amérique a plusieurs cordes à son arc. La création du marché commun nord-américain avec le Canada et le Mexique est la riposte du berger du Middle-West à la bergère européenne. 
Il reste que les Etats-Unis disposent de nombreux moyens pour maintenir l’Europe sous sa tutelle, en attendant que l’Union européenne soit réalisée. Puisse l’Europe être à la hauteur des temps à venir. Seule son union aiderait à son émancipation de l’hégémonie américaine. 
Il y va de son honneur, de sa responsabilité, de sa prospérité et, surtout et d’abord, de son rôle prééminent dans l’établissement d’un nouvel ordre continental et mondial, longtemps attendu. C’est le moment le plus propice, étant donné le divorce incontournable entre la société américaine et la déficience croissante du pouvoir politique, tant à la Maison-Blanche, engloutie par une kyrielle de scandales de tous genres et dans un congrès où les voix discordantes éclatent au grand jour. 
L’Europe a un rôle éminent à jouer dans le concert des nations, n’en déplaise à ses détracteurs. Elle devrait peser de tout son poids, malgré les pénibles épreuves qu’elle traverse et s’affirmer à jamais comme acteur polyvalent indispensable à ne pas sous-estimer. 
Entretemps, les 27 pays de l’Union européenne et du bassin méditerranéen, (600 millions d’habitants) se réuniront mercredi et jeudi à Palerme (Italie) pour tenter de relancer le partenariat euro-méditerranéen, en panne depuis un an à cause du blocage du processus de paix israélo-arabe, depuis l’arrivée de Benjamin Netanyahu au pouvoir. Puisse l’Europe s’affirmer comme une entité capable de relancer le processus de paix moribond, face à l’Administration clintonienne, incapable de faire pression sur Israël, avant que le pire arrive et assurer autant que possible la stabilité en Méditerranée. Conscience européenne, réveille-toi, Attila frappe à ta porte! 

 
 “Il faudrait se méfier des engagements en Europe, pour éviter qu’elle se mêle des affaires américaines, mais surtout pour ne pas être pris dans les conflits sempiternels qu’elle suscite.” 

Le Président James Monroe 
(Dans son célèbre message à la Nation en 1823) 

 
 

 

  

 


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