Bloc - Notes

Par ALINE LAHOUD  
 

UNE VICTOIRE AU GOÛT DE DÉFAITE

Beyrouth a - du moins en partie - conjuré les démons surgis à la faveur des élections municipales de Tripoli.
L’événement qui menaçait de faire boule de neige a été contenu dans la capitale, grâce à une véritable mobilisation qui a nécessité des trésors de diplomatie, de persuasion et de supplications à genoux. Tout le mérite de l’opération revient au président Hariri mais, aussi, à Fouad Boutros et à Tammam Salam. M. Omar Karamé ferait bien de méditer là-dessus.
Nous voulons bien admettre que l’ex-Premier ministre a été pris par surprise et n’a rien vu venir. Nous sommes, également, persuadés que son animosité envers Hariri l’a obnubilé à un tel point qu’il était devenu imperméable à tout ce qui n’était pas le grand méchant loup de ses cauchemars. Un usurpateur d’autant plus détestable, qu’entré en contrebande dans la politique, il occupe le fauteuil que l’Effendi de Tripoli considère comme un bien de famille. Equilibre communautaire ou unité nationale, ça n’entrait ni dans ses préoccupations, ni dans son champ de vision. Placée dans ce contexte, son attitude était sinon excusable du moins compréhensible. Ce qui ne l’était pas, par contre, c’est le commentaire auquel il s’est livré après la proclamation des résultats.
A l’entendre donner son explication, l’œil rigolard et le sourire fûté, j’ai cru, tout d’abord, être victime d’une déformation particulièrement perverse du nerf auditif. En effet, interrogé par un reporter de la télévision, M. Karamé a répondu textuellement ou presque: “- Il n’y a pas eu d’élus chrétiens pour la bonne raison que les électeurs chrétiens ne se sont pas rendus aux urnes”... Est-ce à dire qu’un candidat chrétien n’a aucune chance d’obtenir des voix musulmanes? Il n’était pas besoin d’un grand effort d’imagination pour voir dans la déclaration de M. Karamé un aveu tacite doublé d’une bourde de première grandeur. A mon modeste avis, un ex-Premier ministre, candidat de surcroît à un bis, doit être un peu plus malin que ça.
Autre faux pas: celui des opposants qui ont appelé au boycott des élections municipales à Beyrouth et participé à celles des moukhtars. A part que l’argument pour ce faire est plus ou moins tiré par les cheveux, cette politique de refus systématique - on l’a vue par l’expérience - est improductive. On ne peut opposer des “non” à tout ce qui vous tombe sous la main, ni se draper dans une dignité outragée et se retirer sous sa tente chaque fois qu’une loi est plus ou moins tordue. Et d’ailleurs, n’est-ce pas dans le cadre de cette loi qu’ils ont participé aux élections du Mont-Liban et à celles du Nord? Venir, par la suite, bouder à Beyrouth c’est fermer le poulailler après que les poules se soient échappées.
Il n’en demeure pas moins que la loi en question est boiteuse, inique et parfaitement indéfendable. Malheureusement, tel semble être le lot de cet infortuné pays livré pieds et poings liés à un gouvernement dont la cécité n’a d’égale que la mauvaise foi. Un gouvernement qui concocte des lois pour le bénéfice d’une poignée de politiciens, dont l’ambition est inversement proportionnelle à leur stature politique et face auquel il n’existe pas de contrepoids, le parlement devant jouer ce rôle étant réduit à un ramassis de nullités satisfaites de sa propre insignifiance.
Résultat: à l’exemple de la loi régissant les législatives, celle des municipales - particulièrement dans les grandes villes - est faite pour ne représenter personne et pour donner le feu vert aux trafiquants de la politique, afin qu’ils puissent aligner des noms communs pour le moins singuliers.
Si nous avions eu une loi décente, permettant une véritable représentativité de la population, M. Hariri n’aurait pas eu besoin de se livrer à toute cette gymnastique pour assurer l’équilibre communautaire. Les chrétiens n’auraient pas, non plus, été presque réduits à la mendicité pour obtenir un strapontin dans l’ombre des vainqueurs, alors qu’ils ont droit au partenariat sur le même pied d’égalité.
Aujourd’hui, à la lumière des résultats de Beyrouth, obtenus péniblement au forceps et à l’émergence d’un conseil municipal fait de bric et de broc, le succès du Premier ministre apparaît comme une victoire à la Pyrrhus. Il n’est nulle gloire à s’épuiser en travaux de ravaudage, alors qu’on aurait pu faire de la haute couture.
Il n’est pas trop tard pour rectifier le tir. Il faut repenser ces deux lois électorales et confier la tâche à des législateurs à l’écart des manipulations politiciennes. Autrement, faute de savoir ou de vouloir établir une véritable égalité dans les textes, nous serons tous égaux dans la catastrophe. 

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