Sous
le signe de la rivalité avec la Chine populaire, les essais nucléaires
indo-pakistanais bouleversent la géopolitique d’un continent déjà
en mauvaise posture sur le plan économique et financier; relancent
la prolifération des armes de destruction massive, mettant en danger
l’ensemble de l’échiquier planétaire.
Jusqu’à présent, la communauté internationale
et, en particulier les Etats-Unis, se comportent comme si de rien n’était,
comme s’il n’y avait dans cette partie du monde, qu’une seule superpuissance:
la Chine, avec un milliard d’habitants et un arsenal nucléaire à
redouter, devenue l’unique interlocuteur privilégié des Etats-Unis.
Erreur d’appréciation?
En violant le tabou atomique, les nationalistes hindous ont tenu à
mettre fin à ce qu’ils considèrent comme une discrimination
intolérable. Fiers d’avoir récupéré leur identité,
celle d’une Inde, géant asiatique, à vocation de superpuissance.
A ce titre, elle siègera dans la cour des grands à part entière,
ce qui provoquera, indubi-tablement, des modifications encore imprévisibles
dans la géopolitique asiatique, avec des risques de conflits marginaux,
tout aussi inquiétants pour l’Asie que pour le reste du monde.
Certains observateurs, spécialistes des affaires asiatiques,
déduisent de ces essais, que les frontières incertaines et
disputées qui séparent la Chine, l’Inde et le Pakistan, sont
à l’origine de ces vantardises nationalistes. Désormais,
préconisent-ils, ces frontières seront plus sûres,
arguant que c’est bien l’équilibre nucléaire entre l’Est
et l’Ouest qui aurait évité à l’Occident et à
l’Europe en particulier, une confrontation atomique, durant la période
de la guerre froide.
***
L’incapacité des Etats-Unis à empêcher des tests
de cette envergure, est un autre indice d’une déficience qui ne
fait que retarder l’établissement du nouvel ordre mondial et le
processus de paix au Proche-Orient, tous deux en panne. En plus, il encourage
Israël à l’intransigeance dans les négociations avec
les Palestiniens, bloquées depuis l’arrivée de Benjamin Netanyahu
au pouvoir, l’initiative américaine tournant à vide.
A leur tour les cinq potentialités nucléaires: Chine,
Etats-Unis, Grande-Bretagne, France et Russie, craignent que les essais
indo-pakistanais provoquent, à court terme, une fronde des pays
non-nucléaires. Le club des Cinq, s’active à mettre au point
une stratégie concertée, face aux dangers de déstabilisation
asiatique et aux hauts risques provoqués par ces expériences.
Toutefois, pour le lobby nucléaire, il y a plus inquiétant:
en amorçant des appels au désarmement nucléaire à
l’échelle planétaire, signifierait aussi, la destruction
de ses propres arsenaux. L’Inde et le Pakistan ont bien saisi ce genre
de fourberie. Ces deux accusés reprochent aux cinq grandes puissances
siégeant au Conseil de sécurité, de n’avoir pas tenu
leurs engagements en faveur du désarmement nucléaire, pourtant
souscrit dans les traités de non-prolifération de 1968 et
1996.
L’opinion soucieuse s’interroge: la communauté internationale
regroupant 185 Etats, serait-elle en mesure de désamorcer ces bombes
à retardement? La résolution 1172 adoptée tout récemment
à l’unanimité des 15 membres du Conseil de sécurité
condamnant l’Inde et le Pakistan pour les essais nucléaires, sera-t-elle
appliquée?
Selon certaines sources onusiennes, si l’Assemblée générale
actuellement dominée par les pays non-alignés, s’empare de
ce lourd contentieux, les pays arabes déjà irrités
par la tolérance américaine à l’égard d’Israël,
mettront en accusation Israël (le seul pays proche-oriental à
posséder des armes nucléaires, 100 à 200 têtes,
pouvant à tout moment être montées sur des missiles
balistiques) et qui, pourtant, reste en dehors du régime d’inspection
de l’Agence internationale de l’énergie atomique.
***
Face à cette situation inextricable, les cinq grandes puissances
nucléaires cherchent à étouffer dans l’œuf, toute
tentative qui les placerait au banc des accusés. Preuve en est,
lorsque le secrétaire général de l’ONU Kofi Annan
s’apprêtait à notifier les cinq membres du Conseil de sécurité,
après les essais effectués par l’Inde et le Pakistan, leurs
engagements en faveur du désarmement, celui-ci a vite cédé
aux multiples pressions et dérobades et renoncé à
son projet. Signe des temps!
Les Etats-Unis ont-ils saisi l’état d’esprit qui règne
en Inde et au Pakistan?
Malgré leur compétence et leurs satellites espions, les
agents de la CIA n’ont pas réussi à prévenir les cinq
essais souterrains de la mi-mai en Inde et n’ont pas pu non plus dissuader
les autorités indiennes de ne pas les réaliser. C’est le
pire échec de la CIA, aurait déclaré le président
de la Commission sénatoriale de renseignement, le républicain
Richard Shelby. Par contre, l’Inde avait parfaitement réussi à
occulter ses intentions et ses préparatifs.
Toutefois, si l’Inde et le Pakistan s’en tirent, Téhéran
n’aura pas de raison de craindre les réactions internationales à
ses propres efforts pour acquérir l’arme nucléaire. Israël,
pour sa part, aura désormais plus de raisons que jamais de ne pas
signer le traité de non-prolifération. De plus, pressés
par les nécessités économiques et financières,
l’Inde et le Pakistan ne refuseraient pas l’argent pétrolier et
seront tentés de vendre rapidement leur technologie de pointe à
quiconque aurait les moyens de les payer: l’Iran aujourd’hui; demain l’Irak
et ainsi de suite...
Certes, le retour de la terreur nucléaire implique, impé-rativement,
un forum international sur le désarmement atomique. Le Japon, puissance
nucléaire potentielle, plaide actuellement pour une action urgente,
à l’occasion de la réunion des ministres des Affaires étrangères
du G-8 à Londres, le 12 de ce mois. Puisse cette initiative porter
ses fruits. Puissent les grandes puissances, à grand renfort de
conférences internationales, réussir à limiter les
dégâts désastreux qui en découlent. Auront-elles
du mal à le faire? Dieu veuille qu’il n’en soit pas ainsi. |
“La CIA, le Pentagone et le département d’Etat, n’ont
pas réussi à prédire l’imminence des essais nucléaires
indo-pakistanais. Comme ils n’ont pas saisi l’état d’âme revanchard
qui prévaut entre ces deux pays. La “Garde Plurielle” américaine
est en faillite.”
L’Amiral Jéramiah
(Conférence de presse au siège de la CIA en Virginie).
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