LE PEUPLE, MAÎTRE DE SA DÉCISION
- Aux municipales de Kobeyate, treize des dix-huit membres du conseil
municipal nouvellement élus, sont de la liste que vous avez patronnée.
Cette victoire est-elle une revanche de votre double défaite aux
législatives de 1996 et aux partielles de 1997?
“En vérité, les élections reflètent la
volonté du peuple et il est mal à propos de parler de revanche.
L’électeur a voulu exprimer en toute liberté, détachement,
intégrité et réalisme son point de vue. Il s’est trouvé
en des circonstances où un climat de liberté et de démocratie
lui a été assuré; pour cela, il a été
maître de sa décision.
“Je ne veux pas considérer qu’il y a eu dans ce vote une attitude
de revanche ou autre. Tout simplement, grâce au climat et à
l’ambiance qui ont prévalu à ces municipales, le peuple a
eu la possibilité de s’exprimer, en toute liberté, tel qu’il
le désire. Evidemment, si ce même climat avait prévalu
lors des législatives, les résultats auraient été
différents.”
- Vous considérez donc que les municipales ont été
libres et intègres; qu’il n’y a pas eu interférence de la
part de l’Etat?
“Oui, mon témoignage est crédible, vu que j’appartiens
davantage au courant de l’opposition que des loyalistes.
“Il y a eu, tout d’abord, la formation des listes. En ce qui concerne
la nôtre, nous avons travaillé à rapprocher les points
de vue entre différents candidats, en prenant en considération
le facteur familial, le quartier, les compétences, les capacités
et l’orientation générale pour le développement de
la localité. La liste a groupé des médecins, des ingénieurs,
des avocats et il y avait une entente et une coordination entre ses membres.
“En face, une deuxième liste a été formée
à partir d’une coalition entre l’actuel ministre et député
du Akkar, M. Fawzi Hobeiche et un candidat aux législatives, Me
Joseph Mikhaël.
“La présence d’un troisième noyau de candidats indépendants
ayant systématiquement barré cinq noms de notre liste, a
permis à cinq candidats de la deuxième liste de percer la
nôtre.
“En définitive, ces élections ont été une
victoire, non pour des personnes, mais pour les fils de Kobeyate qui ont
voulu s’exprimer en toute liberté.”
LES CAUSES DE LA RÉUSSITE
- Y a-t-il eu des tentatives pour former une liste d’entente?
“Oui, mais les deux courants étaient éloignés
et le peuple était convaincu que l’une des listes subissait des
pressions, alors que l’autre était libre et indépendante.”
- Quels ont été, en définitive, les facteurs
essentiels ayant permis la réussite de votre liste?
“Cela a été dû, essentiellement, à une réaction
vis-à-vis de ce qui s’est produit lors des législatives de
1996 et 97. Les citoyens ont voulu prouver qu’ils étaient les maîtres
de leur décision et en donner la preuve.
“Bien sûr, la personnalité des candidats, leur crédibilité,
l’espoir rattaché à ces jeunes ont joué. Mais l’aspect
politique était prédominant.”
- La liste avait-elle un programme d’action bien défini?
“Elle avait plutôt un programme global axé sur le développement
de la localité en tout domaine. Kobeyate jouit d’un climat tempéré,
a une grande richesse forestière, une terre fertile et de beaux
paysages naturels. Les différents services y sont assurés:
routes, eau, électricité, téléphone. Ses habitants
sont hospitaliers, respectueux des normes et des valeurs.
“Il nous faut en faire une ville touristique et cela exige toute une
infrastructure adéquate. Nous espérons que le nouveau conseil
municipal pourra transformer la localité en centre touristique,
afin que les Libanais et les visiteurs étrangers puissent découvrir
cette région accueillante et paisible, où il fait bon vivre.”
UNE VICTOIRE MORALE
- Avez-vous patronné d’autres listes dans le Akkar?
“Oui, mais sans trop interférer dans le scrutin. Car lorsqu’il
s’agit des affaires propres au village, les gens préfèrent
s’occuper eux-mêmes de leur “cuisine interne”. Par contre, le courant
du libre choix qui s’est manifesté à Kobeyate a eu ses prolongements
dans toute la région. Pour cela, je redis que ces élections
ont consacré la victoire des gens qui ont voulu voter en toute liberté.”
- Les résultats des élections municipales vont-ils
avoir des répercussions sur les législatives dans deux ans?
“Ces municipales peuvent être considérées comme
un référendum, à travers lequel la population s’est
exprimée librement. J’ai reçu des appels, non seulement du
Nord, mais de toutes les régions du pays, disant que ces élections
sont une victoire morale pour le peuple.”
JE N’AI PAS ÉCHOUÉ AUX LÉGISLATIVES
- Les résultats vous donnent-ils un nouvel espoir de réussir
aux prochaines législatives?
“En fait, je n’ai pas échoué aux législatives
de 1996 ou de 1997. Il y avait des circonstances exceptionnelles et des
pressions imposées, afin que je ne puisse pas réussir. La
raison en est connue de tous: j’avais voté contre la prolongation
du mandat présidentiel par respect de la Constitution.
“Aux élections partielles de 1997, tous les leaders du Nord,
aussi bien mes alliés que mes adversaires, se sont coalisés
contre moi de façon quasi-unanime. J’ai réussi, pourtant,
à obtenir par ma seule force 43.000 voix, alors que les autres en
ont obtenu 82.000. Peut-on considérer ce score comme un échec?
Ce ne fut pas pour moi une défaite, mais une victoire et on ne peut
pas sous-estimer les électeurs qui ont fait face à toutes
les pressions du pouvoir, de l’argent (en millions de dollars) et des médias
qui étaient tous mobilisés dans une même orientation.”
J’AI TOUJOURS TRAVAILLÉ POUR LE SERVICE
PUBLIC
- Peut-on dire que cette victoire au plan municipal peut contribuer
à faire de vous un candidat favori aux présidentielles?
“Vous savez bien qu’un candidat aux présidentielles doit avoir
une base et une assise populaires. Grâce à Dieu, nous ne nous
sommes jamais éloignés de la base et vice-versa.
“En ce qui concerne les présidentielles, mon nom, comme vous
le savez, a été proposé il y a dix ans de façon
très sérieuse. Rien n’a changé concernant la volonté
de remplir cette mission. Car qu’est-ce que la présidence de la
République sinon une position permettant à son titulaire
de servir son peuple et son pays?
“Par ailleurs, la présidence de la République assume
toujours de grandes responsabilités, bien qu’on ait tendance à
dire que Taëf a réduit les prérogatives du chef de l’Etat.
“Non, je ne suis pas d’accord et je parle en connaissance de cause,
puisque j’étais à Taëf. A partir du moment où
on s’occupe de la chose publique, on ne peut se désintéresser
de la première magistrature.”
- On comprend de vos propos que vous ambitionnez toujours cette haute
charge?
“Rien n’a changé. J’ai toujours travaillé pour le service
public et je continue à le faire. Accéder à la présidence
est, dès lors, le sommet de toute action qui permet de réaliser
ce qu’on a dans l’esprit et la conscience comme ambitions pour son peuple
et son pays.”
- Les “décideurs” vont-ils se montrer plus disposés
à votre égard?
“Pourquoi pas? Aujourd’hui, on voit mal quelqu’un arriver à
la présidence de la République, s’il est loin du peuple,
s’il n’a pas une base populaire, s’il n’est pas respecté du côté
chrétien, comme du côté musulman; s’il n’a pas de bonnes
relations avec tout le monde et, surtout, avec les “décideurs”.
“Pour ma part, mes relations ont toujours été bonnes
avec toutes les parties. Je crois en des relations profondes et stables
entre le Liban et la Syrie, ceci dans l’intérêt du Liban qui
a besoin de coopérer de façon intense et privilégiée
avec son plus proche voisin et d’avoir des relations normales avec tous
les Etats frères et amis surtout les pays influents et, à
leur tête, les Etats-Unis. Il ne s’agit pas d’attitude émotive
et affective; l’intérêt du Liban l’exige.”
L’AMENDEMENT DE LA LOI SUR LES MUNICIPALITÉS
S’IMPOSE
- Revenons aux municipales. Quelles leçons doit-on retenir
des résultats de Tripoli et de Beyrouth?
“L’expérience de Tripoli fut dure et amère. Il aurait
fallu que le principe de la convivialité fût respecté
et représenté au sein du conseil municipal de la capitale
du Nord. A Beyrouth, il l’a été mais uniquement du fait qu’une
liste consensuelle groupant les différentes forces vives et politiques
a été formée. Autrement, qui sait ce qu’auraient été
les résultats?
“Pour cela, nous ne devons pas avoir honte de réclamer l’amendement
de la loi sur les municipalités, de sorte que dans les villes où
il y a une mosaïque communautaire, la loi définisse le droit
de chaque communauté à être représentée
au sein de la municipalité de façon juste et équitable.
“A cet effet, je voudrais rappeler ce qui est dit dans le préambule
de la Constitution: “Pas de légitimité à toute autorité
qui contredit le pacte de la convivialité.”
“De même qu’à Tripoli la loi a prévu sur les huit
députés de la ville un maronite, un orthodoxe, un alaouite
et cinq sunnites, il faudrait respecter la même proportion au sein
d’un conseil municipal de 24 membres où il devrait y avoir, trois
maronites trois orthodoxes, trois alaouites et quinze sunnites.
A Beyrouth, l’équilibre a été respecté
du fait de conditions données. Si elles venaient à changer
qu’adviendrait-il du respect de la convivialité? D’où la
nécessité de consolider la vie conviviale par des textes
de loi, de sorte que tous soient protégés aussi bien par
rapport aux législatives qu’aux municipales.”
- Que dire de la victoire des “Forces libanaises” à Bécharré?
“Tout comme à Kobeyate, les habitants de Bécharré
ont pu s’exprimer en toute liberté. La majorité a décidé
et il a été prouvé que ce courant est présent
en force dans la localité et sa région. Déjà,
lors des élections du comité de Gebran, les F.L. s’étaient
imposées et, aux municipales de Beyrouth, leur candidat a figuré
sur la liste consensuelle.”
DÉCENTRALISATION ADMINISTRATIVE
- La prochaine étape devra-t-elle être celle de la
décentralisation administrative, afin que les municipales puissent
avoir un réel pouvoir local?
“Avant d’aborder la question de la décentralisation administrative,
je voudrais insister sur l’importance de l’organisation des municipales.
En se référant à la Constitution, on relève
que le Liban est lié aux institutions arabes et internationales
dont il respecte les chartes. Les élections, de façon périodique
et sur la base du vote secret étant un devoir constitutionnel. De
même, le “pacte international relatif aux droits civils et politiques”
auquel le Liban a adhéré en 1972, affirme dans son article
25: “Tout citoyen a le droit et la possibilité sans aucune discrimination
et sans aucune restriction déraisonnable de prendre part à
la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l’intermédiaire
de représentants librement choisis; de voter et d’être élu
au cours d’élections périodiques honnêtes au suffrage
universel et au scrutin secret assurant l’expression libre de la volonté
des électeurs.”
“C’est dire à quel point ces élections municipales étaient
importantes, leur tenue étant un point d’honneur à l’actif
du régime et du président Hraoui.
“Quant à la décentralisation administrative, elle était
l’une des réformes essentielles préconisées par Taëf.
Si elle tarde à être mise en application, c’est que les responsables
ne sont pas encore d’accord sur le découpage électoral en
petites, moyennes ou grandes circonscriptions.
“Quoi qu’il en soit, après les municipales, il a été
prouvé que la véritable représentativité se
fait au niveau des petites circonscriptions, mais toujours dans le respect
de la convivialité. Il faudrait que l’Etat étudie ce découpage
administratif avec sérieux et le plus vite possible. Ce sera, sans
doute, l’un des premiers objectifs du prochain régime.”