ANCIEN MINISTRE ET DÉPUTÉ DU AKKAR
MIKHAËL DAHER: "LES CITOYENS ONT PROUVÉ QU'ILS RESTENT MAÎTRES DE LEUR DÉCISION"

Plusieurs fois ministre et député, Me Mikhaël Daher avait été proposé en tant que candidat unique aux élections présidentielles de 1988. Aux législatives de 1996 et aux partielles de 1997, il n’a pu, toutefois, retrouver son siège à la Chambre.
Lors des municipales à Kobeyate, sa ville natale, il a, par contre, réussi à faire passer la majorité de la liste qu’il patronnait. Il se défend, aussitôt, de soutenir que ce résultat était une “revanche”, affirmant avec conviction: “Ces élections ont constitué une victoire pour le peuple qui a choisi de s’exprimer en toute liberté et indépendance”.
Il insiste sur l’importance du déroulement des municipales, un droit et un devoir consacrés par la Constitution. “Leur tenue, dit-il, a été tout à l’honneur du président Hraoui qui a insisté pour qu’elles aient lieu.”
Dans le cadre de cet entretien, il évalue les résultats du scrutin et leur impact à l’échelle nationale, appelant à une réforme de la loi sur les municipalités, en vue de préserver la convivialité consacrée par la Constitution.
 
 

LE PEUPLE, MAÎTRE DE SA DÉCISION
- Aux municipales de Kobeyate, treize des dix-huit membres du conseil municipal nouvellement élus, sont de la liste que vous avez patronnée. Cette victoire est-elle une revanche de votre double défaite aux législatives de 1996 et aux partielles de 1997?
“En vérité, les élections reflètent la volonté du peuple et il est mal à propos de parler de revanche. L’électeur a voulu exprimer en toute liberté, détachement, intégrité et réalisme son point de vue. Il s’est trouvé en des circonstances où un climat de liberté et de démocratie lui a été assuré; pour cela, il a été maître de sa décision.
“Je ne veux pas considérer qu’il y a eu dans ce vote une attitude de revanche ou autre. Tout simplement, grâce au climat et à l’ambiance qui ont prévalu à ces municipales, le peuple a eu la possibilité de s’exprimer, en toute liberté, tel qu’il le désire. Evidemment, si ce même climat avait prévalu lors des législatives, les résultats auraient été différents.”

- Vous considérez donc que les municipales ont été libres et intègres; qu’il n’y a pas eu interférence de la part de l’Etat?
“Oui, mon témoignage est crédible, vu que j’appartiens davantage au courant de l’opposition que des loyalistes.
“Il y a eu, tout d’abord, la formation des listes. En ce qui concerne la nôtre, nous avons travaillé à rapprocher les points de vue entre différents candidats, en prenant en considération le facteur familial, le quartier, les compétences, les capacités et l’orientation générale pour le développement de la localité. La liste a groupé des médecins, des ingénieurs, des avocats et il y avait une entente et une coordination entre ses membres.
“En face, une deuxième liste a été formée à partir d’une coalition entre l’actuel ministre et député du Akkar, M. Fawzi Hobeiche et un candidat aux législatives, Me Joseph Mikhaël.
“La présence d’un troisième noyau de candidats indépendants ayant systématiquement barré cinq noms de notre liste, a permis à cinq candidats de la deuxième liste de percer la nôtre.
“En définitive, ces élections ont été une victoire, non pour des personnes, mais pour les fils de Kobeyate qui ont voulu s’exprimer en toute liberté.”

LES CAUSES DE LA RÉUSSITE
- Y a-t-il eu des tentatives pour former une liste d’entente?
“Oui, mais les deux courants étaient éloignés et le peuple était convaincu que l’une des listes subissait des pressions, alors que l’autre était libre et indépendante.”

- Quels ont été, en définitive, les facteurs essentiels ayant permis la réussite de votre liste?
“Cela a été dû, essentiellement, à une réaction vis-à-vis de ce qui s’est produit lors des législatives de 1996 et 97. Les citoyens ont voulu prouver qu’ils étaient les maîtres de leur décision et en donner la preuve.
“Bien sûr, la personnalité des candidats, leur crédibilité, l’espoir rattaché à ces jeunes ont joué. Mais l’aspect politique était prédominant.”

- La liste avait-elle un programme d’action bien défini?
“Elle avait plutôt un programme global axé sur le développement de la localité en tout domaine. Kobeyate jouit d’un climat tempéré, a une grande richesse forestière, une terre fertile et de beaux paysages naturels. Les différents services y sont assurés: routes, eau, électricité, téléphone. Ses habitants sont hospitaliers, respectueux des normes et des valeurs.
“Il nous faut en faire une ville touristique et cela exige toute une infrastructure adéquate. Nous espérons que le nouveau conseil municipal pourra transformer la localité en centre touristique, afin que les Libanais et les visiteurs étrangers puissent découvrir cette région accueillante et paisible, où il fait bon vivre.”

UNE VICTOIRE MORALE
- Avez-vous patronné d’autres listes dans le Akkar?
“Oui, mais sans trop interférer dans le scrutin. Car lorsqu’il s’agit des affaires propres au village, les gens préfèrent s’occuper eux-mêmes de leur “cuisine interne”. Par contre, le courant du libre choix qui s’est manifesté à Kobeyate a eu ses prolongements dans toute la région. Pour cela, je redis que ces élections ont consacré la victoire des gens qui ont voulu voter en toute liberté.”

- Les résultats des élections municipales vont-ils avoir des répercussions sur les législatives dans deux ans?
“Ces municipales peuvent être considérées comme un référendum, à travers lequel la population s’est exprimée librement. J’ai reçu des appels, non seulement du Nord, mais de toutes les régions du pays, disant que ces élections sont une victoire morale pour le peuple.”

JE N’AI PAS ÉCHOUÉ AUX LÉGISLATIVES
- Les résultats vous donnent-ils un nouvel espoir de réussir aux prochaines législatives?
“En fait, je n’ai pas échoué aux législatives de 1996 ou de 1997. Il y avait des circonstances exceptionnelles et des pressions imposées, afin que je ne puisse pas réussir. La raison en est connue de tous: j’avais voté contre la prolongation du mandat présidentiel par respect de la Constitution.
“Aux élections partielles de 1997, tous les leaders du Nord, aussi bien mes alliés que mes adversaires, se sont coalisés contre moi de façon quasi-unanime. J’ai réussi, pourtant, à obtenir par ma seule force 43.000 voix, alors que les autres en ont obtenu 82.000. Peut-on considérer ce score comme un échec? Ce ne fut pas pour moi une défaite, mais une victoire et on ne peut pas sous-estimer les électeurs qui ont fait face à toutes les pressions du pouvoir, de l’argent (en millions de dollars) et des médias qui étaient tous mobilisés dans une même orientation.”

J’AI TOUJOURS TRAVAILLÉ POUR LE SERVICE PUBLIC
- Peut-on dire que cette victoire au plan municipal peut contribuer à faire de vous un candidat favori aux présidentielles?
“Vous savez bien qu’un candidat aux présidentielles doit avoir une base et une assise populaires. Grâce à Dieu, nous ne nous sommes jamais éloignés de la base et vice-versa.
“En ce qui concerne les présidentielles, mon nom, comme vous le savez, a été proposé il y a dix ans de façon très sérieuse. Rien n’a changé concernant la volonté de remplir cette mission. Car qu’est-ce que la présidence de la République sinon une position permettant à son titulaire de servir son peuple et son pays?
“Par ailleurs, la présidence de la République assume toujours de grandes responsabilités, bien qu’on ait tendance à dire que Taëf a réduit les prérogatives du chef de l’Etat.
“Non, je ne suis pas d’accord et je parle en connaissance de cause, puisque j’étais à Taëf. A partir du moment où on s’occupe de la chose publique, on ne peut se désintéresser de la première magistrature.”

- On comprend de vos propos que vous ambitionnez toujours cette haute charge?
“Rien n’a changé. J’ai toujours travaillé pour le service public et je continue à le faire. Accéder à la présidence est, dès lors, le sommet de toute action qui permet de réaliser ce qu’on a dans l’esprit et la conscience comme ambitions pour son peuple et son pays.”

- Les “décideurs” vont-ils se montrer plus disposés à votre égard?
“Pourquoi pas? Aujourd’hui, on voit mal quelqu’un arriver à la présidence de la République, s’il est loin du peuple, s’il n’a pas une base populaire, s’il n’est pas respecté du côté chrétien, comme du côté musulman; s’il n’a pas de bonnes relations avec tout le monde et, surtout, avec les “décideurs”.
“Pour ma part, mes relations ont toujours été bonnes avec toutes les parties. Je crois en des relations profondes et stables entre le Liban et la Syrie, ceci dans l’intérêt du Liban qui a besoin de coopérer de façon intense et privilégiée avec son plus proche voisin et d’avoir des relations normales avec tous les Etats frères et amis surtout les pays influents et, à leur tête, les Etats-Unis. Il ne s’agit pas d’attitude émotive et affective; l’intérêt du Liban l’exige.”

Mikhaël Daher: “Les élections municipales
ont constitué une victoire morale pour le peuple.”

L’AMENDEMENT DE LA LOI SUR LES MUNICIPALITÉS S’IMPOSE
- Revenons aux municipales. Quelles leçons doit-on retenir des résultats de Tripoli et de Beyrouth?
“L’expérience de Tripoli fut dure et amère. Il aurait fallu que le principe de la convivialité fût respecté et représenté au sein du conseil municipal de la capitale du Nord. A Beyrouth, il l’a été mais uniquement du fait qu’une liste consensuelle groupant les différentes forces vives et politiques a été formée. Autrement, qui sait ce qu’auraient été les résultats?
“Pour cela, nous ne devons pas avoir honte de réclamer l’amendement de la loi sur les municipalités, de sorte que dans les villes où il y a une mosaïque communautaire, la loi définisse le droit de chaque communauté à être représentée au sein de la municipalité de façon juste et équitable.
“A cet effet, je voudrais rappeler ce qui est dit dans le préambule de la Constitution: “Pas de légitimité à toute autorité qui contredit le pacte de la convivialité.”
“De même qu’à Tripoli la loi a prévu sur les huit députés de la ville un maronite, un orthodoxe, un alaouite et cinq sunnites, il faudrait respecter la même proportion au sein d’un conseil municipal de 24 membres où il devrait y avoir, trois maronites trois orthodoxes, trois alaouites et quinze sunnites.
A Beyrouth, l’équilibre a été respecté du fait de conditions données. Si elles venaient à changer qu’adviendrait-il du respect de la convivialité? D’où la nécessité de consolider la vie conviviale par des textes de loi, de sorte que tous soient protégés aussi bien par rapport aux législatives qu’aux municipales.”

- Que dire de la victoire des “Forces libanaises” à Bécharré?
“Tout comme à Kobeyate, les habitants de Bécharré ont pu s’exprimer en toute liberté. La majorité a décidé et il a été prouvé que ce courant est présent en force dans la localité et sa région. Déjà, lors des élections du comité de Gebran, les F.L. s’étaient imposées et, aux municipales de Beyrouth, leur candidat a figuré sur la liste consensuelle.”

DÉCENTRALISATION ADMINISTRATIVE
- La prochaine étape devra-t-elle être celle de la décentralisation administrative, afin que les municipales puissent avoir un réel pouvoir local?
“Avant d’aborder la question de la décentralisation administrative, je voudrais insister sur l’importance de l’organisation des municipales. En se référant à la Constitution, on relève que le Liban est lié aux institutions arabes et internationales dont il respecte les chartes. Les élections, de façon périodique et sur la base du vote secret étant un devoir constitutionnel. De même, le “pacte international relatif aux droits civils et politiques” auquel le Liban a adhéré en 1972, affirme dans son article 25: “Tout citoyen a le droit et la possibilité sans aucune discrimination et sans aucune restriction déraisonnable de prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis; de voter et d’être élu au cours d’élections périodiques honnêtes au suffrage universel et au scrutin secret assurant l’expression libre de la volonté des électeurs.”
“C’est dire à quel point ces élections municipales étaient importantes, leur tenue étant un point d’honneur à l’actif du régime et du président Hraoui.
“Quant à la décentralisation administrative, elle était l’une des réformes essentielles préconisées par Taëf. Si elle tarde à être mise en application, c’est que les responsables ne sont pas encore d’accord sur le découpage électoral en petites, moyennes ou grandes circonscriptions.
“Quoi qu’il en soit, après les municipales, il a été prouvé que la véritable représentativité se fait au niveau des petites circonscriptions, mais toujours dans le respect de la convivialité. Il faudrait que l’Etat étudie ce découpage administratif avec sérieux et le plus vite possible. Ce sera, sans doute, l’un des premiers objectifs du prochain régime.”
 

NELLY HÉLOU

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