Chronique


Par JOSE M. LABAKI  

 

LE FONDS MONÉTAIRE INTERNATIONAL ET LA BANQUE MONDIALE EN DIFFICULTÉ?

Certes, l’impensable est advenu. Voici toute l’Asie orientale entraînée dans une récession et une tourmente financière sans précédent, apte à se propager dans l’ensemble de la planète, ce qui pourrait donner raison aux prophètes du malheur du “choc des civilisations”, et aux pourfendeurs du FMI et de la BM. Pour les hautes instances de la finance mondiale, rien ne va plus entre le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et les économies en mauvaise posture, que ce soit en Asie, en Russie ou ailleurs. Pour certains experts en la matière, le médecin-traitant n’a plus confiance en la ferme volonté de ses patients de sortir du malaise accablant aussi facilement qu’on le croit, tandis que ces derniers mettent en cause la légitimité du clinicien. 
Entre-temps, le Fonds monétaire international refuse, catégoriquement, une nouvelle dose de prêts à la Russie de Boris Eltsine, sous prétexte que son gouvernement applique au compte-gouttes la recette qui lui a été administrée. Et ce sont les palliatifs anodins préconisés en Asie par le FMI qui sont de plus en plus réprouvés. 
Pour ses détracteurs, le FMI n’est qu’un médecin médiocre et déroutant, arguant qu’un an après le déclenchement de la crise asiatique, ni la confiance, ni la croissance promises en compensation d’une politique économique hyper-rigoureuse n’ont été au rendez-vous, le temps des moratoires et des indulgences étant révolu. En effet, aucun des pays dans le collimateur du FMI et de la Banque mondiale (Corée du Sud, Indonésie et Thaïlande), n’ont été à l’écoute. Même les experts de ces deux organismes reconnaissent qu’ils se sont carrément trompés. 
Lors des prochaines réunions au mois d’août à Washington entre la BM et le FMI, les experts de ces deux organismes se verront obligés d’annoncer, officiellement, que ces pays resteront en récession au-delà de l’an 1998-99, si ce n’est plus. Or, il y a juste deux mois, ces mêmes experts prévoyaient la fin de la tourmente asiatique annonçant à cor et à cri, un taux de croissance de 2,5 à 4,5%. 
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Face à d’aussi flagrantes erreurs et gabegies, les protestations battent leur plein. Economistes de renommée mondiale inondent la presse de critiques acerbes à l’encontre du FMI et la BM, tels le célèbre économiste de Harvard, Jeffry Sachs et le non moins avisé Charles Wiploz de l’Institut des Hautes Etudes de Genève. Les responsables du FMI et de la BM, font la sourde oreille. “Ils n’écoutent pas nos conseils, affirment-ils; ils ont débarqué en Asie pour éteindre l’incendie, en usant de la même méthode appliquée au Mexique en 1995, dont voici les données principales: 1 - Fermer les vannes de la dépense publique pour renflouer les caisses de l’Etat. 2 - Relever les taux d’intérêt pour stabiliser la monnaie et arrêter l’hémorragie des capitaux. 3 - Libérer les secteurs encore à l’abri du commerce mondial. Ce traitement aurait suffi pour le redémarrage des exportations, mais il y a eu erreur de diagnostic sur la faillite asiatique considérée comme un coup fatal menaçant à la fois les entreprises privées, les banques et les infrastructures. Les Asiatiques n’ayant pas eu recours à leur voisin le Japon, lui-même au bord du gouffre, alors que le Mexique pour relancer son économie a profité de l’essor maximilisé de son voisin américain, vers lequel il écoule 80% de ses produits, aisément. 

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Pour le centre d’études prospectives et informatiques internationales, les Américains n’ont pas su profiter en Asie, lorsque l’occasion était propice à faire payer à ces économies émergentes leur impertinente réussite. 
Les Etats-Unis, tels les sapeurs-pompiers arrivent après que l’incendie a tout consommé. Il a fallu, par exemple, attendre la mi-juin pour venir à la rescousse du Japon et consacrer quelques milliards de dollars à sa monnaie défaillante. 
Pour le Financial Times, tout le monde est responsable. Des Japonais aux abonnés absents, des Américains qui ont toujours joué la politique du pire, des Européens qui ne sont pas habitués à utiliser la force de “l’euro” sur les marchés. Et c’est à cause de cette insouciance que le yen a dérapé en juin après l’échec de la réunion des ténors du G7 à Tokyo. 
Le Fonds monétaire international doit venir au secours de tout pays, dès lors que celui-ci le sollicite. Toutefois, en aurait-il encore les moyens au cas où les multiples économies venaient à éclater à la fois? Selon des sources bien informées, il dispose notamment des contributions que lui versent ses 180 partenaires. Mais depuis un certain temps, il est, semble-t-il, à court de réserves. Il a fallu venir en aide au Mexique, en débloquant 19 milliards de dollars et en mobilisant près de 110 milliards pour arrêter l’hémorragie asiatique. Actuellement, ses réserves s’estiment entre 10 et 15 milliards, de quoi faire face à l’appel de la Russie, au cas où il se décide à lui faciliter un nouveau prêt. Mais au-delà, il faudrait que les pays membres remplissent les pots. Ce faisant, il va falloir, impérativement, l’accord du congrès américain. 

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En l’absence d’un leadership politique, le FMI se trouve seul avec sa mauvaise gérance, laissant les économies malades affronter deux risques majeurs: un pouvoir d’achat à ras-de-sol, pour rigueur budgétaire et des entreprises sacrifiées par des taux d’intérêt exorbitants, de l’ordre de 25 à 30%. Car, pour produire, les entreprises ont besoin d’importer des matières premières et des pièces de rechange dans des proportions considérables. 30% du PIB en Indonésie sont importés, 40% en Thaïlande, en Corée du Sud, à peu près le même. Quand les crédits sont coupés, les importations s’avèrent de plus en plus difficiles, voire impossibles, les conséquences ne peuvent qu’être désastreuses. Flambée de faillites, chômage, soulèvements sociaux. L’Indonésie en a montré récemment les dangers les plus catastrophiques. Le camp sceptique du FMI, en a pris conscience, combien il est dangereux de fermer tous les robinets à la fois. 
Pour l’ancien président de la Commission européenne Jacques Delors, le symptôme d’un ébranlement bien plus profond qu’il n’y paraît, inquiète l’Occident: “C’est d’un Conseil de sécurité économique que le monde a besoin. Le temps est venu, dit-il, des architectes d’un ordre mondial ni parfait ni idyllique, où chacun retrouve le sens de sa responsabilité et la grandeur de la politique pour maîtriser ce flux croissant de faillites qui touchent tous les habitants du village planète. 
Et de poursuivre: Dans un monde où règnent les effets de mode au détriment de la rigueur et du travail intellectuels, l’hécatombe des modèles tant vantés se poursuit. Après la crise asiatique, c’est au tour du Japon de donner dans cette longue mésaventure initiée par l’éclatement de la bulle financière, le spectacle de l’impuissance à remettre l’économie sur de bons rails. Pour cela nous aurons toujours besoin de pompiers, qu’ils soient sollicités d’intervenir où soient eux-mêmes les auteurs de la crise, comme le témoigne la fièvre asiatique. Le Fonds monétaire international et la Banque mondiale sont les premiers concernés. Les erreurs sont désormais intolérables. 

 
 “En imposant une purge draconienne à des pays déjà saignés à blanc, le FMI et la BM réinventent la politique suicidaire des années 30.” 

Jeffry Sachs 
(Economiste de l’Institut Harvard) 

 

 
 

 

  

 


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