ENTRETIEN AVEC LES TROIS AMBASSADEURS DEFERES DEVANT LE PARQUET FINANCIER

L’enquête sur la “corruption administrative” n’a jamais réussi au Liban et le président Charles Hélou dit que ce fut “le dossier le plus amer” de son sexennat. Les gouvernants actuels abondent dans le même sens, eux qui se sont brûlés les doigts dans la réforme administrative, en licenciant un certain nombre de fonctionnaires que la magistrature a réhabilités.
Une décision a été prise, dernièrement, par le Conseil des ministres déférant trois anciens ambassadeurs libanais devant le Parquet financier, deux d’entre eux devant être soumis à une enquête de la part du conseil de discipline, sous l’inculpation “d’irrégularités financières” dans l’exercice de leurs fonctions à l’étranger.
Ce sont MM. Souhail Chammas, Amine Assi et Elias Ghosn qui occupaient le poste d’ambassadeurs, respectivement,
à Bonn, Athènes et à Abou-Dhabi (EEAU).

Souhail Chammas: “Ma confiance dans la Justice est grande”
“Jusqu’à présent, nous a confié M. Chammas, je n’ai rien compris à cette histoire, dont j’ai pris connaissance à travers les journaux, à savoir que le Conseil des ministres en a saisi le Parquet général financier.”

- Et qu’en est-il de l’accusation portée contre vous?
“Je n’en connais pas les détails. Du moment que l’affaire a été confiée à la Justice, que la loi suive son cours normal. Quant à moi, j’ai pleine confiance dans la magistrature que je respecte.”

- Les accusations seraient-elles d’ordre administratif, exclusivement, ou bien auraient-elles quelque aspect politique?
“J’attends l’arrêt de la Justice; je ne veux pas m’adonner à des analyses et avancer des arguments avant de comparaître devant les juges. J’ai hâte d’être informé de tous les détails pour pouvoir les réfuter par des faits et des vérités corroborées par des pièces justificatives.”

- Au palais Bustros, on dit que les experts chargés d’enquêter auprès de vingt-cinq missions diplomatiques libanaises à l’étranger, ont découvert certaines irrégularités...
“Les gens, proches et éloignés, me connaissent, autant que le climat qui règne dans le pays. Je préfère laisser à la Justice toute latitude de tirer au clair cette affaire. Cependant, il n’est pas permis d’attenter à la dignité des citoyens. Je ne voudrais pas, en tout cas, évoquer une question que je discute avec eux depuis des années.”

- De quelle question s’agit-il?
“Ne m’embarrassez pas et je n’en parlerai pas maintenant, car je ne m’attendais pas à ce que les choses en arrivent à ce point. Je révèlerai tout au moment opportun et donnerai la priorité à “La Revue du Liban” et “Al-Hawadess” en raison des relations amicales qui me rapprochent de M. Melhem Karam, leur rédacteur en chef.
“Tout ce que je peux dire est que ma conscience est tranquille et je n’ai rien à me reprocher. De toute manière, je connais les mobiles des accusations portées contre moi.”


M. Souhail Chammas a dirigé pendant de longs mois la délégation
libano-israélienne aux négociations de paix à Washington dont voici le logo.



Amine Assi: "On me poursuit parce que  je ne suis pas coopératif”

De son côté, M. Amine Assi, ancien ambassadeur à Abou-Dhabi, a bien voulu nous faire la déclaration suivante: “J’avais reçu une avance de l’Administration centrale, lors de la maladie de mon épouse qui est décédée par la suite. Le montant que j’avais obtenu, est déduit de ma mensualité.”

- Pourquoi vous poursuit-on donc après plusieurs années?
“Probablement, parce que je suis d’une localité déterminée et pèche par mon manque d’esprit coopératif.”

- Depuis quand l’avance vous-a-t-elle été accordée?
“Depuis plusieurs années et j’ignore pourquoi ils s’en sont rappelés aujourd’hui, alors qu’ils connaissent mon souci de préserver les fonds publics, ma probité et ma moralité. Les Libanais de l’Etat des émirats arabes unis ont offert de m’aider, mais j’ai décliné leur offre et, à la fin de ma mission, ils ont voulu me récompenser. Je me suis contenté d’accepter un cadeau symbolique.
“Je tiens à préciser que j’ai vendu tous mes biens au Liban pour tenter de sauver mon épouse, les frais que son traitement a nécessités approchant du million de dollars. Je lui ai fait suivre des traitements en Allemagne et en France à quatre reprises.”

- Depuis quand l’Administration centrale déduit-elle l’avance de votre mensualité?
“Exactement, depuis trois ans et demi et à aucun moment, je n’ai tenté de me débiner. Mais il s’agit moins d’une question d’argent que de haine et de rancune.”

- Quel était le montant de l’avance?
“Elle s’élevait à 400.000 dollars. L’ambassadeur du Liban au Vatican est confronté, aujourd’hui, à un cas pareil au mien; aussi, a-t-il obtenu une avance de 300.000 dollars.”

- Seriez-vous au courant du chef d’accusation porté contre M. Souhail Chammas?
“Il avait obtenu une avance depuis sept ans et ils s’en sont souvenus maintenant. C’est de cette manière qu’ils nous récompensent, après avoir servi avec zèle notre patrie. Je ne voudrais pas provoquer de scandales, mais je peux révéler les noms de personnes qui se sont rendus à l’Etat des émirats arabes unis pour solliciter des aides au profit d’institutions fictives. J’ai refusé de leur faciliter la tâche; ma conscience m’en a empêché.
“Ce qu’ils accomplissent, aujourd’hui, à notre encontre est un acte hostile prémédité. De toute façon, j’ai pleine confiance dans la Justice et sa probité.”

- Vous soumettrez-vous à l’enquête?
“J’ai déjà dit que j’ai confiance dans la magistrature que je respecte, mais il faut la maintenir à l’abri des politiciens.
“L’affaire n’aurait pas dû en arriver là, car il faut sauvegarder la dignité des gens, d’autant que je rembourse l’avance et j’ai accompli mon devoir de la meilleure façon possible.”



Elias Ghosn: “J’espère en l’ouverture du dossier politique”

M. Elias Ghosn assure n’avoir pas été encore notifié de la décision du Conseil des ministres le déférant devant le Parquet général financier.
“J’ai confiance dans la Justice et sa crédibilité, dit-il, et je préfère ne pas devancer l’enquête. Lorsque celle-ci débu-tera, tout apparaîtra au grand jour, dans l’espoir que le grand nettoyage commencera dans tous les domaines et les secteurs, tant admi-nistratifs que politi-ques.”

- Comment comptez-vous traiter ce dossier?
“Bien que je n’ai pas été notifié de la décision gouvernementale, je me suis rendu au palais de Justice pour me placer à sa disposition, car de telles affaires portent  atteinte au renom des gens et à leur dignité. Mais celui qui a la conscience tranquille et n’a rien à se reprocher ne redoute pas de pareilles accusations.
“Il est facile d’accuser, mais difficile de prouver les accusations. De toute manière, la Justice tranchera et la vérité éclatera au grand jour.”

- De quoi s’agit-il, en fait?
“Je ne voudrais pas devancer l’enquête, ma confiance étant entière dans la Justice, comme je l’ai déjà dit; c’est elle qui mettra les choses au clair. La personne innocente n’a pas recours aux pressions, ni aux médias. Je respecte la Justice et sa crédibilité; puis, ma conscience est tranquille.
“Je tiens à préciser que deux des trois ambassadeurs poursuivis devant le Parquet financier, étaient des piliers de la IIème république. J’ai été le premier membre du corps diplomatique à avoir reconnu la légitimité du président Elias Hraoui.”

Joseph Melkane

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