Bloc - Notes

Par ALINE LAHOUD  
 

À LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU*

En attendant l’avènement d’un nouveau président, ou plutôt l’issue des présidentielles qui aura lieu dans moins de deux mois, toute la république s’est mise en points de suspension...
Tous les problèmes, même les plus brûlants, sont mis au frigo. L’échelle des salaires, qui aurait dû être votée depuis un an, semble avoir été renvoyée aux calendes grecques. Même sort à la loi sur les loyers. La crise économique, on n’en parle plus. Quant à la réforme de l’administration, elle n’est plus qu’un vague souvenir égaré quelque part dans les archives.
La réfection du réseau routier, la pénurie d’eau, l’électricité, le téléphone, les taxes délirantes, la nationalité aux émigrés, le coût de la vie... Tout est marginalisé, occulté par l’échéance présiden-tielle. C’est quand même prodi-gieux cette étrange faculté que dévelop-pent nos responsables et qui fait qu’ils attendent tout - ou font semblant - d’un homme qui, de par les rares prérogatives qui lui restent, ne peut rien ou presque.
Insensé, illogique, peut-être, mais c’est comme ça. Et quand vous insistez auprès d’un de ces responsables pour un projet vital ou une formalité urgente, on vous oppose la même réponse: nous n’avons pas le temps.
Et pourquoi diable ne l’auriez-vous pas ce temps? Qu’êtes-vous en train d’en faire? Où le passez-vous, à part dans les voyages d’agrément, bien entendu?
En fait, vous avez si bien organisé votre pagaille et notre néant que nous ne savons ni de quoi vous vous occupez, ni comment vous vous occupez, ni pourquoi vous êtes toujours occupés, ni à quoi nous pourrions nous occuper en attendant que vous vous désoccupiez.
Le temps vous manque, dites-vous? Et pourquoi? Qu’êtes-vous en train d’en faire? Que faites-vous du temps: le vôtre que nous vous payons pour que vous le perdiez; le nôtre, que nous perdons à vous le payer?
Savez-vous, au moins, où passe ce temps que nous avons placé entre vos mains à fonds perdus et sur lequel vous tirez à découvert?
Dans nos procès qui blanchissent sous la poussière des ans, en attendant les “attendus” de décade en décade.
Dans l’avenir de nos enfants que l’aube de chaque rentrée jette dans la rue, faute de places dans les écoles?
Dans nos déplacements à travers une capitale surcompressée où la hideur du béton armé a remplacé les espaces verts, raréfiant l’air que nous respirons jusqu’à l’asphyxie.
Dans les hôpitaux où nous traînons nos foies, nos reins, nos poumons rongés par la pollution d’un environnement rendu plus dangereux que la plus vicieuse des guerres civiles.
Dans une bataille de tous les instants, sans cesse engagée, toujours perdue, contre une administration tentaculaire qui pratique avec un égal bonheur l’exaction et la prébende, l’extorsion et la gabégie, la corruption et le chantage, le trafic d’influence et la traite des pauvres.
Dans le dédale des lois toujours violées, jamais appliquées sauf sur les imbéciles dont nous sommes.
Dans la trame serrée du tissu d’injustices que sont vos règlements et vos impôts, vos faveurs et vos rigueurs, les devoirs que vous nous imposez, les droits que vous nous réclamez.
Dans notre quête jamais finie et toujours vaine d’une halte à l’ombre, faute d’une place au soleil que vous monopolisez.
Pendant ce temps (puisqu’il s’agit de temps) et en attendant que les décideurs se décident à décider, notre NÞ1 est en train de dépoussiérer ses valises, avec l’espoir inavoué de n’avoir pas à les boucler. Le NÞ2 se fait dorer sur tranches au soleil de l’Italie et le NÞ3 reconverti dans le tourisme, joue les guides au bénéfice de ses prédécesseurs, à travers un grand sérail qu’il n’est pas loin de considérer comme sa propriété exclusive.
Quant à nous, il ne nous reste plus qu’à prendre notre mal en patience. Comme disait l’autre: “Il faut donner du temps au temps”. 

* Titre général de l’ensemble romanesque de Marcel Proust.


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