- Avec qui avez-vous effectué des contacts avant de proclamer
votre candidature?
“En toute franchise, j’ai simplement mis les membres de la “Rencontre
nationale” au courant de ma décision. Puis, j’ai proclamé
différentes positions dans les médias laissant entendre que
j’allais annoncer ma candidature.
“Evidemment, le jour-même, je me suis rendu chez le chef de l’Etat,
par respect pour sa position, afin de lui remettre une copie de la déclaration
que je devais faire au cours d’une conférence de presse et de mon
programme, avant de les rendre public.
“Pour être conséquent avec moi-même, j’ai jugé
qu’il fallait entamer les contacts et les concertations après la
proclamation de ma candidature. Ma première visite a été
à Sa Béatitude le patriarche Sfeir, pour le mettre au courant
de ma décision, non pour demander son appui. Car, je ne voudrais
pas que le patriarcat maronite soit impliqué dans le choix des présidentiables.”
NE PAS IMPLIQUER BKERKÉ
- On dit, pourtant que, cette fois, Bkerké aura son mot à
dire plus que par le passé!
“Je refuse de lier ma candidature à mes rapports avec le patriarcat
maronite. Je suis candidat en tant que citoyen libanais et membre du parlement.
Tous les présidentiables sont ses fils et aucun ne voudrait l’impliquer
dans cette échéance.
“Ce qui ressort, pour l’heure, de l’attitude de Sa Béatitude
est son insistance à poser les qualifications qu’il souhaiterait
voir en la personne qui accèdera à la première magistrature.
Dans son homélie du dimanche 30 août, il a présenté
une thèse sur ces qualités.”
- Vous retrouvez-vous dans ces qualifications?
“Je n’ai pas la prétention de la perfection que le patriarche
ambitionne pour le futur chef de l’Etat. Je l’aurais souhaité, mais
je me retrouve dans certaines de ces qualifications.”
- La “Rencontre nationale” auquel vous appartenez n’a pas pris position
vis-à-vis de votre candidature; pourquoi?
“Ceci n’est pas demandé. Nous sommes un rassemblement de personnalités
politiques, membres du parlement, qui se sont retrouvés autour de
plusieurs idées communes et souhaitons qu’il y ait une entente entre
nous vis-à-vis des présidentielles. Que ce soit moi ou toute
autre personne de cette rencontre, qui arrive à la présidence,
dont mon confrère Nassib Lahoud, nous formons une même équipe
de travail.”
LE LIBAN N’EST PAS UN îLoT ISOLÉ
- N’avez-vous pas pris contact avec le “décideur” et obtenu
le “mot de passe” avant de proclamer votre candidature?
“Non, je ne l’ai pas fait et je n’ai pas obtenu le mot de passe. Certes,
le Liban n’est pas un ilôt isolé et subit, comme toutes les
parties de notre planète, les influences internationales et régionales.
Chacun sait que le “monde est devenu un petit village”.
“Cela ne veut pas dire, pour autant, qu’on a le droit d’ignorer le
rôle de l’opinion publique dans le choix du futur président,
appelé à répondre aux multiples défis auxquels
la nation sera confrontée dans l’étape à venir et
avec le troisième millénaire.”
- Votre candidature vise-t-elle, en quelque sorte, à secouer
l’opinion publique, pour l’amener à prendre part à cette
échéance?
“Bien sûr! Dans ma conférence de presse, j’ai beaucoup
insisté sur le fait que ces élections sont en train de se
faire à l’insu et “derrière le dos” du peuple libanais. Si
l’opinion publique n’a pas une voix directe à donner vu notre système,
elle peut devenir une force de pression sur les députés de
la nation qui, eux, sont appelés à élire le président.
On n’a donc pas le droit d’écarter l’opinion publique, groupe de
pression de base de cette échéance.
“Pour cela, j’ai considéré qu’il était de mon
devoir national de présenter ma candidature. Les seules personnes
avec qui je me suis concerté, étaient celles qui appuient
mes positions politiques.”
NON À LA “POLITIQUE DE DÉSISTEMENT”...
- Certains considèrent qu’à travers votre candidature,
vous avez donné un crédit aux “décideurs” en faisant
croire que cette élection était démocratique, alors
qu’elle ne l’est pas!
“Je considère que cela aurait été bien plus grave
si aucun Libanais n’avait osé présenter sa candidature. Certes,
je ne peux satisfaire tout le monde et je n’en ai pas la prétention.
J’ai de même accueilli, favorablement, les critiques de mon programme.
Car je suis un démocrate et respecte l’opinion d’autrui. Mais je
refuse la “politique de désistement”, de crainte d’être accusé
de servir de couverture.
“Les arguments que vous avancez ont de même été
brandis lors des élections législatives. J’ai choisi, en
1996, d’y participer et le peuple m’a exprimé son appui par un vote
favorable. Il est de notre devoir de participer à la solution des
problèmes et non de nous confiner dans une attitude attentiste.
Le temps est un élément destructeur et non positif. Se désister
de ses devoirs, c’est se désister de son peuple et de sa patrie.
Ma candidature repose ma conscience; j’espère qu’elle répond
aux aspirations des citoyens.”
- Quelles sont vos chances dans la conjoncture locale et régionale?
“Je ne voudrais pas anticiper et parler de mes chances ou des implications
de ma candidature. Je pourrais y répondre à la suite des
contacts avec les différentes forces politiques.
“Je sais que nous sommes loin d’être dans une situation démocratique
saine et que les implications internationales, régionales et même
internes ne favorisent pas un tel climat. Ceci ne doit pas, pour autant,
empêcher ceux qui croient en cette vie démocratique, d’essayer
de ramener les choses à leur véritable contexte et de lancer
la confrontation avec sérieux.
“Je suis de ceux qui croient que, même aux heures et circonstances
les plus dures, s’accrocher aux principes sur lesquels s’édifie
une nation est la planche de salut. Y renoncer porterait un coup fatal
au Liban.”
LE PRÉSIDENT A TOUJOURS ASSEZ DE PRÉROGATIVES
- D’aucuns se demandent quel intérêt a un présidentiable
de proposer un programme, du fait que le chef de l’Etat n’a quasiment plus
de prérogatives depuis Taëf?
“Ce n’est pas vrai! J’ai longuement évoqué cette question
dans ma conférence de presse. Ceux qui disent que le président
de la République n’a plus de prérogatives, ne connaissent
pas la Constitution et ne l’ont pas lue. Certes, il a perdu une partie
des prérogatives qu’il avait par le passé, mais il en a toujours
assez lui permettant de jouer un rôle très actif.”
“Pourquoi veut-on nous imposer un chef d’Etat n’ayant ni point de vue,
ni couleur, ni orientation? Autant placer une statue à Baabda!
“A mon avis, le président de la République, père
de tous les Libanais, est le symbole de l’unité nationale, le garant
de son régime démocratique, des libertés, des institutions
constitutionnelles, à travers lesquelles il peut appliquer sa vision
et son orientation d’ensemble dans l’intérêt de la nation.
Il préside le Conseil des ministres quand il le souhaite et a recours
à l’opinion publique à travers les messages qu’il lui adresse.”
- Qu’en est-il de l’amendement de l’article 49 de la Constitution?
“Ma proposition vise à maintenir cet article tel quel et à
y ajouter un paragraphe portant sur les modalités de la candidature
et sur un mécanisme précis à adopter. De sorte que
ceux qui briguent la première magistrature, présentent leur
candidature, officiellement et non qu’on aille les tirer de leur maison
le jour du vote. Il faudrait que la bataille pour les présidentielles
devienne transparente et démocratique.
“Je suis contre les amendements proposés, indépendamment
des personnes à qui ils profiteraient. Car, les arguments et raisons
ayant justifié cet article, existent toujours.
“Mais si la majorité parlementaire décide de l’amender,
je serai pour qu’on l’élimine, dès lors, carrément,
car nous ne pouvons pas nous jouer continuellement de la Constitution et
en décider selon nos affinités et les circonstances du moment.
Cela cause du tort à l’image du Liban démocratique, à
notre système et à la Constitution elle-même.”
OUI, POUR HARIRI SOUS CONDITION
- Vous êtes un opposant. Or, M. Hariri a déjà
proclamé sa candidature pour la présidence du Conseil sous
le prochain régime. Allez-vous collaborer avec lui?
“Le chef de l’Etat ne nomme plus le Premier ministre, mais la majorité
parlementaire suite aux consultations prévues par la Constitution.
“Certes, l’entente est indispensable entre le président de la
République et le Premier ministre, concernant la formation du Cabinet
et les orientations à suivre. D’ailleurs, c’est au chef de l’Etat
de signer le décret de formation du Cabinet, ce qui constitue une
grande prérogative et la clé du pouvoir au Liban.
“Si le président Hariri est prêt à revoir certaines
politiques erronées qu’il a suivies par le passé, il n’y
a pas d’objection à collaborer avec lui. Sinon ce sera difficile.
“De même, on ne peut plus retomber dans l’hérésie
où le président a une politique, le Premier ministre en a
une autre et le président de la Chambre, une troisième. L’opposition
au sein du gouvernement est, aussi, refusée. Il faut qu’il y ait
un minimum d’entente et de compréhension sur l’orientation générale
de la politique à suivre.”
LES RELATIONS AVEC LA SYRIE
- Certains ont critiqué vos propos, lors de la conférence
de presse, concernant les relations du Liban avec la Syrie. Comment voyez-vous
ces relations?
“J’ai, pourtant, été très clair en optant pour
la transparence, car je n’aime pas le travail sous la table ou en coulisses.
“J’ai, ouvertement, proclamé qu’aucune personne ne pourra accéder
à la présidence de la République, si elle n’a pas
de bonnes relations avec la Syrie et ne pourra réussir dans sa tâche
sans cette coopération.
“Mais, en même temps, le chef de l’Etat libanais ne doit pas
faire porter son poids aux Syriens. A lui d’assumer ses responsabilités,
en éloignant Damas des conflits internes et de protéger la
relation libano-syrienne.
“J’appelle à un dialogue sincère et franc avec la Syrie
et ceci n’est nullement un changement dans mon attitude. Il est temps,
aussi, que les Syriens voient dans les Libanais modérés qui
s’occupent de la chose publique, des éléments valables avec
qui ils peuvent traiter en toute ouverture d’esprit et non des éléments
de confrontation.
“La bonne relation libano-syrienne doit s’établir avec les personnes
qui sont le prolongement de l’opinion publique dans tous les milieux, toutes
les régions et appartenances, afin qu’elle se transforme d’une relation
limitée à quelques Libanais, en une relation de tous les
Libanais et de tout le Liban.”
ÉDIFIER L’ÉTAT DE DROIT
Lors de sa conférence de presse, M. Boutros Harb a présenté
un vaste programme d’action abordant toutes les questions qui intéressent
et préoccupent la nation, ses dirigeants et ses fils: occupation
israélienne et la libération, relations libano-syriennes,
loi électorale, déplacés, émigrés, naturalisations,
questions d’ordre économique, social, éducatif, culturel,
etc...
Il a donné sa vision et sa réponse sur toutes ces
questions de base. Quelles seraient ses priorités si la chance venait
à lui sourire?
“En premier lieu, je ne formerai pas un Cabinet où les ministres
ne seraient pas prêts à accepter le projet de loi sur
l’enrichissement illicite. De même, tout en tenant compte des forces
politiques dans le pays et de la nécessité de former un Cabinet
d’union nationale, les ministres devront jouir de la compétence
nécessaire pour remplir leur tâche et être au-dessus
de tout soupçon concernant l’honnêteté et les valeurs
morales.
“En priorité, il y aura, bien sûr, la libération
du Sud et de la Békaa-Ouest, l’édification de l’Etat de droit,
des institutions et la séparation des pouvoirs, surtout le judiciaire
de l’Exécutif.
“Mon programme, par ailleurs, constitue un tout cohérent, afin
de rendre aux Libanais une vie digne et le minimum demandé de suffisance
sociale.”