tribune
 
UN DÉBAT TOUJOURS ESCAMOTÉ
 
Après une longue absence, on retrouve cet heureux pays au même point où on l’avait laissé. C’est ce qu’on pourrait qualifier de “stabilité” qui peut signifier aussi immobilisme. Les mêmes polémiques entre les détenteurs du pouvoir, la même crise économique larvée, le même malaise social, la même inquiétude pour les finances publiques... Les problèmes en suspens sont toujours en suspens et l’on se justifie maintenant en vous disant qu’ils sont remis au prochain sexennat.
On a cependant le bonheur de découvrir, à l’arrivée à Beyrouth, un aéroport modernisé, propre comme un sou neuf, bien climatisé, avec des chariots pour les bagages, tapis roulant tout neuf, des porteurs en uniforme se terrant discrètement à l’écart. C’est une révolution. Mais pourquoi faut-il que là où l’initiative est laissée à l’administration ordinaire, on retrouve cette touche de mauvais goût qui lui est propre? Voyez donc cet alignement d’affiches à l’approche du poste des douanes. Mais passons.
Dans le domaine des travaux publics, il est incontestable que M. Hariri continue de nous doter de beaux aménagements très modernes. Pour le reste, on s’aperçoit bien vite que rien n’a strictement changé. Il en est ainsi du débat sur l’échéance présidentielle. On se croirait revenu aux mois d’août-septembre 1995. A cette différence près qu’aujourd’hui, la manœuvre pour la prorogation du mandat du président Hraoui est occultée au profit de la recherche d’une nouvelle personnalité pour lui succéder. Chacun se doute bien que les consultations à ce sujet ne sont qu’une mise en scène pour donner l’illusion d’une liberté de choix.
Et là, sur fond d’opposition apparente entre M. Berri et M. Hariri, comme en 1995, la confusion des idées est toujours la même aggravée, cette fois, par des interventions de personnalités influentes portant sur la revendication d’un candidat armé d’un “programme” - à quoi rétorquent d’autres personnalités influentes que si le président de la République est doté d’un programme, il faut lui donner des pouvoirs pour le réaliser et, dans ce cas, la nécessité s’impose d’une élection au suffrage universel qu’on ne peut adopter qu’après déconfessionnalisation.
Déjà, l’adoption d’une carte d’identité sans mention de l’appartenance confessionnelle pave la voie à cette idée.
Tout cela est, parfaitement, logique. Mais arrivé à ce point du raisonnement, on escamote le débat. Et l’on s’achemine pour six nouvelles années vers la même pratique du pouvoir sur fond de polémiques stériles, de tiraillements et, finalement, d’immobilisme.
A hue et à dia! Pendant que M. Hariri construit et asphalte, la vie politique est frappée d’impuissance.
***

Tout le monde sait que dans le cadre de l’actuelle Constitution, un programme présidentiel n’a pas de sens dès lors que les pouvoirs du chef de l’Etat sont très réduits. Déjà, sous l’ancienne Constitution, il n’était jamais question d’un programme présidentiel, le chef de l’Etat n’étant pas responsable devant le parlement, de l’action du gouvernement. Mais le chef de l’Etat disposait d’un pouvoir d’arbitrage entre les partis; il pouvait, ainsi, influer sur la composition du gouvernement et il pouvait dissoudre la Chambre.
Si ceux qui réclament, aujourd’hui, un président avec un programme pensent pouvoir, ainsi, forcer une réforme constitutionnelle, ils se heurtent déjà à des prises de position en faveur d’une élection au suffrage universel après déconfessionnalisation.
Entre ce retour à l’ancien système et ce passage à un régime présidentiel, il pourrait y avoir des formules de compromis. Mais il faudrait pour y parvenir, prendre la peine de s’asseoir autour d’une table et en débattre sérieusement.
Mais c’est ce qu’on ne fait pas et qu’on ne fera pas.
Pourtant, quand on prétend bâtir “l’Etat des institutions”, comme on se plaît à le proclamer à tout bout de champ, il faut bien se rendre à cette évidence que la première pierre de cette construction, c’est ce qu’on appelle “la loi fondamentale”: la Constitution.
Tout le reste est bavardage.
Ce dévoiement des idées où l’on est ainsi engagé, à quoi peut-il mener?
Soit à un nouveau discrédit de la fonction présidentielle lorsqu’on s’apercevra que le président élu est placé dans l’incapacité de tenir ses promesses et que cela devient source de polémiques, de querelles, de crise politique (qu’on se souvienne du projet de mariage civil et de bien d’autres idées restées sans lendemain!)
Soit à poser ouvertement la question du passage du régime parlementaire au régime présidentiel. On retrouvera là, le problème de la déconfessionnalisation du système électoral qu’on s’ingénie à fuir.
Le parti Baas, par la bouche de son député Abdallah el-Amine, nous en avait déjà prévenus début novembre 1995 quand le président Hraoui, nouvellement “prorogé” avançait des idées de réforme constitutionnelle: “Vous voulez augmenter les prérogatives du chef de l’Etat? disait-il. Il faut commencer par déconfessionnaliser et adopter l’élection du président au suffrage universel. Alors, seulement vous pourrez doter la présidence de la totalité des pouvoirs.”
“Totalités”? Totalitarisme?... On n’en demande pas tant.
Qu’on prenne garde au piège! Mais n’y est-on pas déjà tombé en acceptant le système de “Taëf” pour constater, ensuite, qu’on ne le respecte pas ou qu’on ne peut le respecter et qu’il faut chercher autre chose dans un sens tracé d’avance?
Il est temps de crever l’abcès et de discuter comme des adultes responsables. 

 
 
 

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