MESSIEURS, FAITES VOS JEUX |
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Après
de longues semaines d’analyses, de dissertations, de suppositions, de bavardages,
de rumeurs et de spéculations, nous avons un nouveau président
qui semble incarner en sa personne et la faveur de la majorité des
Libanais et la volonté des décideurs. Et c’est excellent
à la fois pour les nerfs, pour la marche des affaires et pour le
mécanisme des institutions qu’une longue attente avait fini par
gripper.
Maintenant que l’homme providentiel est là, les spéculateurs, faute de quoi se mettre sous la dent du côté de Baabda, opèrent en vitesse un virage à 180Þ pour tourner leurs batteries face au Grand Sérail, où Rafic Hariri, glorieusement régnant, semble installé ad vitam aeternam. Ainsi, faute d’une part de paradis dont la IIème république et sa garde prétorienne nous a privés, nous aurons au moins avec cheikh Rafic une promesse d’éternité. Amen. En fait, pas tout à fait amen, puisque de ce côté-là tout reste encore à faire. C’est-à-dire la formation du premier ministère de l’ère Lahoud. Qui imposera qui à qui? Sera-t-il, à l’instar de ses prédécesseurs, de bric et de broc? Aurons-nous à vivre encore à l’ombre des ombres falotes, sorties de l’ombre et qui auraient dû y rester? Aurons-nous à supporter cette kyrielle d’et cetera dont le seul mérite était de bétonner la route de Damas et de s’accrocher aux basques d’une troïka que l’on prétend morte et enterrée? Un pour toi, un pour moi, un pour lui et le reste pour eux? Les enchères, semble-t-il, ont déjà commencé. La première offre lancée est évidemment de 30. Levée de boucliers. Mais non, mon cher, vous retardez d’un régime. Trente, c’est trop cher. Nous devons penser aux compressions budgétaires. Alors 24. Non, pas 24. Vingt-quatre, deux douzaines, ça fait supermarket. C’est vulgaire. Bon, disons 18. Dix-huit? Vous n’y pensez pas. Qui a dit qu’on était déjà majeurs? Dans ce cas, 14. C’est quoi ça 14, n’est-ce pas un jeu de cartes? De là qu’on nous accuse d’encourager les tripots... Douze, ce sera parfait. Ah! vous trouvez, vous? Ne dit-on pas que sur douze, il y a toujours un Judas? Sans compter les 12 tribus d’Israël et... Bien, bien, message reçu. Passons à 6. Six? Un de moins que les sept péchés capitaux, ce n’est pas très ambitieux. Descendons à 4. Sachez, monsieur, pour votre gouverne, que sur 4 personnes dans le monde, il y en a un de chinois. Chinois? Grands dieux! Je ne vous le fait pas dire, d’autant plus que nous nous débrouillons très bien tout seuls en matière de chinoiseries. Et les enchères reprennent et les vetos pleuvent. Contre, surcontre, relance, surelance, maldonne. Tapis pleure, les Libanais aussi. Quant à la maldonne, c’est une question sur laquelle devrait méditer le président Berri. M. Berri a été le premier à nous annoncer la mort de la troïka et à nous convier à pousser avec lui un soupir de soulagement. Ce que nous avons fait avec plaisir. Pourquoi revient-il régulièrement aux usages en honneur sous ladite troïka? Selon le principe de la séparation des pouvoirs, le législatif n’a nullement à se mêler de la cuisine interne de l’exécutif. Il est là pour le contrôler, le réprimander, le censurer et, au besoin, le renvoyer chez lui à travers un vote de défiance. Il n’est certainement pas installé au perchoir (le chef du législatif) pour réclamer sa part dans le prochain ministère, ni pour lancer des ukases proscrivant les technocrates et réclamant des “politiques” dont l’Etat aurait le plus pressant besoin (M. Berri dixit) dans les moments critiques que traverse le pays. N’est-ce pas grâce à ces “politiques”, que nous avons eu au cours de ces neuf dernières années, grâce à leur inconsistance et à leur panurgisme, que nos dettes de moins d’un milliard ont bondi à 21 milliards de dollars, dont nous n’avons pas le premier sou? Ce sont ceux-là dont “l’Etat aurait le plus pressant besoin”?! Seigneur, il n’y a qu’à voir l’état dans lequel ils ont mis l’Etat! Pour ce qui est des technocrates, on dira que Sanioura en est un et qu’il n’y a vraiment pas de quoi pavoiser. Ce même Sanioura dont un chauffeur de taxi me disait récemment: “- Avant, nous mangions du Sanioura, aujourd’hui, c’est Sanioura qui nous mange”. Sans doute, mais tous les technocrates ne sont pas d’aussi bonnes fourchettes. Il y en a qui ne sont les hommes liges de personne et sont plus calés dans leur branche que notre grand argentier. En un mot, ce que nous réclamons du prochain gouvernement, c’est d’avoir les dents moins longues et la vue moins courte. Est-ce trop demander? |
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