Editorial


Par MELHEM KARAM 

 
SERA-T-IL DESTITUE? PEUT-ETRE. DEMISSIONNERA-T-IL? JAMAIS
CLINTON IRA JUSQU'AU BOUT ET NE CEDERA PAS COMME NIXON
Ce qui se passe en Amérique est hon-teux. Oui, c’est une honte; nous le disons à haute voix. La démocratie modèle dont les Etats-Unis parlent et se vantent, est tombée bien bas. Ils ont fait de la relation entre un homme et une femme, avec leur entier consentement, un scandale d’Etat. Le scandale aurait consisté, pour le président, d’entre-tenir une relation anormale avec une personne autre qu’une femme; avec un mâle. Le fait pour lui d’avoir eu une relation naturelle avec une femme et avec son plein consentement, ne constitue pas une matière à controverse. Il reste l’adultère auquel n’échappent aucun homme ou, disons, peu d’hommes. Puis, je ne comprends pas comment une pareille affaire menace de faire tomber un président de la république.
Est-il permis que la rancune politique atteigne un tel degré? Et qu’un homme ayant donné satisfaction à son peuple dans son écrasante majorité, soit brisé par les membres du congrès nageant à contre-courant et ignorant la volonté populaire? C’est de la rancune poussée à l’extrême, classant l’Amérique en tant qu’Etat fanatisé où la démocratie n’a pas de sens, seules la haine et la rancune y ayant droit de cité.
La révocation du président de la République ne peut intervenir sur l’autel de la haine et de la vengeance. Que nous chérissons le président de la République ou pas, nous devons chérir notre patrie, nous-mêmes et notre dignité, car le président symbolise tout cela. Ceci si nous sommes, effectivement, de bons citoyens, non des gens rancuniers et envieux, comme les républicains qui ont soulevé cette affaire au Congrès.
Mais ce qu’a accompli Kenneth Starr et l’action poursuivie dans le même cadre par les Républicains, est de la magie qui se retournera contre le magicien. Les députés démocrates l’ont emporté dans la commission juridique de la Chambre des représentants et ont obtenu son accord en exigeant la convocation du procureur indépendant, Kenneth Starr, en vue de son interrogatoire, sous l’inculpation d’avoir outre-passé ses attributions et commis un certain nombre d’infractions au cours de son enquête sur l’affaire Lewinsky, ayant été motivé par son hostilité et sa rancune personnelle contre le président.
La commission juridique avait obtenu la procuration de la Chambre pour entreprendre l’enquête autour des accusations et juger si celles-ci suffisent à entamer une procédure de destitution, comme ce fut le cas auparavant de deux présidents américains.
Kenneth Starr est accusé d’avoir agi en tant que dictateur jouissant des pleins pouvoirs: il a effectué des contacts, s’est entretenu avec des témoins, a mobilisé des espions, des responsables de la CIA et du FBI pour procéder à des investigations, transgressant ainsi ses prérogatives, comme si la personne concernée n’était pas un président de la république, mais un être à abattre, dont la dépouille doit être ramenée à tout prix. Kenneth Starr aura à le payer s’il existe un Etat ayant nom Amérique.
Au cours du vote à la Chambre des représentants, 252 congressmen se sont prononcés en faveur d’une procédure de destitution, alors que 176 se sont opposés à l’ouverture d’une enquête sur l’affaire Monica Lewinsky. Ainsi, le président Clinton serait le troisième président des Etats-Unis, après Andrew Johnson et Richard Nixon, à s’exposer à une poursuite exigeant sa destitution.
L’unique fait mis en doute reposait sur le nombre des démocrates qui voteraient en faveur de la procédure de destitution. La Chambre des représentants, rappelons-le, compte 228 républicains et 205 démocrates. Parmi ces derniers, 31 ont renoncé à soutenir le président et voté en faveur de l’ouverture d’une enquête, en vue de sa destitution, se tenant ainsi aux côtés de leurs adversaires républicains.
Bill Clinton a refusé de commenter cette décision, estimant que “son sort est entre les mains des congressmen et, après eux, entre les mains de Dieu”. Aussi, a-t-il décidé de poursuivre l’action pour laquelle il a été élu. La veille, Bill Clinton avait demandé aux membres de son parti, les démocrates, de voter selon leur conscience et leurs principes, sans les supplier de le faire ni quémander leur soutien.
Selon le système démocrate républicain, la commission juridique du Congrès qui est capable de clore le dossier, a décidé par 21 voix contre 16, d’ouvrir une enquête préliminaire. Elle est allée plus loin que Kenneth Starr, qui a retenu onze causes nécessitant la destitution du président. La commission à qui revient, désormais, le droit d’entendre les témoins, a retenu quinze chefs d’accusation, dont ceux “d’entraver le cours de la justice et de porter les témoins à faire des dépositions mensongères”.
Par la suite, le dossier sera fermé, sans imposer une date déterminée; une loi sur base de laquelle le président est destitué, serait appliquée et soumise de nouveau au vote de la Chambre des représentants. La procédure peut s’arrêter ou parvenir au Sénat où le procès véritable serait ouvert sous la présidence du président du Conseil supérieur de la magistrature qui dirigera les plaidoiries et enregistrera la déposition des témoins. Puis, le Sénat décidera si la condamnation est nécessaire avec l’approbation des deux tiers des voix, fait difficile à obtenir.
Le président Richard Nixon avait démissionné avant que le dossier atteigne cette dernière phase. Gérald Ford, son successeur à l’époque, avait proposé que la dernière phase ne soit pas dépassée et que le président soit convoqué devant le Congrès, le tout se terminant par une condamnation publique.
Le pari sur l’affaiblissement du moral de Clinton est inopérant, car il poursuivra l’affaire jusqu’au bout et advienne que pourra. Si une telle procédure n’est pas stipulée dans la Constitution américaine, les Républicains seront portés à y revenir pour trouver une échappatoire.
Sans parler des pressions de l’opinion publique, les intérêts des Républicains dans les prévisions des présidentielles de l’an 2000 résident dans le fait pour eux d’affronter Clinton en état de faiblesse à la Maison-Blanche, au lieu de confronter un Al-Gore fort, qui aura détenu les rênes du pouvoir et l’aura exercé pendant deux ans.
D’après les dernières statistiques, 53 pour cent des Américains s’opposent à l’ouverture d’une enquête en vue de destituer le président, alors que 52 pour cent dénoncent la façon dont le dossier de cette affaire est manipulé par les républicains, tout en étant persuadés qu’ils perdront les élections. La rancune aveugle qu’ils pratiquent se retournera contre eux et les dénoncera par deux fois: une fois, parce qu’ils sont rancuniers et une autre, parce qu’ils sont stupides.
Mais quoi que fassent les républicains, ils s’en tiendront, en définitive, à la volonté de leur électorat. Telle est la déception qu’ils endurent. En effet, 55% de ceux qui soutiennent Bill Clinton, proclament qu’ils sont disposés à se rendre aux urnes le 3 novembre pour accorder leurs suffrages aux candidats que veut le président.
Quoi qu’il en soit, la destitution de Bill Clinton n’est pas facile. Le locataire de la Maison-Blanche n’est pas un novice en politique; c’est un vétéran féroce: il n’est pas de ceux dont on peut affaiblir le moral ou qui se laissent influencer par le chantage.
La bataille est donc engagée avec toutes les armes et ouverte à toutes les éventualités. 
Photo Melhem Karam

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