Au
moment où Mme Albright se félicite de quelques progrès
dans l’interminable négociation entre Palestiniens et Israéliens
- et où M. Clinton s’apprête à recevoir les deux adversaires
pour clôturer cette négociation - voici que M. Netanyahu confie
le ministère des Affaires étrangères à M. Ariel
Sharon, afin que cet ennemi acharné de la moindre concession territoriale
puisse participer directement à l’ultime rencontre.
Qu’est-ce que cela peut bien signifier? Depuis quelques jours, le monde
arabe s’interroge là-dessus, ainsi que la presse européenne
et américaine. Sans résultat. Personne n’a une explication
sûre. Il n’y a que des hypothèses contradictoires.
Harcelé par une diplomatie américaine qui a retrouvé
du ressort pour faire oublier l’affaire Lewinsky, M. Netanyahu semble coincé
entre ce forcing américain et la mobilisation de tous les extrémistes
juifs que M. Sharon symbolise et manipule souvent. A première vue
donc, il semble que le chef du gouvernement israélien veuille s’en
remettre, désormais, au général Sharon pour les décisions
finales qui pourraient bien soulever contre lui les colons de Cisjordanie,
de Gaza et de Jérusalem-Est.
La nomination du général “Bulldozer” servirait donc de
couverture à Netanyahu, soit vis-à-vis des colons, soit vis-à-vis
des Américains. C’est, évidemment, la première explication
qui vient à l’esprit. Reste à savoir si ce bulldozer-là
ferait mieux pour faire avancer la paix que M. Netanyahu qui a beaucoup
louvoyé jusqu’ici et beaucoup menti.
Ou s’il ne va pas servir son chef de gouvernement pour rompre définitivement
et brutalement ces vains pourparlers.
***
Que sait-on d’Ariel Sharon? Essentiellement que c’est un militaire qui
ne s’embarrasse pas de scrupules et qu’il sait foncer lorsqu’il faut foncer
et même quand il ne le faut pas. Toute sa carrière a été
marquée par des actions aventureuses aux résultats très
contestables, politiquement.
C’est lui qui, à la tête de l’Unité 101, de 1950
à 1973, a mené des agressions contre des villages palestiniens
en Cisjordanie et à Gaza, tuant des civils et rasant des maisons.
C’est lui qui a pris l’initiative de la contre-offensive israélienne
sur le Canal de Suez en 1973. C’est lui qui a conduit l’armée israélienne
jusqu’à Beyrouth en 1982, alors qu’il était censé
s’arrêter à Saïda. C’est lui qui a ordonné ou,
tout au moins, protégé le massacre de Sabra et Chatila. C’est
lui qui planifie, depuis 1967, l’installation de colonies juives en Cisjordanie
et a fixé les limites des territoires saucissonnés, susceptibles
d’être cédés à l’Autorité palestinienne.
Il continue, enfin, de refuser de serrer la main à Yasser Arafat
qu’il qualifie de criminel, alors que lui-même se considère
comme l’innocence personnifiée.
On lui fait crédit de l’évacuation forcée des
colonies juives du Sinaï après la conclusion de la paix avec
l’Egypte. Mais le Sinaï n’est pas tout à fait comme “la Judée-Samarie”
aux yeux des partisans du Grand Israël. Et militairement, les colonies
n’avaient pas autant de justifications.
Par rapport aux doctrines sionistes de Jabotinsky, rien ne semble différencier
le général Sharon de M. Netanyahu.
C’est le caractère des deux personnages et leurs méthodes
qui pourraient faire une différence.
Quel effet cela peut-il avoir sur le cours de la négociation
que M. Clinton se prépare maintenant à couronner, personnellement,
d’un accord final à Wye Plantation, aux environs de Washington?
C’est aux astrologues qu’on pourrait poser la question.
Est-ce Sharon qui aura l’avantage de peser sur Clinton? Ou est-ce Clinton
qui obtiendra de Sharon qu’il use de son influence sur les colons et autres
extrémistes religieux pour favoriser une solution équitable
du conflit?
Jusqu’ici, les conjonctions astrales n’ont guère été
favorables à l’hôte de la Maison-Blanche. C’est le moins qu’on
en puisse dire.
***
Mais il ne faut jurer de rien. En fait, la situation politique (et économique)
en Israël est de plus en plus compliquée et fragile. La majorité
qui a porté Netanyahu au pouvoir est fissurée. L’aspiration
à la paix de la population israélienne est réelle.
Mais la crainte pour l’avenir devant la perspective de l’instauration d’un
Etat palestinien demeure vive, entretenue, d’ailleurs, par les thèses
développées par Netanyahu lui-même. Les déceptions
devant l’impasse des négociations, aussi bien avec les Palestiniens
qu’avec la Syrie et la détérioration des rapports avec la
Jordanie, l’Egypte, le Maroc, la Tunisie, les Emirats du Golfe perturbent
profondément le climat politique et le jeu des partis. M. Netanyahu
a de plus en plus du mal à maintenir sa coalition gouvernementale.
La crainte d’élections anticipées a affaibli sa position.
Dans ces conditions, le recours à M. Ariel Sharon apparaît
comme une arme à double tranchant. Il ne faut pas oublier que c’est
à son corps défendant que Netanyahu avait accepté
de donner à Sharon un portefeuille au sein de son gouvernement,
lorsque celui-ci a été formé à l’issue des
élections. Il est difficile de prétendre que les deux hommes
se vouent une amitié indéfectible.
Vont-ils ensemble à Washington pour négocier la paix
avec les Palestiniens ou pour se livrer à un subtile jeu de crocs-en-jambe?
On ne devrait pas tarder à le savoir.
Quant à M. Clinton, s’il veut la paix entre Israël et ses
voisins, il s’apercevra qu’il lui faut d’abord, la paix entre les Israéliens
eux-mêmes.
Et c’est dans cette conjoncture que les généraux turcs,
qui ont des problèmes avec leurs populations, menacent de marcher
sur la Syrie - forts de leur nouvelle alliance avec Israël - pour
mieux encore compliquer les choses - et sauver, peut-être, par voie
de conséquences, et Netanyahu et Sharon ensemble. Mais pas la paix,
évidemment. |
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