LES VAGUES DE LA VIE ONT EMPORTE JEAN MARAIS...
TOUT PERSONNAGE EST UN LIEU DE PASSAGE D'UN UNIVERS A UN AUTRE

Jean Marais est décédé, lundi dernier, à Cannes... Il avait 84 ans. Qui l’aurait cru? “Orphée”, “Lagardère”, “Fantomas” sont désormais orphelins.
Comme l’a résumé le président Chirac qui l’avait fait Commandeur de la Légion d’honneur: “beaucoup de Français ont perdu avec lui un peu de rêve et de jeunesse...”
Jean Marais fut ce comédien qui a laissé son empreinte dans le siècle.
On aurait du mal de parler du comédien, sans évoquer la figure de Cocteau.
 

L’ange du cinéma français avec Alida Valli.

La carrière comme la vie des deux hommes ont été étroitement mêlées, depuis leur rencontre en 1937 et jusqu’à la mort de Cocteau en 1963.
Pour Jean Marais, Cocteau créa “Les parents terribles” qui le révélèrent au grand public.
C’est en grande partie pour lui aussi qu’il consacra les vingt dernières années de sa vie à la “dixième muse”: le cinéma.
Pas un film de Cocteau depuis 1940 où n’ait tourné Marais qui, par son interprétation, sa beauté et sa présence scénique fit de l’“Eternel retour” de Delannoy, sur un scénario de Cocteau, le film-manifeste de la génération de l’occupation, comme le furent pendant les années 30 “Le testament d’Orphée”, “Les Enfants terribles”...
“Un film réalisé avec des cariatides vivantes, écrivaient alors les critiques, un film tourné dans un esprit très particulier...”
C’est, également, pour son compagnon que Cocteau eut l’idée de “La belle et la bête”. Jamais Marais ne fut plus beau que sous les traits hideux du monstre.
Il écrira pour le comédien des pièces de théâtre: “Les parents terribles” que Marais jouera en compagnie de Yvonne de Bray, “Oedipe-Roi”, avec Madeleine Sologne...
 

 A la fin de sa vie, Jean Marais vivait retranché 
à Vallauris pour s’adonner aux joies de la sculpture.

 L’heure de gloire a sonné pour Jean Marais
avec “L’Eternel retour” qu’il tourne aux côtés 
de Madeleine Sologne, en 1943.

Mais Marais, n’était pas l’acteur d’un seul homme. Il tournera aussi pour les plus grands: Renoir, Visconti, Christian-Jacques, René Clément...
Après la mort de son pygmalion, il se spécialise dans les films d’aventure: “Le comte de Monte-Cristo”, “Capitaine Fracasse”, la série des “Fantomas” où il brille à 40 ans passé par ses performances et ses cascades réalisées sans doublure.
On le connaissait acteur, mais il était aussi un artiste accompli.
Décorateur, poète, peintre, céramiste, sculpteur, l’homme était aussi courageux.
En 1944, il s’engageait dans la résistance et participait à la libération de Strasbourg.
Depuis une vingtaine d’années, Jean Marais s’était retranché à Vallauris, au Sud de la France où il avait ouvert une galerie, continuant d’alimenter la mémoire de son mentor, Jean Cocteau.
L’année dernière encore, pour Bertolucci, il remontait sur les planches pour jouer dans “L’Arlésienne”.
J’ai eu le privilège de rencontrer deux fois cet immense comédien.
Une première fois au Liban où perdue dans l’assistance j’applaudissais à tout rompre au bel éphèbe...
Ma seconde rencontre eut lieu à Milly la Forêt, en France, un jour de semaine.
Sur un banc, un homme à la crinière de lion, le regard bleu azur contemplait le pot de fleurs jaunes...
Je m’approchais de lui, “Bonjour”, me dit-il le plus simplement du monde, me demandant d’où je venais.
 

Durant une répétition avec Yvonne Deray
et Jean Cocteau  dans “Les parents terribles”.

 Invité de Patrick Sabatier dans “Toute 
une vie dans un dimanche”, en 1983.

“Du Liban”, répondis-je...
- “Vous venez donc de si loin pour Cocteau....?”
Je l’aidais à transporter les fleurs dans l’église.
Le silence fut interrompu par une cassette.
La voix de Cocteau s’élevait, cette voix si particulière...
Le son, contrairement aux poètes, ne meurt jamais...
Je jetais un clin d’œil furtif à l’homme qui priait et avait rejoint ce poète qui, un jour, avait dit: “Faites semblant de pleurer mes amis, puisque le poète fait semblant d’être mort...”


Inoubliable Jean Marais, ici avec Danielle Darrieux dans “Ruy Blas”.
Le village de Vallauris a observé quatre jours de deuil pour son citoyen d’honneur, ce poète qui faisait l’acteur et qui plaçait le génie avant tout.
L’ange du cinéma français s’est endormi à jamais.
SONIA NIGOLIAN


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