Depuis
quelque temps, les Libanais entonnent sur tous les modes l’air du “changement”.
Tout le monde veut que “cela” change, espère que “cela” va changer,
est sûr que “cela” changera. Quoi donc? Qu’est-ce que “cela”? La
manière de gouverner? La politique économique? sociale? financière
et fiscale? Le contenu ou la forme? Les méthodes ou les objectifs?
Ou les deux à la fois? Les hommes, peut-être? Hariri, Sanioura
et leur clique?
Peut-on vraiment modifier la manière de gouverner sans remplacer
les responsables des méthodes condamnées? On l’a bien vu
pendant ces dernières années quand tant de promesses de réformes
n’ont jamais été tenues.
Personne n’a encore précisé ce qu’il entend par “changement”.
Mais depuis l’élection du général Lahoud à
la tête de l’Etat, on parie sur le “changement”. En attendant, une
seule chose a sûrement changé: la tenue du président
élu. Pour le reste, il faudra attendre quelques jours encore.
***
Il y a quelques années, les Français s’étaient
interrogés sur la question de savoir si le nouvel Exécutif
qui venait d’être mis en place (je ne sais plus de qui il s’agissait)
signifierait “le changement” ou “le changement dans la continuité.”
Ce débat, pas toujours très sérieux d’ailleurs, avait
tout de même un contenu socio-économique et méthodologique.
Il fut vite oublié. Les réalités et les nécessités
dictaient les solutions beaucoup mieux que les idéologies.
Dans notre cas, ce thème du “changement” que chacun annonce,
dont chacun se réjouit par avance sans même savoir ce qu’il
serait, a commencé par produire un premier effet: il a attristé
l’homme qui allait être remplacé à la tête de
l’Etat. Tout se passait comme si on le rendait responsable de ce qui va
mal et comme si son départ à lui seul signifierait que tout
irait mieux. C’était évidemment absurde et injuste. Mais
ainsi va le sentiment populaire: il est souvent irraisonné et incontrôlable.
La barre a été, depuis, redressée. La classe politique,
elle-même implicitement visée par le bonheur du “changement”,
s’est dépêchée de multiplier les éloges à
l’adresse du président Hraoui, comme pour se blanchir elle-même
du même coup. Et le président lui-même a su tirer partie
de diverses occasions pour dire publiquement ce qu’il pense de son propre
mandat. Enfin, Damas y a mis du sien.
Ainsi, de ce côté, tout est bien. L’honneur est sauf.
Il n’y a plus que le président Hoss, toujours serein et conséquent
avec lui-même, pour expliquer simplement que si tout le monde veut
le changement, c’est que personne n’était satisfait. C’est l’évidence.
Et de rappeler qu’il y avait une “troïka” dont les protagonistes partageaient
toutes les responsabilités.
Quant au chef du gouvernement, qui aurait dû être plus
justement mis en cause par cette vague d’espérance en un “changement”,
il avait pris habilement les devants en préconisant, sinon une nouvelle
politique socio-économique et financière (c’aurait été
se renier) du moins de nouvelles méthodes et un nouvel esprit de
coopération ministérielle. Dès l’été
dernier, il avait prononcé plusieurs discours dans ce sens.
Il s’est ainsi bien placé pour affronter l’avenir. Quant à
savoir si ce qu’il propose correspond à la pensée qui s’élabore
en ce moment dans le secret des délibérations du chalet présidentiel
du Bain militaire, c’est une autre affaire. Il sera toujours temps d’être
fixé là-dessus.
***
Reste qu’il ne serait pas inutile de tenter de préciser ce que
les Libanais eux-mêmes souhaitent quand ils chantent l’avènement
d’une ère nouvelle. Une enquête sur ce sujet, une sorte de
sondage d’opinion pourrait servir à éclairer aussi bien le
président élu que M. Hariri lui-même et les équipes
qui vont contribuer à élaborer une politique et des méthodes
de gouvernement.
Les Libanais qu’on dit très politisés, qui jouissent
de la liberté de parler et de spéculer jusqu’en abuser, n’ont
pourtant pas l’habitude de dire tout haut et d’une manière concrète
ce qu’ils pensent réellement et ce qu’ils espèrent (ainsi,
pour prendre un exemple, le courrier des lecteurs qui occupe une place
importante dans la presse européenne, est rare et souvent médiocre
au Liban).
Il est temps d’encourager le citoyen à s’exprimer au lieu de
se contenter de râler ou d’applaudir ou de donner libre cours à
son imagination. Le président élu a bien lancé un
appel clair à une coopération raisonnée et au sens
civique: “Avec vous, c’est possible; sans vous, c’est impossible.”
Voilà posé le premier pas dans le sens du “changement”. |
|