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SUR L'AIR DU "CHANGEMENT"
 
Depuis quelque temps, les Libanais entonnent sur tous les modes l’air du “changement”. Tout le monde veut que “cela” change, espère que “cela” va changer, est sûr que “cela” changera. Quoi donc? Qu’est-ce que “cela”? La manière de gouverner? La politique économique? sociale? financière et fiscale? Le contenu ou la forme? Les méthodes ou les objectifs? Ou les deux à la fois? Les hommes, peut-être? Hariri, Sanioura et leur clique?
Peut-on vraiment modifier la manière de gouverner sans remplacer les responsables des méthodes condamnées? On l’a bien vu pendant ces dernières années quand tant de promesses de réformes n’ont jamais été tenues.
Personne n’a encore précisé ce qu’il entend par “changement”. Mais depuis l’élection du général Lahoud à la tête de l’Etat, on parie sur le “changement”. En attendant, une seule chose a sûrement changé: la tenue du président élu. Pour le reste, il faudra attendre quelques jours encore.
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Il y a quelques années, les Français s’étaient interrogés sur la question de savoir si le nouvel Exécutif qui venait d’être mis en place (je ne sais plus de qui il s’agissait) signifierait “le changement” ou “le changement dans la continuité.” Ce débat, pas toujours très sérieux d’ailleurs, avait tout de même un contenu socio-économique et méthodologique. Il fut vite oublié. Les réalités et les nécessités dictaient les solutions beaucoup mieux que les idéologies.
Dans notre cas, ce thème du “changement” que chacun annonce, dont chacun se réjouit par avance sans même savoir ce qu’il serait, a commencé par produire un premier effet: il a attristé l’homme qui allait être remplacé à la tête de l’Etat. Tout se passait comme si on le rendait responsable de ce qui va mal et comme si son départ à lui seul signifierait que tout irait mieux. C’était évidemment absurde et injuste. Mais ainsi va le sentiment populaire: il est souvent irraisonné et incontrôlable. La barre a été, depuis, redressée. La classe politique, elle-même implicitement visée par le bonheur du “changement”, s’est dépêchée de multiplier les éloges à l’adresse du président Hraoui, comme pour se blanchir elle-même du même coup. Et le président lui-même a su tirer partie de diverses occasions pour dire publiquement ce qu’il pense de son propre mandat. Enfin, Damas y a mis du sien.
Ainsi, de ce côté, tout est bien. L’honneur est sauf.
Il n’y a plus que le président Hoss, toujours serein et conséquent avec lui-même, pour expliquer simplement que si tout le monde veut le changement, c’est que personne n’était satisfait. C’est l’évidence. Et de rappeler qu’il y avait une “troïka” dont les protagonistes partageaient toutes les responsabilités.
Quant au chef du gouvernement, qui aurait dû être plus justement mis en cause par cette vague d’espérance en un “changement”, il avait pris habilement les devants en préconisant, sinon une nouvelle politique socio-économique et financière (c’aurait été se renier) du moins de nouvelles méthodes et un nouvel esprit de coopération ministérielle. Dès l’été dernier, il avait prononcé plusieurs discours dans ce sens.
Il s’est ainsi bien placé pour affronter l’avenir. Quant à savoir si ce qu’il propose correspond à la pensée qui s’élabore en ce moment dans le secret des délibérations du chalet présidentiel du Bain militaire, c’est une autre affaire. Il sera toujours temps d’être fixé là-dessus.

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Reste qu’il ne serait pas inutile de tenter de préciser ce que les Libanais eux-mêmes souhaitent quand ils chantent l’avènement d’une ère nouvelle. Une enquête sur ce sujet, une sorte de sondage d’opinion pourrait servir à éclairer aussi bien le président élu que M. Hariri lui-même et les équipes qui vont contribuer à élaborer une politique et des méthodes de gouvernement.
Les Libanais qu’on dit très politisés, qui jouissent de la liberté de parler et de spéculer jusqu’en abuser, n’ont pourtant pas l’habitude de dire tout haut et d’une manière concrète ce qu’ils pensent réellement et ce qu’ils espèrent (ainsi, pour prendre un exemple, le courrier des lecteurs qui occupe une place importante dans la presse européenne, est rare et souvent médiocre au Liban).
Il est temps d’encourager le citoyen à s’exprimer au lieu de se contenter de râler ou d’applaudir ou de donner libre cours à son imagination. Le président élu a bien lancé un appel clair à une coopération raisonnée et au sens civique: “Avec vous, c’est possible; sans vous, c’est impossible.”
Voilà posé le premier pas dans le sens du “changement”. 

 
 
 

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