LES CABRIOLES DE MONSIEUR MERHEJ |
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On
tremble, rétrospectivement, à l’idée que l’on aurait
pu manquer, à la télévision, la performance réalisée
par le ministre Béchara Merhej. Ce fut un véritable feu d’artifice,
un exploit inégalé. Pour tout dire, personne n’aura jamais
vu ou entendu quelqu’un proférer, en si peu de temps, autant de
contrevérités.
En guise de mode d’emploi, je dirais que “contrevérités” est utilisé ici pour demeurer dans la ligne du nouveau vocabulaire adopté par respect des droits de l’Homme pour ménager certaines susceptibilités. Ainsi, aujourd’hui, on ne dit plus “aveugle” mais “non voyant”. On ne dit plus “sourd”, mais “malentendant” et une femme de ménage est devenue “une technicienne de surface”. Donc, “contrevérités” pour ce virtuose des tours de passe-passe qu’est l’actuel ministre de la Réforme administrative, l’ex-ministre de l’Intérieur. Manifestement, M. Merhej s’était préparé à la bagarre. Coupant la parole à ses contradicteurs, ne laissant personne placer un mot, cet avocat du pire s’est lancé dans un plaidoyer funambulesque, d’où il ressortait qu’il avait non seulement servi la cause de l’humanité en naturalisant d’un seul coup 300.000 personnes, mais qu’il avait réalisé le plus haut fait d’armes de l’Histoire de son pays et ce, depuis Ahiram jusqu’au seuil du IIIème millénaire. A en croire M. Merhej et contrairement à ce que certains prétendent, ces naturalisations n’ont pas été faites en masse et sans le moindre examen. Chaque dossier a été minutieusement étudié et soumis à une enquête précise. Nous voulons bien le croire. Il y eut donc 300.000 enquêtes préalables. Bravo! Cependant, une question se pose ici: combien de temps nécessitent “une enquête précise” et “une étude minutieuse”? Disons deux heures pour chaque dossier. Cela fait 600.000 heures. En comptant 10 heures de travail continu par jour, exécutées par 10 enquêteurs acharnés, l’on obtient 6.000 jours. Ce qui fait en bonne arithmétique plus de 16 ans d’investigations. Nous voulons bien demeurer policés, mais quand les contrevérités se transforment en énormités, nous nous sentons plus enclins à nous laisser aller au vocabulaire du général Cambronne qu’à celui des droits de l’Homme. M. Merhej a, également, affirmé que ceux qui ont obtenu la nationalité sont tous des ayants droit, résidant au Liban depuis de nombreuses années. Or, à part les habitants de Wadi Khaled et quelques centaines d’autres auxquels l’octroi de la carte d’identité est justifié, les seuls résidents que nous connaissons parmi nos nouveaux compatriotes ont élu domicile à Roumié où ils purgent des condamnations pour divers crimes et autres actes crapuleux. Un autre argument de notre étincelant debater: pourquoi crier au scandale quand des nations hautement civilisées naturalisent sans la moindre difficulté, telles le Canada, le Brésil, l’Australie, les Etats-Unis, sans compter les pays occidentaux. M. Merhej semble être au courant d’un certain aspect de l’actualité mondiale, mais ignore ceux de la géographie. Le Canada, cher monsieur le ministre, a une superficie de 9.975.000 km2 et compte 29.000.000 d’habitants. Ce qui fait 3 habitants au km2. L’Australie: 8.000.000 d’habitants pour une superficie de 7.700.000 km2, soit 2 habitants au km2. Le Brésil: 8.512.000 km2 pour 164.000.000. d’habitants, soit 19 au km2. Les Etats-Unis: superficie 9.364.000 km2, 265.800.000, habitants soit 28 au km2. En outre, dans tous ces pays, ainsi que dans les démocraties occidentales, l’octroi de la nationalité est sélectif et se fait au cas par cas, et non pas en masse comme les conversions du Moyen Age. Quant à nous, avec nos 10.452 km2 pour (actuellement) 4.500.000 habitants, nous atteignons 430 âmes au km2. Ce qui nous place à quelques pas derrière le Bangladesh. Où M. Merhej se propose-t-il de mettre toutes ces vagues de naturalisés? Déjà, nous avons anéanti les espaces verts, aplani collines et montagnes, comblé une partie du littoral. Devons-nous convaincre Netanyahu de nous céder la Galilée ou louer le Djaziré de nos frères syriens, à moins que nous réussissions à paver la mer jusqu’à Chypre?... Pour une bourde, c’en est une et de taille, même pour un spécialiste du genre comme M. Merhej. Reste que si notre ministre, au nom de la mondialisation dont il a plein la bouche, envie la densité démographique du Bangladesh, rien ne l’empêche d’y transférer sa résidence. Cela aurait l’avantage d’être en accord avec ses opinions et en harmonie avec nos vœux. Le président Lahoud a promis, dans sa première adresse à la nation, que seule la loi aura désormais droit de cité et qu’elle sera appliquée à tous, sans distinction, à commencer par lui-même. Emile Lahoud est un homme de parole. Pourvu que le président Hariri, qui s’apprête à former le nouveau gouvernement, ait capté le message. |