L’AN I DE LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE |
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Saura-t-on
jamais ce qui s’est réellement passé pour qu’en moins de
temps qu’il ne faut pour le dire, le rideau soit tombé sur un Hariri
apparemment parti pour six nouvelles années au Grand Sérail?
Que s’est-il passé alors qu’au cours des six années écoulées,
il avait transformé son administration en forteresse inexpugnable
et rendu sa présence à la direction des affaires indis-pensable,
ne serait-ce que pour la stabilité de la livre libanaise?
Imaginer même, il y a moins d’un mois, qu’il pouvait s’effacer brusquement sans faire la moindre vague aurait été du domaine des chimères insensées. Le voir se retirer tout simplement sans provoquer un séisme propre à faire sauter l’échelle de Richter, ni même le moindre raz-de-marée est proprement impensable. A-t-il cédé sous la double pression de la grande sœur et de l’Oncle Sam? Ou bien cherchait-il déjà une porte de sortie pour une raison que l’on ignore encore? Quoi qu’il en soit, ne plus entendre notre ami Sanioura (par ailleurs fort sympathique à titre personnel) nous expliquer qu’un contribuable est destiné à être écorché vif, nous désoriente. Ne plus le voir tirer des plans sur la comète pour trouver le moyen d’extraire de nouveaux impôts du néant de nos poches, est déroutant. Ne plus le sentir tapi derrière chaque fonctionnaire portant un attaché-case et claquer des dents à la vue du moindre papier timbré, est fragilisant. Nous sommes un peu comme ces malades à peine sortis du coma qui se demandent s’ils vont y replonger ou bien entrer en convalescence. A ceux qui se trouveraient pris d’une cer-taine nostalgie pour ce récent passé, la présence de M. Murr à l’Intérieur devrait donner un sentiment de continuité sécurisant. M. Murr demeure solide à son poste. Ce qui rend nos certitudes inversement proportion-nelles au nombre de voix que le toujours ministre de l’Intérieur récolte à chaque élection. Ce n’est pas que Michel Murr ne soit pas compétent. Bien au contraire. Il l’est même un peu plus qu’il ne serait décent de l’être. Pour tout dire, l’homme est supérieurement intelligent et possède un sens politique parti-culièrement aiguisé. Il est fort à parier qu’il saura, avec brio, prendre le train en marche. Du côté des nouveaux. Serait-ce un vœu pieux d’espérer que M. Sleiman Traboulsi aura conscience de la rupture d’anévrisme qui menace les usagers quand - tous les deux mois - ils sont confrontés avec leur note d’électricité? M. Traboulsi qui est licencié en droit et magistrat, trouve-t-il juste que ceux qui, en bons citoyens, paient docilement leurs notes soient pénalisés en se voyant surchargés de celles des usagers qui ne paient pas? Trouve-t-il équitable de faire payer le courant plus cher qu’en France, par exemple, alors que le SMIC français est de 1200 dollars, tandis que le nôtre atteint à peine 250 dollars? A part Abou Youssef Beydoun qui jouit auprès du public d’un grand capital de sympathie, les nouveaux venus sont peu connus. Disons qu’ils bénéficient, pour le moment, d’un préjugé favorable. Mais il conviendrait de ne pas trop tirer sur la corde. La période de grâce n’est pas éternelle et “les gens”, dont a parlé le président Lahoud sont à bout de patience. Ici, une mention spéciale doit être faite du président Chaoul. Diplômé de l’ENA de France, docteur en droit, président du Conseil d’Etat, Joseph Chaoul est le nec plus ultra de ce que l’on fait dans le domaine. Plus que hautement qualifié, intègre jusqu’à la rigueur, courageux jusqu’à la témérité, d’une rectitude morale absolue, il a été à la présidence du conseil d’Etat la lueur d’espoir qui a éclairé, pour les justiciables, les ténèbres d’une époque où même la magistrature semblait avoir perdu ses repères. Sa présence aujourd’hui au ministère de la Justice augure d’une nouvelle ère où la justice ne serait plus seulement un glaive mais, aussi, et, surtout, une balance. Reste... reste que comme d’habitude, M. Walid Joumblatt ne pouvait pas laisser passer une si belle occasion sans se faire remarquer. M. Joumblatt, en effet, se montre soudain soucieux de légalisme démocratique et tremble à l’idée de voir la république se “militariser”... Que craint-il au juste? “Un gouvernement de l’ombre derrière celui qu’on nous a présenté, déclare-t-il. Car, d’ores et déjà, des rumeurs circulent à propos des souhaits de certains galonnés, le premier, au long cigare, voulant la direction de la Sécurité d’Etat; le second, la direction de la Sûreté générale, le troisième voulant le mohafazat du Mont-Liban. J’espère que le président Hoss saura mettre un terme à cette dérive et interdire la militarisation du régime.” Et de conclure par cette mise en garde: “Ne jouez pas avec le feu.” A qui s’adresse cette mise en garde et de quel feu s’agit-il? L’ère des milices est à jamais révolue. L’ex-ministre des Déplacés doit en prendre son parti et méditer plutôt ce que disent les Ecritures: “Il y a un temps pour tout, un temps pour la guerre, un temps pour la paix...” Il est surtout temps de cesser de perdre le temps. |
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