SERAIT-CE UN CADEAU EMPOISONNÉ AU NOUVEAU RÉGIME?
NATURALISATION:
L’ANNEXE AU DÉCRET DU 30 JUIN 94 AGGRAVE LE PROBLÈME AU LIEU DE LE RÉSOUDRE

Le dossier de la naturalisation a été rouvert par le précédent régime; puis, refermé et renvoyé au nouveau, ce qui a tout l’air d’un “cadeau empoisonné”, comme tant d’autres problèmes - dont celui de la nouvelle échelle des salaires - laissés, sciemment, en suspens! sans perdre de vue la loi sur l’enrichissement illicite, élaborée de telle façon qu’aucune poursuite ne paraît possible contre tous ceux qui ont fait fortune en usant de moyens très peu catholiques.
Rappelons que la loi sur la naturalisation, promulguée le 30 juin 1994, avait accordé la nationalité libanaise à près de deux cent mille personnes, le nombre des naturalisés musulmans dépassant de près de 80.000 celui des chrétiens. Il y aurait parmi les premiers quelque 40.000 Palestiniens.
Bien que le Conseil d’Etat ait été saisi d’une demande en invalidation de la loi mentionnée, le gouvernement haririen a mis au point une annexe qui devait être ratifiée par la Chambre, à la fin du régime hraouiste, lequel devant l’énormité de cette affaire et sa gravité, a préféré laisser à son successeur le soin de la trancher...
En vertu de l’annexe, la nationalité libanaise devait être accordée à 40.000 personnes, ainsi réparties: 4.800 maronites, 9.000 melkites, 5.000 chaldéens, coptes ou grecs-orthodoxes et 5.000 musulmans.

MERHÈJE: IL FAUT “DÉNATURALISER” LES PALESTINIENS
Nous avons recueilli l’opinion de huit responsables, avocats et juristes à propos des conditions conformément auxquelles il a été procédé à la naturalisation de personnes qui, le plus souvent, ne connaissent le Liban que de nom et n’y ont jamais mis les pieds.
M. Béchara Merhèje, député de Beyrouth, ancien ministre de l’Intérieur qui a contre-signé le premier décret de naturalisation, a pris la défense de ce décret, arguant qu’il a été élaboré dans l’esprit de l’accord de Taëf. “De plus, ajoute-t-il, il a donné satisfaction aux ayants-droit, dont la plupart sont nés dans ce pays et continuent à y résider avec leurs familles depuis des dizaines d’années, tels les habitants de Wadi Khaled (caza de Akkar) et ceux des sept localités situées dans la zone frontalière méridionale. Ceux-ci sont au nombre de 25.000 et disposaient d’un document attestant leur naissance et leur présence en territoire libanais depuis 1963.
- Et qu’en est-il des erreurs relevées dans le décret de naturalisation, qui a accordé la nationalité à bien des demandeurs qui ne la méritaient pas?
“Si la nationalité a été accordée à des Palestiniens par le décret de 1994, il faut les en priver et si le texte du décret comporte des lacunes ou des bévues, il faut de toute urgence les rectifier.
“Puis, toute personne ayant acquis la nationalité libanaise au moment où elle purgeait une peine de prison et dont le casier judiciaire ne serait pas vierge, devrait en être privé.
“Si des moukhtars auraient délivré de fausses attestations aux bénéficiaires de la naturalisation, on devrait les poursuivre en justice.”
Fait étrange: M. Merhèje reconnaît, implicitement, que certaines anomalies ont entaché l’octroi de la nationalité libanaise. Or, en sa qualité de ministre de l’Intérieur, à l’époque où le décret de naturalisation a été promulgué, il aurait dû enquêter pour s’assurer du fait que les demandeurs remplissaient les conditions requises pour se faire naturaliser.

P. HÉLOU: UN CRIME CONTRE LE LIBAN
M. Pierre Hélou, ancien député, président de la Ligue maronite, qualifie de “crime contre la patrie” le premier décret de naturalisation et l’annexe qui a été, fort heureusement, gelé au dernier moment.
“Notre appréhension à ce propos, précise-t-il, ne découle pas du danger d’équilibre démographique, mais de l’octroi de la nationalité libanaise à près de 50.000 Palestiniens, alors que par décision de la Ligue arabe, il est strictement interdit d’octroyer à ces derniers la nationalité des pays où ils sont établis depuis leur départ de la Terre Sainte. Et ce, afin de conserver leur droit au retour et, aussi, d’empêcher leur implantation ailleurs que dans leur mère-patrie.”
M. Hélou estime, d’autre part, que la nationalité a été accordée à des milliers de personnes n’ayant fait l’objet d’aucune enquête de la part des organismes officiels qualifiés. “Si la naturalisation a été décidée afin, comme d’aucuns le prétendent, de maintenir l’équilibre confessionnel et démographique, il faudrait promulguer dix-huit autres décrets, selon le nombre des communautés religieuses que compte le Liban.
“Notre position envers cette question est claire et nous ne cessons de la rappeler: que la nationalité libanaise soit accordée à toute personne qui la mérite, même si un million de musulmans devaient en bénéficier et aucun chrétien. Nous avons peur pour la patrie et pour l’avenir de nos enfants. Car comment justifier l’octroi de la nationalité à des bénéficiaires de soixante-douze nationalités différentes?
 
 

ZAKHOUR: PRÉLUDE À L’INTÉGRATION NATIONALE
Quant à M. Hafez Zakhour, secrétaire général de la Ligue maronite, il émet ces réflexions: “Nous avons mis en garde contre les fâcheuses conséquences du décret de naturalisation dès sa promulgation et avons, pour cela, présenté une demande d’invalidation de ce décret auprès du Conseil d’Etat.”
Revenant à la loi élaborée au temps du Haut commissaire français qui reste en vigueur, M. Zakhour en évoque le texte qui stipule: “Contrairement à toute personne née de père libanais, qui a droit à la nationalité d’office, le président de la République a, exceptionnellement, le droit d’accorder la nationalité libanaise à quiconque rend service ou accomplit une réalisation de poids ou investit au Liban.”
“On est en droit de poser la question suivante: Combien parmi les dizaines de milliers de nouveaux naturalisés ont rendu d’insignes services à notre pays ou y ont investi des capitaux en vue de la réalisation de projets d’utilité publique?
“La nationalité libanaise a été instituée en vertu de la convention de Lausanne de 1924. Il y est stipulé: Quiconque résidait au Liban à la date du 30/8/1924 et d’origine ottomane, devient libanais. Toute autre personne qui désire acquérir la nationalité libanaise, doit présenter une demande en bonne et due forme dans un délai de deux ans.
“Certains ayants-droit n’ont pas présenté une telle demande pour différentes raisons, tels les Arabes de Wadi Khaled pour n’avoir pas à acquitter les impôts et ne pas s’enrôler dans les forces du Levant.
“Le délai pour l’obtention de la nationalité libanaise devait être prorogé par la suite. Il s’agit d’une formalité simple à accomplir auprès du juge unique.
“En vertu de ce texte, un grand nombre de Palestiniens ont pu acquérir la nationalité libanaise. Mais, depuis 1967, aucun décret de naturalisation n’a été élaboré, sauf en 1994”.
Et M. Zakhour de conclure: “La Ligue maronite ne peut qu’être conséquente avec ses principes et ses objectifs, fidèle à sa mission nationale qui lui font obligation de veiller sur les intérêts supérieurs de la nation. Notre action part de considérations purement nationales et non confessionnelles.”

ABI-NASR: DES DESSEINS INAVOUÉS...
Me Nemetallah Abi-Nasr, ancien secrétaire de la Ligue maronite, se demande: “Si le but visé par l’annexe du décret de naturalisation est de rétablir l’équilibre confessionnel, il faut reconnaître que ce décret a accordé la nationalité libanaise à des milliers de bénéficiaires pour des desseins inavoués.
“Notre position est connue: nous réclamons de rétablir cet équilibre, non à partir de considérations confessionnelles, mais parce que le décret constitue une violation de la loi.
“A la fin du sexennat du président Amine Gemayel, rappelle Me Abi-Nasr, nous avons protesté contre la naturalisation de 125.000 personnes, loin de toute considération d’ordre confessionnel, la proportion des chrétiens naturalisés ayant été, alors, de 55 à 60 pour cent.
“Preuve en est que notre opposition se justifie, aujourd’hui... c’est la reconnaissance par M. Béchara Merhèje, ancien ministre de l’Intérieur, de l’existence d’erreurs, ayant entraîné la naturalisation de milliers de Palestiniens d’une manière illégale. De plus, ceux-ci ont été naturalisés sur base de fausses attestations délivrées par les moukhtars. Nous n’avons pas contesté, par contre, la naturalisation des Arabes de Wadi Khaled.
 
 
 

BAKHOS: LE TIMING, MAL CHOISI
M. Auguste Bakhos, ancien parlementaire, président de la commission pour la rénovation des lois, rappelle que l’accord de Taëf fait mention de la naturalisation et sous le premier Cabinet du régime hraouiste, une sous-commission a été chargée d’élaborer une loi en ce sens et d’examiner les modalités de son application.
A l’époque, nous avons manifesté notre opposition à cette affaire, partant du fait que l’octroi de la nationalité dans les Etats évolués, est soumise à des conditions dûment définies. La loi internationale reconnaît la naturalisation des personnes nées sur le territoire d’un pays et après y avoir résidé pendant une période déterminée, dix ans ou davantage.
“Or, il existe chez nous des centaines de milliers de Srilankais, d’Hindous, d’Egyptiens, de Philippins, de Seychellois. Doit-on leur accorder la nationalité libanaise sur simple demande de leur part?
“Puis, la femme ayant épousé un étranger, a le droit, d’après la loi internationale, d’acquérir la nationalité de son conjoint et d’en faire bénéficier sa progéniture.
“Le mal ayant été fait, il importe de prendre les dispositions voulues pour rétablir l’équilibre.
“De toute manière, conclut M. Bakhos, je ne suis pas enclin à soulever cette question, étant donné sa complexité et les remous qu’elle peut provoquer au double plan social et national.”

SAAD: NON À LA NATURALISATION DES PALESTINIENS
M. Moustapha Saad, député de Saïda, président du Mouvement populaire nassérien, pense que le fait d’avoir soulevé, en fin de règne, la question de la naturalisation, le gouvernement haririen visait à susciter des difficultés au nouveau régime et à placer le président Emile Lahoud devant un dossier délicat ayant été à l’origine de tant de controverses!
Il ne fait pas de doute, dit-il, que le premier décret de naturalisation a comporté bien des lacunes et des erreurs. Il n’aurait pas dû être promulgué et à sa place, il aurait été préférable d’élaborer une loi rectifiant un déséquilibre historique, afin de rendre justice à des citoyens privés de la nationalité libanaise, tels les Arabes de Wadi Khaled et les habitants des sept localités sudistes.
“Il ne s’agit pas en ce qui les concerne, d’une naturalisation, mais de la reconnaissance d’un droit dont ils ont été empêchés de jouir pendant des années, pour des raisons qu’il n’est pas besoin de rappeler.
“D’ailleurs, le gouvernement (haririen) a commis bien d’autres erreurs et injustices depuis 1992, en ce sens que la nationalité a été accordée par des personnages influents à des demandeurs qui n’avaient aucun droit de l’acquérir. La plupart des fois, des considérations d’ordre politique et électoral étaient en jeu. Je ne cache pas que de nombreux Palestiniens ont bénéficié du décret de naturalisation, ce que je n’admets pas. J’ai proclamé ma position à ce sujet maintes fois, car l’octroi de la nationalité libanaise ne profite nullement à ces derniers, lesquels ont besoin qu’on leur octroie des droits de caractère social et civil pour assurer leur subsistance en attendant de réintégrer la Palestine.
“Je suis pour l’octroi de la nationalité libanaise à toute personne remplissant des conditions requises pour la mériter, abstraction faite de son affiliation religieuse, politique, de sa race ou de sa couleur.
“Il faut reconnaître que le premier décret de naturalisation comportait des erreurs, mais on ne peut ni ne doit réparer l’erreur par une autre; autrement dit, de promulguer un décret dont les bénéficiaires seraient à majorité chrétienne, en contrepartie d’un précédent ayant accordé la nationalité à des bénéficiaires musulmans dans leur majorité.
“C’est pourquoi, je compte beaucoup sur le Conseil d’Etat dont l’arrêt, à ce sujet, doit normaliser la situation dans ce domaine.”

MRAD; LES AYANTS-DROIT ONT REÇU SATISFACTION
M. Abdel-Rahim Mrad, député de la Békaa, prend la défense du décret de naturalisation, arguant qu’il octroie la nationalité à des personnes qui attendaient depuis près d’un demi-siècle pour l’acquérir, des centaines d’autres ne l’ayant pas encore obtenue.
En ce qui concerne les Palestiniens naturalisés, dit-il, il faut reconnaître que beaucoup d’autres ont acquis la nationalité libanaise depuis 1948. Pourquoi personne n’a trouvé à redire, alors que maintenant la vague de protestation ne cesse de s’amplifier? Les protestataires sont connus par leur affiliation et les formations dont ils se réclament.
“Si le décret contesté a fait bénéficier quelques milliers de Palestiniens, je ne crois que sans eux le problème de l’implantation aurait été résolu.”
 
 
 
 
 
 

HARAKÉ: CONTRE L’IMPLANTATION CAMOUFLÉE
M. Salah Haraké, député de Baabda, membre du bloc pour le développement et la libération dont le chef de file est le président Nabih Berri, pense que certaines brèches relevées dans le décret de naturalisation, ont entaché ce dernier. “Aussi, est-il impérieux de rectifier les erreurs, ce à quoi s’attelle le Conseil d’Etat qui a été saisi d’une demande en invalidation.
“En ce qui concerne l’annexe, j’approuve sa promulgation si cela rend justice à des ayants-droit. Nous aurions souhaité que la loi fût appliquée d’une manière équitable pour donner à chacun son droit.
“Naturellement, nous sommes contre “l’implantation camouflée” des Palestiniens, beaucoup de ces derniers ayant acquis la nationalité libanaise, alors que d’autres vivent à l’étranger et n’ont jamais mis les pieds au Liban.
“Quoi qu’il en soit, il faut reconsidérer la loi sur la naturalisation, en définissant clairement les conditions conformément auxquelles la nationalité peut être accordée à ceux qui la réclament.
“Enfin, je tiens à réaffirmer le droit des Libanais d’outre-mer à récupérer la nationalité de leur pays d’origine.”
 
 
 
 
 
 

T.CHAMSEDDINE

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