MERHÈJE: IL FAUT “DÉNATURALISER”
LES PALESTINIENS
Nous
avons recueilli l’opinion de huit responsables, avocats et juristes à
propos des conditions conformément auxquelles il a été
procédé à la naturalisation de personnes qui, le plus
souvent, ne connaissent le Liban que de nom et n’y ont jamais mis les pieds.
M. Béchara Merhèje, député de Beyrouth,
ancien ministre de l’Intérieur qui a contre-signé le premier
décret de naturalisation, a pris la défense de ce décret,
arguant qu’il a été élaboré dans l’esprit de
l’accord de Taëf. “De plus, ajoute-t-il, il a donné satisfaction
aux ayants-droit, dont la plupart sont nés dans ce pays et continuent
à y résider avec leurs familles depuis des dizaines d’années,
tels les habitants de Wadi Khaled (caza de Akkar) et ceux des sept localités
situées dans la zone frontalière méridionale. Ceux-ci
sont au nombre de 25.000 et disposaient d’un document attestant leur naissance
et leur présence en territoire libanais depuis 1963.”
- Et qu’en est-il des erreurs relevées dans le décret
de naturalisation, qui a accordé la nationalité à
bien des demandeurs qui ne la méritaient pas?
“Si la nationalité a été accordée à
des Palestiniens par le décret de 1994, il faut les en priver et
si le texte du décret comporte des lacunes ou des bévues,
il faut de toute urgence les rectifier.
“Puis, toute personne ayant acquis la nationalité libanaise
au moment où elle purgeait une peine de prison et dont le casier
judiciaire ne serait pas vierge, devrait en être privé.
“Si des moukhtars auraient délivré de fausses attestations
aux bénéficiaires de la naturalisation, on devrait les poursuivre
en justice.”
Fait étrange: M. Merhèje reconnaît, implicitement,
que certaines anomalies ont entaché l’octroi de la nationalité
libanaise. Or, en sa qualité de ministre de l’Intérieur,
à l’époque où le décret de naturalisation a
été promulgué, il aurait dû enquêter pour
s’assurer du fait que les demandeurs remplissaient les conditions requises
pour se faire naturaliser.
P. HÉLOU: UN CRIME CONTRE LE LIBAN
M. Pierre
Hélou, ancien député, président de la Ligue
maronite, qualifie de “crime contre la patrie” le premier décret
de naturalisation et l’annexe qui a été, fort heureusement,
gelé au dernier moment.
“Notre appréhension à ce propos, précise-t-il,
ne découle pas du danger d’équilibre démographique,
mais de l’octroi de la nationalité libanaise à près
de 50.000 Palestiniens, alors que par décision de la Ligue arabe,
il est strictement interdit d’octroyer à ces derniers la nationalité
des pays où ils sont établis depuis leur départ de
la Terre Sainte. Et ce, afin de conserver leur droit au retour et, aussi,
d’empêcher leur implantation ailleurs que dans leur mère-patrie.”
M. Hélou estime, d’autre part, que la nationalité a été
accordée à des milliers de personnes n’ayant fait l’objet
d’aucune enquête de la part des organismes officiels qualifiés.
“Si la naturalisation a été décidée afin,
comme d’aucuns le prétendent, de maintenir l’équilibre confessionnel
et démographique, il faudrait promulguer dix-huit autres décrets,
selon le nombre des communautés religieuses que compte le Liban.
“Notre position envers cette question est claire et nous ne cessons
de la rappeler: que la nationalité libanaise soit accordée
à toute personne qui la mérite, même si un million
de musulmans devaient en bénéficier et aucun chrétien.
Nous avons peur pour la patrie et pour l’avenir de nos enfants. Car comment
justifier l’octroi de la nationalité à des bénéficiaires
de soixante-douze nationalités différentes?”
ZAKHOUR: PRÉLUDE À L’INTÉGRATION
NATIONALE
Quant
à M. Hafez Zakhour, secrétaire général de la
Ligue maronite, il émet ces réflexions: “Nous avons mis en
garde contre les fâcheuses conséquences du décret de
naturalisation dès sa promulgation et avons, pour cela, présenté
une demande d’invalidation de ce décret auprès du Conseil
d’Etat.”
Revenant à la loi élaborée au temps du Haut commissaire
français qui reste en vigueur, M. Zakhour en évoque le texte
qui stipule: “Contrairement à toute personne née de père
libanais, qui a droit à la nationalité d’office, le président
de la République a, exceptionnellement, le droit d’accorder la nationalité
libanaise à quiconque rend service ou accomplit une réalisation
de poids ou investit au Liban.”
“On est en droit de poser la question suivante: Combien parmi les
dizaines de milliers de nouveaux naturalisés ont rendu d’insignes
services à notre pays ou y ont investi des capitaux en vue de la
réalisation de projets d’utilité publique?
“La nationalité libanaise a été instituée
en vertu de la convention de Lausanne de 1924. Il y est stipulé:
Quiconque résidait au Liban à la date du 30/8/1924 et d’origine
ottomane, devient libanais. Toute autre personne qui désire acquérir
la nationalité libanaise, doit présenter une demande en bonne
et due forme dans un délai de deux ans.
“Certains ayants-droit n’ont pas présenté une telle
demande pour différentes raisons, tels les Arabes de Wadi Khaled
pour n’avoir pas à acquitter les impôts et ne pas s’enrôler
dans les forces du Levant.
“Le délai pour l’obtention de la nationalité libanaise
devait être prorogé par la suite. Il s’agit d’une formalité
simple à accomplir auprès du juge unique.
“En vertu de ce texte, un grand nombre de Palestiniens ont pu acquérir
la nationalité libanaise. Mais, depuis 1967, aucun décret
de naturalisation n’a été élaboré, sauf en
1994”.
Et M. Zakhour de conclure: “La Ligue maronite ne peut qu’être
conséquente avec ses principes et ses objectifs, fidèle à
sa mission nationale qui lui font obligation de veiller sur les intérêts
supérieurs de la nation. Notre action part de considérations
purement nationales et non confessionnelles.”
ABI-NASR: DES DESSEINS INAVOUÉS...
Me
Nemetallah Abi-Nasr, ancien secrétaire de la Ligue maronite, se
demande: “Si le but visé par l’annexe du décret de naturalisation
est de rétablir l’équilibre confessionnel, il faut reconnaître
que ce décret a accordé la nationalité libanaise à
des milliers de bénéficiaires pour des desseins inavoués.
“Notre position est connue: nous réclamons de rétablir
cet équilibre, non à partir de considérations confessionnelles,
mais parce que le décret constitue une violation de la loi.
“A la fin du sexennat du président Amine Gemayel, rappelle
Me Abi-Nasr, nous avons protesté contre la naturalisation de
125.000 personnes, loin de toute considération d’ordre confessionnel,
la proportion des chrétiens naturalisés ayant été,
alors, de 55 à 60 pour cent.
“Preuve en est que notre opposition se justifie, aujourd’hui...
c’est la reconnaissance par M. Béchara Merhèje, ancien ministre
de l’Intérieur, de l’existence d’erreurs, ayant entraîné
la naturalisation de milliers de Palestiniens d’une manière illégale.
De plus, ceux-ci ont été naturalisés sur base de fausses
attestations délivrées par les moukhtars. Nous n’avons pas
contesté, par contre, la naturalisation des Arabes de Wadi Khaled.
BAKHOS: LE TIMING, MAL CHOISI
M. Auguste
Bakhos, ancien parlementaire, président de la commission pour la
rénovation des lois, rappelle que l’accord de Taëf fait mention
de la naturalisation et sous le premier Cabinet du régime hraouiste,
une sous-commission a été chargée d’élaborer
une loi en ce sens et d’examiner les modalités de son application.
“A l’époque, nous avons manifesté notre opposition
à cette affaire, partant du fait que l’octroi de la nationalité
dans les Etats évolués, est soumise à des conditions
dûment définies. La loi internationale reconnaît la
naturalisation des personnes nées sur le territoire d’un pays et
après y avoir résidé pendant une période déterminée,
dix ans ou davantage.
“Or, il existe chez nous des centaines de milliers de Srilankais,
d’Hindous, d’Egyptiens, de Philippins, de Seychellois. Doit-on leur accorder
la nationalité libanaise sur simple demande de leur part?
“Puis, la femme ayant épousé un étranger, a
le droit, d’après la loi internationale, d’acquérir la nationalité
de son conjoint et d’en faire bénéficier sa progéniture.
“Le mal ayant été fait, il importe de prendre les
dispositions voulues pour rétablir l’équilibre.
“De toute manière, conclut M. Bakhos, je ne suis pas enclin
à soulever cette question, étant donné sa complexité
et les remous qu’elle peut provoquer au double plan social et national.”
SAAD: NON À LA NATURALISATION DES PALESTINIENS
M. Moustapha
Saad, député de Saïda, président du Mouvement
populaire nassérien, pense que le fait d’avoir soulevé, en
fin de règne, la question de la naturalisation, le gouvernement
haririen visait à susciter des difficultés au nouveau régime
et à placer le président Emile Lahoud devant un dossier délicat
ayant été à l’origine de tant de controverses!
“Il ne fait pas de doute, dit-il, que le premier décret de
naturalisation a comporté bien des lacunes et des erreurs. Il n’aurait
pas dû être promulgué et à sa place, il aurait
été préférable d’élaborer une loi rectifiant
un déséquilibre historique, afin de rendre justice à
des citoyens privés de la nationalité libanaise, tels les
Arabes de Wadi Khaled et les habitants des sept localités sudistes.
“Il ne s’agit pas en ce qui les concerne, d’une naturalisation,
mais de la reconnaissance d’un droit dont ils ont été empêchés
de jouir pendant des années, pour des raisons qu’il n’est pas besoin
de rappeler.
“D’ailleurs, le gouvernement (haririen) a commis bien d’autres erreurs
et injustices depuis 1992, en ce sens que la nationalité a été
accordée par des personnages influents à des demandeurs qui
n’avaient aucun droit de l’acquérir. La plupart des fois, des considérations
d’ordre politique et électoral étaient en jeu. Je ne cache
pas que de nombreux Palestiniens ont bénéficié du
décret de naturalisation, ce que je n’admets pas. J’ai proclamé
ma position à ce sujet maintes fois, car l’octroi de la nationalité
libanaise ne profite nullement à ces derniers, lesquels ont besoin
qu’on leur octroie des droits de caractère social et civil pour
assurer leur subsistance en attendant de réintégrer la Palestine.
“Je suis pour l’octroi de la nationalité libanaise à
toute personne remplissant des conditions requises pour la mériter,
abstraction faite de son affiliation religieuse, politique, de sa race
ou de sa couleur.
“Il faut reconnaître que le premier décret de naturalisation
comportait des erreurs, mais on ne peut ni ne doit réparer l’erreur
par une autre; autrement dit, de promulguer un décret dont les bénéficiaires
seraient à majorité chrétienne, en contrepartie d’un
précédent ayant accordé la nationalité à
des bénéficiaires musulmans dans leur majorité.
“C’est pourquoi, je compte beaucoup sur le Conseil d’Etat dont l’arrêt,
à ce sujet, doit normaliser la situation dans ce domaine.”
MRAD; LES AYANTS-DROIT ONT REÇU SATISFACTION
M. Abdel-Rahim
Mrad, député de la Békaa, prend la défense
du décret de naturalisation, arguant qu’il octroie la nationalité
à des personnes qui attendaient depuis près d’un demi-siècle
pour l’acquérir, des centaines d’autres ne l’ayant pas encore obtenue.
“En ce qui concerne les Palestiniens naturalisés, dit-il,
il faut reconnaître que beaucoup d’autres ont acquis la nationalité
libanaise depuis 1948. Pourquoi personne n’a trouvé à redire,
alors que maintenant la vague de protestation ne cesse de s’amplifier?
Les protestataires sont connus par leur affiliation et les formations dont
ils se réclament.
“Si le décret contesté a fait bénéficier
quelques milliers de Palestiniens, je ne crois que sans eux le problème
de l’implantation aurait été résolu.”
HARAKÉ: CONTRE L’IMPLANTATION CAMOUFLÉE
M. Salah
Haraké, député de Baabda, membre du bloc pour le développement
et la libération dont le chef de file est le président Nabih
Berri, pense que certaines brèches relevées dans le décret
de naturalisation, ont entaché ce dernier. “Aussi, est-il impérieux
de rectifier les erreurs, ce à quoi s’attelle le Conseil d’Etat
qui a été saisi d’une demande en invalidation.
“En ce qui concerne l’annexe, j’approuve sa promulgation si cela
rend justice à des ayants-droit. Nous aurions souhaité que
la loi fût appliquée d’une manière équitable
pour donner à chacun son droit.
“Naturellement, nous sommes contre “l’implantation camouflée”
des Palestiniens, beaucoup de ces derniers ayant acquis la nationalité
libanaise, alors que d’autres vivent à l’étranger et n’ont
jamais mis les pieds au Liban.
“Quoi qu’il en soit, il faut reconsidérer la loi sur la naturalisation,
en définissant clairement les conditions conformément auxquelles
la nationalité peut être accordée à ceux qui
la réclament.
“Enfin, je tiens à réaffirmer le droit des Libanais
d’outre-mer à récupérer la nationalité de leur
pays d’origine.”