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SUR DEUX PHOTOS
 
Si l’on voulait jouer au physionomiste, on noterait ce contraste frappant entre ces deux photos: celle de M. Hariri qui regarde les gens de haut et promène son regard autour de lui comme pour balayer l’horizon à la recherche d’un adversaire et celle de M. Hoss, la tête baissée, le regard dirigé de bas en haut par-dessus ses lunettes, l’oreille à l’écoute de son interlocuteur, le visage souvent animé d’un léger sourire; c’est l’image de la modestie, de l’attention et de la réflexion.
Il ne faut certes pas en tirer des conclusions exagérées. L’attitude de l’un et de l’autre, tient peut-être simplement à une différence de carrure physique et d’âge. Mais tout de même... Pour ceux qui appellent le “changement” de leurs vœux, ne voilà-t-il pas déjà un premier indice?
Il y en a eu d’autres et de plus signifiants: la majorité de 95 parlementaires qui a, rapidement, désigné M. Hoss (contre 64+19 pour M. Hariri) - la rapidité de la formation du Cabinet - le choix des ministres - l’accueil très favorable à ces nominations.
Il faut, donc, nécessairement, croire que le “changement” est en marche.
Au pas de charge, comme il se doit.
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Tout en se réjouissant de cet espoir retrouvé, on ne saurait trop inviter à la prudence. La tâche qui attend le gouvernement est immense et sa volonté de redresser la situation va susciter des grin-cements de dents bruyants qu’on devine déjà à la perspective d’une réforme fiscale et d’épuration.
Machiavel dit au prince que les animaux dont il doit savoir revêtir les formes sont le renard et le lion: “Le prince apprendra du premier à être adroit et de l’autre à être fort. Ceux qui dédaignent le rôle du renard, n’entendent guère leur métier.”
Le gouvernement de M. Hoss est formé d’hommes compétents et honnêtes, des hommes de science généralement, de réflexion et de pensée. M. Hoss est lui-même un homme de vaste culture, d’expérience en économie et en finance et c’est un homme de principe.
On le dit hésitant.
“Il serait décevant, écrit l’économiste Alfred Pose dans sa “Philosophie du pouvoir” (1948), de donner le pouvoir à un homme que son austérité tiendrait à l’écart de la vie, que sa vertu intransigeante condamnerait à ces hésitations et à ces scrupules, dont ne s’accommode pas une action rapide et efficace. Si l’homme d’Etat doit s’interroger sur ses mobiles et sur la qualité de ses objectifs, il ne saurait se perdre dans l’introspection. Son rôle est de marcher à la tête d’une société, de la maintenir unie et de la conduire. C’est essentiellement un rôle d’action.”
Dans le cas présent, le tandem Lahoud-Hoss devrait donner toute garantie à ce sujet. Les deux hommes se complètent apparemment. Mais il ne faut jamais oublier que l’exercice du pouvoir au Liban exige, comme on l’a dit jadis, de savoir marcher sur des œufs.
Les conseils de Machiavel dans leurs conséquences logiques (la fin justifie les moyens: “Ce qui est à désirer, c’est qu’au moment où le fait l’accuse, le résultat puisse l’excuser.” Il s’agit du prince, naturellement, ces conseils ne sont pas de ceux qu’un Hoss puisse accepter. Ils heurtent trop sa sensibilité d’honnête homme. Mais son expérience du pouvoir et sa sagesse lui ont sûrement appris que pour gouverner avec efficacité, la vertu seule ne suffit pas.
Renard et lion, c’est tout de même une leçon à retenir.

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Quand on aura la déclaration ministérielle, il y aura encore beaucoup à dire sur les perspectives qu’offre ce nouveau gouvernement, hors du commun par rapport aux traditions libanaises.
Mais, d’ores et déjà, on peut émettre quelques réflexions sur une priorité annoncée: la réforme administrative. On pense, à ce sujet, à la compétence mais aussi et, surtout, à l’honnêteté ou à son contraire, la corruption qui, d’un avis unanime, n’a jamais fait autant de ravages.
Si, selon Montesquieu, dans le gouvernement de la Cité “la vertu même a besoin de limites”, chez nous c’est au vice qu’il est urgent de fixer des bornes. Ce n’est pas d’une certaine corruption au sommet de la hiérarchie que le citoyen souffre (elle ne le touche pas directement), mais de celle qui règne à tous les échelons inférieurs.
Là-dessus, on peut encore rejoindre Alfred Pose qui, dans le même ouvrage, note que parmi les grands ministres et rois de l’Histoire de France, beaucoup n’étaient pas au-dessus de tout soupçon (Richelieu, Mazarin, Colbert, Louis XI), mais ont rendu des services éclatants à leur pays;  alors qu’un Saint-Louis faisait la ruine de la France.
Je le cite non pas pour faire allusion à qui que ce soit, ni pour excuser certains grands commis de l’Etat, ni pour affaiblir notre ambition d’épurer l’exercice du pouvoir, mais pour le plaisir d’illustrer une réflexion sur les aspects souvent contradictoires du problème de la morale en politique.
En fait, les conditions d’exercice du pouvoir ne sont plus, à notre époque, ce qu’elles furent aux siècles que ces noms de rois et de ministres célèbres évoquent. Alors, les peuples n’étaient pas souverains et le pouvoir était sans contrôle. Nous pouvons donc rêver encore d’une vertu sans limite. L’exemple nous en a été promis du sommet de l’Etat ce 24 novembre.
On n’ira cependant pas jusqu’à préconiser la sainteté. 

 
 
 

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