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Pour répondre au vœu unanime des Libanais, le président Lahoud et le gouvernement accordent une priorité à l’élaboration d’une nouvelle loi électorale dont l’objectif serait d’assurer une représentation nationale équilibrée après l’apparition des lacunes de la loi actuelle, suite à deux scrutins malheureux ayant abouti à un déséquilibre parlementaire entraînant une gabégie administrative et politique.
La loi électorale étant d’une importance primordiale dans
tout régime démocratique, nous estimons devoir avancer des
idées susceptibles de déclencher d’autres commentaires et,
ce faisant, aider les responsables à établir la législation
équitable qui répond à leur vœu et à celui
des citoyens.
La laïcité est un objectif souhaitable mais sa réalisation
est lointaine, sinon impossible dans les circonstances actuelles. Quant
à se cantonner dans la suppression du confessionnalisme politique,
c’est un leurre pouvant causer des injustices intolérables.
La seule voie possible pour aboutir à une représentation
saine réside dans un système de vote uninominal par circonscriptions
adéquates qui assurerait plusieurs objectifs étudiés
dans ce texte.
I- LE SYSTÈME ÉLECTORAL PARLEMENTAIRE
ACTUEL
L’accord de Taëf a repris en matière parlementaire le système
électoral qui était en vigueur au temps du mandat, c’est-à-dire
l’adoption du mohafazat (département) comme circonscription électorale
et le scrutin de liste.
Cette loi promulguée par la puissance mandataire l’a été
pour des raisons déterminées que nous examinerons ci-après
et que les décideurs de Taëf ont saisi et adopté dans
des buts également déterminés.
Cette loi est la copie conforme de la loi électorale française
du 16-17 juin 1885, qui n’a vécu que ce que vivent les roses, l’espace
d’une législature, puisqu’une loi du 13-14 février 1889 devait
l’abolir et rétablir le scrutin uninominal par arrondissement.
Le rapport au Sénat concernant la loi de 1885 nous éclaire
sur la valeur respective du scrutin de liste par département et
du scrutin uninominal par arrondissement.
“L’élection d’arrondissement, disait M. Dufaure, est favorable
aux influences permanentes de la société. Elle leur fait
une juste part dans la représentation, qu’elle rend plus complète
et plus vraie. Elle sert le suffrage universel en l’éclairant davantage
sur ses choix. La volonté des électeurs est plus libre, leur
choix plus spontané et il se forme entre eux et leurs élus
un lien plus étroit, plus intime. Le plus souvent, ils sont connus
dès longtemps et ils ne deviendront pas étrangers les uns
aux autres après l’expiration du mandat. Aussi, les devoirs du mandataire
envers ses commettants s’imposent-ils à lui d’une manière
plus distincte. Il a besoin de conserver toujours ses droits à leur
estime et l’honneur de son avenir dépend de la conduite qu’il aura
tenue pendant la durée de sa mission. Lui aussi, il ménage
la popularité, mais la vraie, la bonne, la popularité durable.”
Les détracteurs du scrutin uninominal, après avoir avancé
certaines critiques notamment que ce mode de scrutin privilégie
les intérêts de l’électeur sur celui de la nation,
alors que le scrutin de liste assure au député une plus grande
indépendance, finissent par avancer l’argument majeur qui devait
entraîner l’adhésion du Sénat, à savoir: l’écartement
des adversaires de la République.
“Votre commission s’est souvenue que les adversaires du scrutin de
liste se sont principalement recrutés parmi les adversaires de la
République. Elle compte sur le rétablissement de ce scrutin
pour voir succéder la large lutte des idées à la lutte
étroite des personnes, pour voir diminuer la sujétion de
l’élu vis-à-vis de l’électeur; elle y compte pour
parvenir à une composition plus homogène des partis parlementaires;
elle y compte enfin pour assurer dans une plus large mesure l’indépendance
réciproque de la Chambre et du gouvernement” (Rapport au Sénat).
ÉCARTER LES ADVERSAIRES DE LA RÉPUBLIQUE
Ce souci d’écarter les adversaires de la République ressort,
également, du rapport au Sénat à l’occasion du vote
de la loi du 13-14 février 1889 qui a rétabli le vote uninominal
par arrondissement.
On tire de ces rapports au moins trois conclusions:
1- Que le scrutin uninominal conduit à une représentation
réelle.
2- Que le scrutin de liste a été adopté pour écarter
les ennemis de la République.
3- Que le scrutin de liste assemble des personnes de différentes
tendances qui ne se réunissent que pour leurs intérêts
électoraux.
On est étonné de constater combien les rapports précités
s’appliquent à notre crise électorale actuelle.
Arrêtons-nous un instant sur l’adoption du scrutin de liste dans
le but d’écarter les ennemis de la République.
Un retour à l’Histoire de France nous rappelle la naissance
difficile de la IIIème République.
Après la chute du deuxième Empire à la suite de
la guerre de 1870, la majorité française désirait
la restauration royaliste, mais cette majorité était divisée
entre Légitimistes et Orléanistes.
La fraction républicaine était minoritaire, mais plus
nombreuse que chacune des fractions royalistes prise séparément.
Et c’est cette situation qui a permis la naissance de la troisième
république qui dans l’esprit de la majorité n’était
que provisoire en attendant de trouver une entente entre royalistes.
Compte tenu de cette situation, le souci majeur des républicains
résidait dans la défense de la République au moyen
de l’écartement de ses adversaires; ceci ressort clairement des
rapports au Sénat lors de l’adoption des lois de 1885 et 1889.
Les autorités françaises du mandat, qui connaissaient
mieux que quiconque l’Histoire et les institutions de leur pays, ont doté
le Liban du scrutin qui fut le leur par la loi de 1885, c’est-à-dire
le scrutin de liste et par mohafazat (département) pour pouvoir
écarter les indésirables.
Les décideurs de Taëf ont imposé ce même système
électoral pour le parlement et l’ont revêtu de la répartition
égale mais provisoire entre chrétiens et musulmans.
LES CHRÉTIENS LÉSÉS...
Nous connaissons déjà les résultats de cette loi
électorale: dans quatre mohafazats sur cinq les députés
chrétiens sont à la merci, sinon les otages, de l’électorat
islamique et de ses leaders. Ils ont perdu la liberté de leur opinion.
Les communautés chrétiennes perdent, ainsi, du fait des institutions
étatiques, le droit à la représentation réelle.
Les conséquences seraient pires en cas d’adoption du projet
faisant du Liban une circonscription unique.
Le Liban n’a pas de partis politiques non confessionnels, capables
de former des listes électorales. Ces dernières sont formées
par des personnes physiques jouissant d’une clientèle électorale
qu’ils peuvent diriger vers d’autres candidats. Ces personnes se réunissent
pour les besoins électoraux et se partagent entre eux les autres
candidats. Ce choix n’est jamais gratuit; il est fait en fonction de l’allégeance
du quémandeur au leader qui l’a choisi et de ses capacités
financières pour monnayer les frais électoraux de la liste
et, souvent, le choix dont il a bénéficié. Ainsi,
depuis très longtemps, on a vu arriver à la députation
des financiers tirés du néant, mais avides d’honneurs et
d’affaires nouvelles.
Ainsi, se forme une oligarchie politique communément appelée
féodalité qui régente le gouvernement et bénéficie
de tous les avantages pouvant être tirés de l’Etat.
Ce système libanais fausse, pratiquement, toute représentation
réelle, puisque les citoyens sont amenés à élire
des personnes, dont ils ignorent tout, grâce aux instructions reçues
de leurs leaders respectifs.
De même, l’allégeance imposée par les “faiseurs
de listes” aux candidats choisis par chacun d’eux limite, dangereusement,
la liberté de ces députés qui est la base même
de toute démocratie.
Enfin, le scrutin de liste tel que pratiqué au Liban, n’existe
dans aucun pays démocratique ayant adopté le scrutin uninominal.
Nous ne citerons comme exemple que certains pays créateurs de la
démocratie moderne: Angleterre, France, Allemagne, Italie, USA.
II- SOLUTION PROPOSÉE
1- Scrutin uninominal
L’oligarchie politique créée par le scrutin de liste
met le pouvoir politique et l’administration dans un état statique,
incapable de promouvoir l’évolution que nécessitent les changements
sociaux et économiques. Ceci est dû à la présence
et à l’influence permanente des mêmes personnes et, très
souvent, à la transmission de leur situation à leurs héritiers.
A l’encontre de cet état statique, le pouvoir politique et l’administration
ont constamment besoin d’un renouveau qui accompagne l’évolution
sociale et économique. Ce dynamisme ne peut provenir que du scrutin
uninominal parce qu’il suit les modifications et l’évolution de
la société.
Le scrutin uninominal est le seul qui soit de nature à assurer
en pratique le respect des principes démocratiques et le dynamisme
indispensable au pouvoir politique soit:
- Le droit de tout citoyen à être en pratique électeur
libre et éligible.
- Le droit à une représentation réelle.
- La libération des députés de l’influence des
leaders, qu’ils soient de leur communauté ou d’une autre.
- Le dynamisme du pouvoir.
- Le droit au changement.
Tout cela n’est possible que par le scrutin uninominal en vertu duquel
un électeur ne peut voter que pour un candidat, lequel pourrait
être étranger à sa communauté.
Les leaders “faiseurs de listes électorales” sont éliminés,
car chacun d’eux bénéficiera du vote de ses partisans et
sera privé du droit d’en faire profiter des candidats de son choix.
Si ce leader est assez puissant pour partager le vote de ses partisans
avec un autre candidat de sa circonscription, ou s’il a des partisans dans
d’autres circonscriptions qu’il peut diriger vers un candidat déterminé,
cela ne nuit pas à la représentation réelle, mais
ceci est hypothétique, car chacun sera absorbé par son propre
sort.
Ce système assurera l’arrivée à la députation
ou au conseil municipal de personnes représentant par eux-mêmes
non par un autre, la majorité des électeurs ainsi que leur
orientation.
Par l’intermédiaire des circonscriptions et de la répartition
confessionnelle, les élus des confessions minoritaires dans certaines
régions, seront libérés de l’influence des leaders
des communautés majoritaires.
2-circonscription électorale
Dans les pays pratiquant le vote uninominal, chaque circonscription
élit un député; ceci est possible du fait de la laïcité
des institutions étatiques et de l’absence du confessionnalisme.
Ce découpage n’est pas souhaitable au Liban, parce qu’une trop
grande concentration dans une région d’électeurs appartenant
à la même communauté, risque de favoriser la surenchère
confessionnelle.
Ensuite, ce découpage n’est pas possible à cause de la
cohabitation dans les régions ou même les caïmacamats
de personnes appartenant à plusieurs communautés. Très
souvent, le nombre des membres des communautés minoritaires n’est
pas assez important pour leur accorder un député mais, joints
à celui d’une région voisine, il le devient.
Dans le premier cas, ces habitants minoritaires sont pratiquement privés
du droit à l’éligibilité et, dans le second, ils en
bénéficient; ainsi, tous les citoyens acquièrent l’égalité
des droits politiques.
Certains exemples explicitent davantage cet état de fait.
Dans chacun des caïmacamats de Zghorta et de Koura, le nombre
des habitants sunnites ne leur permet pas d’avoir un député.
Dans le caïmacamat de Dennieh, les minorités maronite,
orthodoxe n’ont pas droit à un député.
Ces exemples peuvent s’appliquer à la majorité des régions
libanaises. Pour cette raison primordiale, on ne peut diviser le pays en
autant de circonscriptions qu’il y a de députés.
Le principe serait de diviser le Liban en circonscriptions électorales
assurant le droit à l’éligibilité de tous ses habitants.
Peu importe la dimension géographique de chaque circonscription;
cette dernière peut être formée d’un ou de plusieurs
caïmacamats puisque le scrutin est uninominal et les élus de
chaque communauté seront ceux qui ont acquis le plus de voix par
rapport à leurs coreligionnaires.
Toutefois, il est souhaitable de ne pas retenir le mohafazat comme
circonscription électorale, à cause des frais que cela impose
au candidat, obligé de financer lui-même sa campagne, de l’ignorance
de l’électeur des candidats éloignés et de la crainte
de voir certaines régions privées d’une représentation.
A l’intérieur de chaque circonscription, les candidats se présenteront,
séparément, ne seront compétitifs entre eux que ceux
appartenant à la même communauté et ne seront élus
parmi eux que ceux qui auront obtenu le plus de voix. Ainsi, à titre
d’exemple, si une circonscription a droit à dix députés
dont 3 maronites, 2 sunnites, 1 druze, 1 orthodoxe, 1 grec-catholique,
2 chiites, ne seront déclarés élus que les premiers
de chaque communauté.
Le vote uninominal assurera, également, la représentation
réelle des minoritaires dans les conseils municipaux.
Nous n’ignorons pas que ce système proposé ne trouvera
pas d’écho favorable auprès du pouvoir politique et ce, pour
différentes raisons dont, notamment, la diminution de l’influence
du pouvoir exécutif dans le déroulement des élections;
la destruction du pouvoir des leaders dans la formation des listes électorales
et, par voie de conséquence, au sein de l’Etat et la perte d’espoir
de tout député peu influent, ou sorti du néant, de
reprendre son siège parlementaire.
Malgré cela, il est utile sinon nécessaire d’avancer
des idées utiles pour une meilleure application des principes démocratiques,
en vue d’assurer la liberté des citoyens et l’égalité
entre eux, seuls garants de l’unité nationale, de l’évolution
sociale, de l’attachement à la patrie et capables de donner au Liban
sa véritable mission de terre de rencontre égalitaire entre
l’Islam et la Chrétienté.