Bloc - Notes

ParALINE LAHOUD  
 

LES MILLIARDS EN VADROUILLE

On en a froid dans le dos! Ces sommes fabuleuses que les ministres, anciens et ex-anciens, se jettent à la figure, feraient rêver si elles n’avaient pas été pour l’infortuné contribuable libanais un sujet de cauchemar.
Il faut dire qu’au Liban, les milliards ont la curieuse manie de s’envoler pour des destinations inconnues. Une sorte de “via dolorosa” qui, à travers ces paradis des comptes numérotés, finissent par atterrir dans certaines poches. Quelles poches? Voilà l’objet du déballage de linge sale auquel nous assistons actuellement.
1200 milliards de livres libanaises, presque un milliard de dollars (ce n’est pas rien!) auraient, aux dires du ministre de l’Intérieur, disparu de la caisse autonome des municipalités, sans que l’on sache où ces milliards sont allé faire l’école buissonnière. Evidemment, chacun a sa petite idée là-dessus et murmure à l’oreille de l’autre le sésame des scandales, le mot “dossiers”. Lesquels “dossiers” semblent faire partie d’un héritage de famille, comme les joyaux de la couronne ou une maladie sexuellement transmissible dont on parle à voix feutrée.
Mais on en parle quand même. Et cela vient d’un ancien membre de l’ex-famille régnante, reconverti dans la transparence. Alors ces 1200 milliards des municipalités où sont-ils passés? Répondant à M. Murr, M. Bassem Sabeh, ex-détenteur par intérim du ministère des Affaires rurales et municipales, après la démission de M. Demerjian, s’étrangle d’indignation: “- J’ai remis 8 milliards à M. Murr lui-même afin qu’il les distribue à certaines municipalités du Metn...” Sous-entendant: aux municipalités qui ont eu le bon goût de se réfugier dans le giron de M. Murr. Et de poursuivre: “ - J’ai eu tort d’ailleurs. C’était une irrégularité... Et nous avons distribué 50 autres milliards aux autres municipalités”. Il n’est pas nécessaire d’être sorti de Polytechnique pour calculer que 8 plus 50 font 58. Et le reste, c’est-à-dire 1142 milliards?
A en croire certaines informations parues dans la presse quotidienne, le président d’une municipalité du Mont-Liban aurait affirmé qu’une partie (il ne précise pas à combien se monte cette partie) des taxes municipales sont allées alimenter Sukleen qui ne s’occupe du ramassage des ordures ménagères que dans Beyrouth et sa banlieue.
Est-ce normal? Est-ce ce que stipule le contrat passé avec Sukleen? Est-il d’usage que des fonds publics servent à financer une société privée à but lucratif? Et qui est Sukleen? Qui en est le PDG? Qui en sont les actionnaires? Et si ce n’était que Sukleen! Mais que de Sukleen dans ce pays et que d’ordures à ramasser!
On parle, aussi, des milliards destinés à reloger les déplacés dans leurs villages d’origine. Milliards qui ont suivi un parcours capricieux pour finalement échouer, non pas dans les poches des déplacés, mais dans celles de ceux qui les ont déplacés. 68% de ces milliards ont servi à convaincre les “occupants” à vider les lieux. Une autre partie a été utilisée comme prix de consolation à Solidere qui, la pauvre, criait famine après avoir kidnappé la moitié de Beyrouth.
Pour plus de précision, sachez que la caisse des déplacés aurait payé, à ceux qui ont squattérisé des immeubles faisant partie de l’empire de Solidere, des indemnités faramineuses. Et ce, pour permettre à ladite Solidere, qui s’est approprié des centaines de milliers d’hectares de la capitale, par des méthodes que n’auraient pas reniées les Tontons Macoutes, de revendre à 6000 dollars le mètre carré acheté à 400. Autrement dit, le  beurre et l’argent du beurre. Une accumulation de profits à donner des insomnies au Cartel de Medellin*.
Ces deux échantillons placent les 24 milliards de dollars de dettes que nous traînons aux pieds comme des boulets de forçats, sous un nouvel éclairage et nous donnent une idée des fameux “dossiers” dont on parle.
Evidemment, nous autre piétaille, nous ne possédons pas ces dossiers. Mais nous pouvons emprunter  une calculatrice pour diviser 24 milliards de dollars par 4 millions d’habitants. Ce qui fait pour chacun d’entre nous (nourrissons compris) et sans compter les intérêts, une ardoise de 6000$. C’est-à-dire deux fois le salaire minimum annuel par tête de pipe. Tout cela pourquoi? Pour expédier 90% de la population au-dessous du seuil de la  misère, au profit des 10% gavés jusqu’à l’éclatement des coutures.
On nous a accusés, nous autres de la presse, au cours des six dernières années, de porter atteinte - en parlant de corruption et de prévarications - à la réputation du Liban. Eh! bien, à entendre ce que les ex-ministres eux-mêmes révèlent, on peut se demander si le plus délirant des journalistes a jamais pu prétendre à autant d’imagination.
 

*Association des plus grands narcotrafiquants du monde dont la capitale est la ville de Medellin au nord-ouest  de Bogota en Colombie.


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