L’“IMPEACHMENT” À CONTRE-COURANT DE L’AMÉRIQUE

Il y a quelque chose de pourri dans le royaume de Danemark”, constatait Hamlet il y a près de quatre siècles. Par extrapolation, dans le sillage de ce héros shakespearien, on pourrait ajouter: il y a quelque chose de pourri dans cette majestueuse capitale fédérale, Washington, rendez-vous des sorcières et des génies qui recomposent le monde, qui font et défont les hommes. Et plus précisément, dans ce Capitole qui vogue tel un bateau ivre, à contre-courant des priorités des Américains.
 
Monica bousculée comme une superstar 
à son arrivée à l’hôtel à Washington.
 
Clinton annonçant son “welfare-to-work”, un programme d’un milliard de dollars pour soutenir 200.000 pères de famille à faible revenu.
 
 
William Rehnquist conduisant 
le procès. Image retransmise 
par C-SPAN 2 TV.
Charles Ruff de l’équipe de la défense du président, arrivant au Sénat.
 
Trent Lott, leader de la majorité républicaine, 
un modéré entraîné par le processus.
 

Le leader de la minorité démocrate au Sénat, 
Tom Daschle dénonce la “bataille partisane 
qui ne changera rien au résultat final.”
 
L’espace de quelques heures, la présence 
du Pape en terre américaine a éclipsé 
le procès de Clinton.
 
 
 

Tout avait été pourri dès le départ, avec la volonté délibérée de détrôner un président médiatique à qui on reprochait son succès insolent, nombre de ses options et sa duplicité. Pendant quatre ans, un procureur indépendant, haï et fielleux, l’avait en vain pourchassé pour enfin se saisir d’une midinette qui s’est soudain souvenue (ou qui s’est imaginée) que l’ancien gouverneur de l’Arkansas l’avait harcelée sexuellement dans une chambre d’hôtel.
L’affaire Lewinsky est partie de ce nœud inespéré. Les détracteurs de Clinton, recrutés principalement dans les rangs de la droite chrétienne républicaine, ont retrouvé la filière d’une ex-stagiaire de la Maison-Blanche délurée et bavarde qui s’est confiée – ô hasard - à une fausse amie jouant les Mata Hari avec l’aide du FBI et du procureur Starr. Ils l’ont appelée à témoigner pour prouver des constantes dans le comportement du président, à savoir son comportement sexuel irresponsable. Lancés sur les traces des amours d’alcôve, il y a déjà un an, ils ont requis le témoignage du président qui a commencé par nier toute relation avec l’ex-stagiaire pour enfin, se rétracter et avouer à la face de la nation une “relation inappropriée” qui, dans son optique et selon un jeu sémantique, n’était pas sexuelle. Le président demandait alors pardon à sa famille, à son pays et à Dieu. Il pleurait même. Il avait l’air pitoyable. Pendant qu’il rentrait dans la peau d’un citoyen ordinaire et perdait toute sa superbe, une star naissait et montait dans le firmament. Monica devenait même très chère. Une commission judiciaire était formée à la Chambre des représentants et celle-ci, reprenant les conclusions de ladite commission, votait, le 19 décembre dernier, à l’encontre du président deux chefs d’inculpation: le parjure et l’obstruction à la justice. L’affaire était remise entre les mains du Sénat présidé par William Rehnquist, chef de la Cour Suprême. Le coup d’envoi des plaidoiries commençait le 14 janvier.
A aucun moment de ce sinistre parcours, les citoyens américains (quelque 300 millions) n’ont lâché le président Clinton. Tout en sachant qu’il a menti sur la nature de sa relation avec Monica Lewinsky, tout en trouvant son comportement répréhensible, ils ont continué à lui apporter leurs suffrages. Et sa cote de popularité, en dépit de la campagne féroce des médias et des politiciens, n’a cessé de monter. La semaine dernière, 53 millions d’Américains avaient suivi son discours sur l’état de l’Union. Et selon un sondage CNN-USA Today, 74% d’entre eux ont estimé qu’il est toujours capable de diriger le pays. A l’aube de la nouvelle année, il se présentait comme l’homme que ses concitoyens admiraient le plus. Et cette semaine, au cours des plaidoiries, selon un sondage du magazine “Time”, 58% des Américains désapprouvaient la manière dont les républicains conduisaient les débats, rejetaient toute idée de destitution et demandaient que s’arrête le “procès du siècle”. Clinton, recentré, a su répondre aux priorités des Américains: l’éducation, la santé, la lutte contre le crime, la drogue, le renforcement de la retraite. Et c’est à ces priorités qu’il continue à répondre pendant que son sort se joue au Sénat où démocrates et républicains, à l’issue de six jours de plaidoiries partagées entre l’accusation et la défense, suivies de seize heures accordées aux questions écrites des cent sénateurs juges et jurés, en sont arrivés à un stade crucial du procès. Faut-il voter un non-lieu, comme le réclament les démocrates ou pour la convocation de témoins comme n’ont cessé de le soutenir les républicains? Henry Hyde, chef des managers-procureurs à qui on avait reproché une relation extraconjugale, décidé d’aller jusqu’au bout du procès, a estimé que le peuple avait le droit de tout savoir “en dépit de tous les sondages, de tous les articles”. Réalisant, comme l’ont souligné les experts juridiques cités par le “New York Times”, combien avait été faible le dossier de l’accusation, face à la défense vigoureuse conduite par les avocats de Clinton et qui a fait vaciller certaines têtes républicaines et pour prévenir un non-lieu possible auquel contribueraient les voix de ces sénateurs convertis aux thèses démocrates (à savoir que la conduite du président aussi répréhensible qu’elle soit, ne justifie pas la destitution car elle ne menace “ni la stabilité de l’Etat, ni sa prospérité), Henry Hyde a sorti des oubliettes le procureur indépendant Kenneth Starr qui avait dirigé l’enquête et a repris du service. Celui-ci a sollicité un juge fédéral qui a ramené manu militari Monica Lewinsky de Los Angeles (où elle s’était réfugiée auprès de son père, un richissime cancérologue) à Washington pour y être soumise, en sa présence, à un interrogatoire informel des managers républicains. En pleine forme, ayant troqué le béret de ses débuts de stagiaire à la Maison-Blanche pour la casquette de base-ball, Monica (qui est soutenue, entre autres, par la célèbre journaliste américaine Barbara Walters et qui a confié le récit de ses aventures “Monica’s Story” pour un million de dollars à Andrew Morton, biographe de la princesse Diana) a reçu, dimanche dernier, trois procureurs dans sa suite présidentielle (Starr a annoncé que l’Etat ne paiera pas la facture de cette suite) à l’hôtel “Mayflower” tout près de la Maison-Blanche. Questionnée pendant deux heures par ces inquisiteurs, elle subissait son 23ème interrrogatoire en un an. 1.800 pages de dépositions n’avaient pas suffi. Les ultras- républicains sont toujours à la recherche du “smoking gun” ou l’argument-clé qui précipitera la destitution du président. Monica, comme ses avocats l’ont assuré, n’avait rien dit de nouveau contrairement aux procureurs qui pensent que son témoignage pourrait être “très utile” dans la perspective d’une convocation au Sénat et qui serait accompagnée de la comparution d’autres acteurs de ce psychodrame. Que vaut un procès sans témoins? n’ont-ils cessé de répéter. Vivement dénoncée par les démocrates, cette méthode veut redonner du souffle aux républicains qui, selon l’arithmétique (la majorité des deux-tiers étant requise, soit 67 voix dans un Sénat composé de 55 républicains, 45 démocrates), n’ont aucune chance, à moins d’une révélation extraordinaire qui remettrait tout en question, de destituer le président. Ils le savent bien. Finalement, “le verdict de l’histoire” auquel ils se refèrent pourrait se retourner contre eux. Les débats n’étant pas près de prendre fin, les managers ont adressé de nouvelles demandes au Sénat, des citations à comparaître de trois témoins:  Monica Lewinsky, Vernon Jordan, ami personnel de Bill Clinton et Sydney Blumenthal, assistant à la Maison-Blanche. Pendant ce temps, le président Bill Clinton accompagné de Hillary son épouse, accueillait à Saint-Louis dans le Missouri (centre-est) le pape Jean-Paul II venu pour la troisième fois en terre américaine pour une visite pastorale de 30 heures. Pour sa quatrième rencontre (et lors d’un entretien de vingt minutes), avec le Souverain Pontife, le président américain, tout comme ses concitoyens, était appelé à “résister à la culture de la mort”, à rejeter les violences et, surtout, à ne pas s’embarquer au seuil du troisième millénaire dans “un monde et une histoire sans âme.”

Par Evelyne MASSOUD

Home
Home