Tout avait été pourri dès le départ, avec
la volonté délibérée de détrôner
un président médiatique à qui on reprochait son succès
insolent, nombre de ses options et sa duplicité. Pendant quatre
ans, un procureur indépendant, haï et fielleux, l’avait en
vain pourchassé pour enfin se saisir d’une midinette qui s’est soudain
souvenue (ou qui s’est imaginée) que l’ancien gouverneur de l’Arkansas
l’avait harcelée sexuellement dans une chambre d’hôtel.
L’affaire Lewinsky est partie de ce nœud inespéré. Les
détracteurs de Clinton, recrutés principalement dans les
rangs de la droite chrétienne républicaine, ont retrouvé
la filière d’une ex-stagiaire de la Maison-Blanche délurée
et bavarde qui s’est confiée – ô hasard - à une fausse
amie jouant les Mata Hari avec l’aide du FBI et du procureur Starr. Ils
l’ont appelée à témoigner pour prouver des constantes
dans le comportement du président, à savoir son comportement
sexuel irresponsable. Lancés sur les traces des amours d’alcôve,
il y a déjà un an, ils ont requis le témoignage du
président qui a commencé par nier toute relation avec l’ex-stagiaire
pour enfin, se rétracter et avouer à la face de la nation
une “relation inappropriée” qui, dans son optique et selon un jeu
sémantique, n’était pas sexuelle. Le président demandait
alors pardon à sa famille, à son pays et à Dieu. Il
pleurait même. Il avait l’air pitoyable. Pendant qu’il rentrait dans
la peau d’un citoyen ordinaire et perdait toute sa superbe, une star naissait
et montait dans le firmament. Monica devenait même très chère.
Une commission judiciaire était formée à la Chambre
des représentants et celle-ci, reprenant les conclusions de ladite
commission, votait, le 19 décembre dernier, à l’encontre
du président deux chefs d’inculpation: le parjure et l’obstruction
à la justice. L’affaire était remise entre les mains du Sénat
présidé par William Rehnquist, chef de la Cour Suprême.
Le coup d’envoi des plaidoiries commençait le 14 janvier.
A aucun moment de ce sinistre parcours, les citoyens américains
(quelque 300 millions) n’ont lâché le président Clinton.
Tout en sachant qu’il a menti sur la nature de sa relation avec Monica
Lewinsky, tout en trouvant son comportement répréhensible,
ils ont continué à lui apporter leurs suffrages. Et sa cote
de popularité, en dépit de la campagne féroce des
médias et des politiciens, n’a cessé de monter. La semaine
dernière, 53 millions d’Américains avaient suivi son discours
sur l’état de l’Union. Et selon un sondage CNN-USA Today, 74% d’entre
eux ont estimé qu’il est toujours capable de diriger le pays. A
l’aube de la nouvelle année, il se présentait comme l’homme
que ses concitoyens admiraient le plus. Et cette semaine, au cours des
plaidoiries, selon un sondage du magazine “Time”, 58% des Américains
désapprouvaient la manière dont les républicains conduisaient
les débats, rejetaient toute idée de destitution et demandaient
que s’arrête le “procès du siècle”. Clinton, recentré,
a su répondre aux priorités des Américains: l’éducation,
la santé, la lutte contre le crime, la drogue, le renforcement de
la retraite. Et c’est à ces priorités qu’il continue à
répondre pendant que son sort se joue au Sénat où
démocrates et républicains, à l’issue de six jours
de plaidoiries partagées entre l’accusation et la défense,
suivies de seize heures accordées aux questions écrites des
cent sénateurs juges et jurés, en sont arrivés à
un stade crucial du procès. Faut-il voter un non-lieu, comme le
réclament les démocrates ou pour la convocation de témoins
comme n’ont cessé de le soutenir les républicains? Henry
Hyde, chef des managers-procureurs à qui on avait reproché
une relation extraconjugale, décidé d’aller jusqu’au bout
du procès, a estimé que le peuple avait le droit de tout
savoir “en dépit de tous les sondages, de tous les articles”. Réalisant,
comme l’ont souligné les experts juridiques cités par le
“New York Times”, combien avait été faible le dossier de
l’accusation, face à la défense vigoureuse conduite par les
avocats de Clinton et qui a fait vaciller certaines têtes républicaines
et pour prévenir un non-lieu possible auquel contribueraient les
voix de ces sénateurs convertis aux thèses démocrates
(à savoir que la conduite du président aussi répréhensible
qu’elle soit, ne justifie pas la destitution car elle ne menace “ni la
stabilité de l’Etat, ni sa prospérité), Henry Hyde
a sorti des oubliettes le procureur indépendant Kenneth Starr qui
avait dirigé l’enquête et a repris du service. Celui-ci a
sollicité un juge fédéral qui a ramené manu
militari Monica Lewinsky de Los Angeles (où elle s’était
réfugiée auprès de son père, un richissime
cancérologue) à Washington pour y être soumise, en
sa présence, à un interrogatoire informel des managers républicains.
En pleine forme, ayant troqué le béret de ses débuts
de stagiaire à la Maison-Blanche pour la casquette de base-ball,
Monica (qui est soutenue, entre autres, par la célèbre journaliste
américaine Barbara Walters et qui a confié le récit
de ses aventures “Monica’s Story” pour un million de dollars à Andrew
Morton, biographe de la princesse Diana) a reçu, dimanche dernier,
trois procureurs dans sa suite présidentielle (Starr a annoncé
que l’Etat ne paiera pas la facture de cette suite) à l’hôtel
“Mayflower” tout près de la Maison-Blanche. Questionnée pendant
deux heures par ces inquisiteurs, elle subissait son 23ème interrrogatoire
en un an. 1.800 pages de dépositions n’avaient pas suffi. Les ultras-
républicains sont toujours à la recherche du “smoking gun”
ou l’argument-clé qui précipitera la destitution du président.
Monica, comme ses avocats l’ont assuré, n’avait rien dit de nouveau
contrairement aux procureurs qui pensent que son témoignage pourrait
être “très utile” dans la perspective d’une convocation au
Sénat et qui serait accompagnée de la comparution d’autres
acteurs de ce psychodrame. Que vaut un procès sans témoins?
n’ont-ils cessé de répéter. Vivement dénoncée
par les démocrates, cette méthode veut redonner du souffle
aux républicains qui, selon l’arithmétique (la majorité
des deux-tiers étant requise, soit 67 voix dans un Sénat
composé de 55 républicains, 45 démocrates), n’ont
aucune chance, à moins d’une révélation extraordinaire
qui remettrait tout en question, de destituer le président. Ils
le savent bien. Finalement, “le verdict de l’histoire” auquel ils se refèrent
pourrait se retourner contre eux. Les débats n’étant pas
près de prendre fin, les managers ont adressé de nouvelles
demandes au Sénat, des citations à comparaître de trois
témoins: Monica Lewinsky, Vernon Jordan, ami personnel de
Bill Clinton et Sydney Blumenthal, assistant à la Maison-Blanche.
Pendant ce temps, le président Bill Clinton accompagné de
Hillary son épouse, accueillait à Saint-Louis dans le Missouri
(centre-est) le pape Jean-Paul II venu pour la troisième fois en
terre américaine pour une visite pastorale de 30 heures. Pour sa
quatrième rencontre (et lors d’un entretien de vingt minutes), avec
le Souverain Pontife, le président américain, tout comme
ses concitoyens, était appelé à “résister à
la culture de la mort”, à rejeter les violences et, surtout, à
ne pas s’embarquer au seuil du troisième millénaire dans
“un monde et une histoire sans âme.”