Melhem Karam: - Monsieur le Président, l’Egypte prenait toujours
l’initiative d’appeler à la tenue de sommets et les Arabes étaient
avec elle. Pourquoi a-t-elle changé d’attitude? Et pourquoi avoir
annulé la réunion consultative de la Ligue arabe?
Président Moubarak: “Nous n’avons pas annulé cette réunion.
En fait, certains Etats du Golfe ont réclamé son report en
décembre, afin de ne pas accentuer les dissensions interarabes,
le sujet objet du débat n’étant pas facile à résoudre.
Ils ont réclamé l’ajournement de la réunion et nous
ne pouvions qu’accéder à leur désir, car nous respectons
leurs opinions. Puis, le 24 janvier avait été fixé
comme nouvelle date de la réunion consultative. Nous ne nous sommes
pas rétractés, mais nous voulons empêcher l’échec
des rencontres interarabes, car cela serait un coup fatal pour l’ensemble
de la nation arabe.”
Melhem Karam: - Vous avez insisté sur l’arrêt immédiat
des frappes aériennes contre l’Irak et c’est ce qui s’est produit.
Mais la situation s’est compliquée par la suite, à cause
du refus de Bagdad de permettre la reprise de sa mission par l’UNSCOM et
de tolérer le maintien des zones d’exclusion aérienne au
Nord et au Sud. Quelle est la position de l’Egypte envers ces deux points
précis?
Président Moubarak: “Nous avons demandé aux Américains
d’arrêter les frappes aériennes, d’autant que le mois de Ramadan
était aux portes, afin de ne pas mécontenter les masses arabes
et islamiques. Cependant, nos frères irakiens avaient une interprétation
particulière et étrange. Ainsi, ils ont dit que l’Egypte
aurait réclamé l’arrêt des opérations militaires
anglo-US, parce que le président égyptien appréhendait
la réaction populaire favorable à l’Irak en Egypte. Ces allégations
ont suscité ma surprise, car nous connaissons la rue égyptienne
et réagissons, favorablement, aux réactions de notre peuple
dans la prise de nos décisions et notre politique. Certaines manifestations
ont eu lieu à l’intérieur de l’université, suivies
de marches pacifiques en signe de protestation contre la persistance des
frappes aériennes. Cela ne s’est pas produit pour les beaux yeux
du régime en Irak, mais dans l’intérêt du peuple irakien.
Un responsable irakien a prétendu que les Etats-Unis auraient arrêté
les raids faute de munitions. Cette analyse est une tentative visant à
annihiler tout effort arabe, surtout s’il est déployé par
l’Egypte et cela n’est pas nouveau.”
Melhem Karam: - Le sommet se tiendra-t-il et, dans l’affirmative,
que pourrait-il faire en faveur de l’Irak?
Président Moubarak: “Tout d’abord, laissez-moi affirmer que
je suis partisan de la tenue régulière de sommets arabes,
afin de jeter de multiples ponts d’une entente plus profonde entre les
dirigeants arabes; nous étions sur le point de faire admettre ce
principe. Mais en 1990 et, plus précisément au mois de mai,
lors de la tenue du sommet à Bagdad, j’ai proposé au roi
Hussein qui s’est complètement rétabli, Dieu merci, que les
sommets aient lieu au Caire, afin que le président Assad et tous
les gouvernants arabes puissent y participer, Le Caire pouvant rassembler
toutes les parties. Le roi Hussein m’a dit: L’Irak a besoin d’un soutien
politique et moral. J’ai répondu que nous n’y trouvions aucun empêchement.
Cependant, j’ai émis le souhait qu’un sommet se tienne, annuellement
au Caire comme c’est le cas pour l’OUA, même s’il n’existe pas de
dossiers chauds à examiner, car lorsque les souverains et chefs
d’Etat arabes se rencontrent au moins une fois l’an, tous les malentendus
entre eux se dissiperont. Décision avait donc été
prise de tenir un premier sommet au Caire en novembre 90. Après
la clôture du sommet de Bagdad et avant de quitter l’aéroport,
j’ai dit à Saddam Hussein: Je me rends directement à Damas
et je tenterai de dissiper la tension existant entre l’Irak et la Syrie,
afin de préparer le terrain à un prochain sommet qui se tiendrait
dans un climat meilleur. Il a répondu: “Attendez un peu...” J’ai,
alors, répliqué: J’ai promis au président Assad de
lui rendre visite et il n’est pas logique que je change d’avis.”
Melhem Karam: - L’Egypte est-elle disposée à se réconcilier
avec Bagdad et à participer à un sommet avec l’Irak?
Président Moubarak: “A vrai dire, ce qu’a commis le régime
irakien au cours des neuf dernières années, nous a fait perdre
la confiance en lui. Quant à participer à un sommet aux côtés
de l’Irak, ceci relève d’une décision arabe.”
Melhem Karam: - Comment évaluez-vous l’opération “Desert
Fox”: ses justifications, ses conséquences et ses négativismes?
Président Moubarak: “Ainsi que je l’ai déjà précisé,
j’en ai pris connaissance après son déclenchement. Avant
cela et plus exactement en novembre, après que Bagdad eut interdit
à l’UNSCOM de poursuivre sa mission, j’ai effectué des contacts
en vue de prôner la souplesse, à l’effet de préserver
le peuple d’Irak. L’Egypte n’est pas une grande puissance, mais elle aide
dans la mesure de ses moyens. J’ai aidé l’Irak en février
dernier, alors qu’il était exposé à un coup dur. Les
Etats européens me demandaient d’appuyer l’Irak et la Russie œuvrait
afin de lui épargner de nouvelles frappes aériennes. D’autre
part, j’ai demandé à M. Kofi Annan, secrétaire général
de l’ONU, d’intervenir auprès des membres dudit Conseil, afin d’assouplir
leur position. Par la suite, il m’a interrogé sur l’opportunité
de sa visite à Bagdad et je lui ai recommandé de s’y rendre,
à condition de garantir l’appui du Conseil et de tenir aux Irakiens
un langage convaincant. M. Annan a réussi dans sa mission fort heureusement,
car la situation était extrêmement grave.”
Melhem Karam: - Croyez-vous que d’autres frappes aériennes
contre l’Irak seraient plus fortes?
Président Moubarak: “Je suis contre ces frappes, car le citoyen
irakien en paiera le prix. J’ai tenu ces propos aux Américains.
Puis, j’étais militaire et je sais que les populations civiles ne
peuvent être épargnées dans pareilles opérations.
Je suis contre l’utilisation de la force contre le peuple irakien, en particulier.
Les Russes ont proposé la constitution d’une nouvelle commission
autre que l’UNSCOM, mais les Etats-Unis s’y sont opposés. L’affaire
exige de la souplesse, afin de placer le peuple d’Irak au-dessus de toutes
les considérations.”
Melhem Karam: - Richard Butler, président de l’UNSCOM, est-il
neutre?
Président Moubarak: “Je ne peux nullement dire qu’il est neutre.
Selon mes renseignements, il est impliqué dans une activité
portant atteinte à sa neutralité.”
Melhem Karam: - Les Etats-Unis sont-ils sérieux dans leur décision
de renverser le régime irakien?
Président Moubarak: “Peut-être, mais je ne peux l’affirmer.”
Melhem Karam: - Si l’Amérique est sérieuse, est-elle
impuissante à exécuter son plan?
Président Moubarak: “L’opération n’est pas facile. Au
temps de la guerre du Golfe, Schwarzpkoff était disposé à
coincer Saddam Hussein à Bagdad. Le président Bush m’a demandé
mon avis à ce sujet et je lui ai dit: que je n’approuvais pas cela
et serais contre les USA dans une telle opération. Bush avait dit,
alors: Nous avons un ami dans la région qui nous a conseillé
de ne pas entreprendre une telle folie. Si celle-ci avait eu lieu, elle
aurait été enregistrée un point noir dans l’Histoire
des Etats-Unis. Seul le peuple décide et procède au changement.”
Melhem Karam: - Le président yéménite Ali Abdallah
Saleh et le chef de l’Etat des Émirats arabes unis ont réitéré
leur appel en faveur d’un sommet arabe. Le temps est-il propice à
la tenue d’un tel sommet et, dans l’affirmative, parviendra-t-il à
sceller la solidarité arabe?
Président Moubarak: “Après le dernier discours du président
Saddam Hussein, il est devenu difficile de parler de solidarité
arabe. L’espoir persistait avant ce discours, mais maintenant les choses
se sont davantage compliquées. Lorsque le président Ali Abdallah
Saleh m’en avait entretenu, je lui ai dit que j’approuvais la tenue d’un
sommet à condition qu’il soit préparé de manière
à en assurer le succès, car son échec serait un coup
dur pour tous les Etats membres de la Ligue. Que les ministres des Affaires
étrangères débattent de la question et soumettent
leurs propositions aux souverains et chefs d’Etat. De toute façon,
je n’autoriserais pas la tenue d’un sommet en Egypte, s’il n’était
pas assuré du succès total.”
Melhem Karam: - Les ministres des A.E. des pays du Golfe se réuniront-ils
en l’absence de leurs homologues arabes ou en coordination avec eux?
Président Moubarak: “Les ministres des A.E. du Golfe ne complotent
pas contre l’Irak mais agissent en vue de le sauver.”
Melhem Karam: - Comment jugez-vous les manifestations populaires
organisées au Caire et à Damas, en signe de protestation
contre les frappes anglo-US dont l’Irak a été la cible?
Président Moubarak: “Je n’ai pas senti ces manifestations. Ils
m’ont dit que les étudiants voulaient organiser une marche à
l’université, afin de manifester leur soutien à l’Irak. Cette
marche a eu lieu aux universités du Caire et d’Aïn Chams. Je
ne veux interdire personne d’extérioriser ses sentiments. Des discours
ont été prononcés dénonçant la politique
des deux poids et deux mesures; nous ne sommes pas contre cela. Le lendemain
de la frappe aérienne, nous avons envoyé à Bagdad
un avion chargé de quarante tonnes de médicaments. Ils ont
dit: Nous avons des médicaments et avons besoin du soutien politique.”
Melhem Karam: - Vous avez réussi à régler la
crise syro-turque. Comment évaluez-vous les chances qui se présentent
après l’accord d’Adana, de raffermir les relations entre Ankara
et Damas?
Président Moubarak: “Je crois qu’ils évoluent vers de
bonnes relations. J’étais dernièrement dans la capitale syrienne
qui est soucieuse de préserver ces relations et veut établir
une collaboration sur la base d’investissements mixtes dans divers domaines.”
Melhem Karam: - Où en sont les relations égypto-iraniennes
et pourquoi n’échangez-vous pas des ambassadeurs avec Téhéran?
Le problème est-il politique ou sécuritaire?
Président Moubarak: “Dès le premier jour de mon entrée
en fonctions, j’ai assuré que je ne voudrais avoir de mauvaises
relations avec aucun pays, y compris l’Iran, à condition que soit
assuré le respect mutuel et qu’il n’y ait pas d’ingérence
dans les affaires intérieures.”
Melhem Karam: - Des appels émanant de parties régionales
ont été lancés en faveur d’une coordination quadripartite
entre l’Egypte, l’Arabie séoudite, la Syrie et l’Iran. Cette proposition
est-elle réalisable dans les circonstances présentes?
Président Moubarak: “Nous coordonnons en tant que nation arabe
avec la Syrie, l’Arabie séoudite et d’autres Etats. Il s’agit d’une
coordination arabo-arabe, celle qui pourrait s’établir avec des
pays autres qu’arabes est une question différente.”
Melhem Karam: - La coordination permanente avec le président
Assad, jusqu’à quel point, peut-elle servir ou entraver la position
arabe, ainsi que le demandent certains de ceux que cette franche coordination
indispose?
Président Moubarak: “La coordination entre nous est dans l’intérêt
de la nation arabe et non contre qui que ce soit au sein de cette nation.
Notre but est de tenter de resserrer les rangs arabes et de rétablir
la solidarité interarabe. Naturellement, l’opération n’est
pas facile et elle a été rendue complexe par les déclarations
et les prises de positions du régime en place à Bagdad.”
Melhem Karam: - L’Egypte, la Syrie et l’Arabie séoudite ne
pourraient-elles pas raviver la solidarité interarabe?
Président Moubarak: “Nous essayons de le faire, d’autant que
certains Etats, tels le Maroc et les Emirats arabes unis en sont considérés
comme des piliers principaux. Nous étions sur le point de réaliser
la solidarité en 1990, lorsque nous avons décidé de
tenir un sommet annuel. Malheureusement, l’invasion du Koweit par l’Irak,
a provoqué une brèche effroyable dans la nation arabe.”
Melhem Karam: - Vous avez apporté une aide constructive à
la Libye. Comment et quand ce pays sortira-t-il de la crise de Lockerbie?
Président Moubarak: “Nous déployons de grands efforts
à cet effet, sans tapage médiatique comme nous le faisons
pour l’Irak, afin de ne pas poser de problèmes avec les Etats-Unis.
J’aide la Libye, des médiations sont actuellement en cours et nous
poursuivrons notre tentative auprès de toutes les instances et dans
chaque rencontre avec les Américains.”
Melhem Karam: - Vous avez accueilli favorablement l’élection
du général Emile Lahoud à la présidence de
la République et avez vanté ses hautes qualités. Comment
concevez-vous la solution au Liban-Sud, après les divergences au
niveau des responsables israéliens autour du retrait inconditionnel?
Président Moubarak: “Le Liban-Sud pose un problème en
lui-même. S’ils sont sérieux dans leur intention de se retirer,
que les Israéliens appliquent les résolutions du Conseil
de Sécurité sans poser de conditions et les Libanais pourront
assurer la sécurité le long de la frontière. Israël
veut signer avec le Liban pour “frapper” la Syrie; l’affaire est claire.
Quant au président Lahoud, je n’ai pas eu l’occasion de le connaître
de près, mais j’ai entendu à son sujet des témoignages
tout à son avantage. De toute façon, nous respectons le choix
du peuple libanais.”
Melhem Karam: - Etes-vous avec l’option “Liban, d’abord”, comme
le veulent Washington et Tel-Aviv ou bien avec le Liban et la Syrie ensemble?
Président Moubarak: “Je suis avec le Liban indépendant.”
Melhem Karam: - Jusqu’à quel point les élections israéliennes
anticipées ont-elles pour but de couper la voie à la proclamation
de l’Etat palestinien le 4 mai prochain?
Président Moubarak: “L’Autorité palestinienne a la capacité
d’évaluer la situation et de prendre la décision convenable
au moment opportun. D’ici au 4 mai, nul ne peut prévoir comment
les choses évolueront.”
Melhem Karam: “Le peuple israélien sanctionnera-t-il Netanyahu
aux élections?
Président Moubarak: “Dans les élections générales,
tout reste possible jusqu’au dernier moment. On ne peut croire personne,
sauf l’électeur lorsqu’il dépose son bulletin dans l’urne.”
Melhem Karam: - Considérez-vous que l’Autorité palestinienne
consolide effectivement sa position sur le terrain, face à la forte
opposition dans la rue, en plus des pressions israélo-américaines?
Président Moubarak: “L’Autorité palestinienne s’affirme
sur le terrain, parce qu’elle lutte pour récupérer le sol
national. Si les Palestiniens avaient utilisé la seconde carte de
l’accord de camp David, le problème aurait été résolu,
car il s’agit, moins d’un traité que d’un document de principe.
Si elle l’avait fait, sa situation aurait été meilleure aujourd’hui.
Nous avons traité, quant à nous, avec notre carte à
camp David et avons fait évoluer les principes jusqu’à récupérer
notre terre. La seconde carte concernait la cause palestinienne sous tous
ses aspects. Elle comportait des spécificités qui, s’ils
les avaient adoptées à l’époque, leur aurait permis
de recouvrer Gaza et la Cisjordanie dans leur totalité. Ce document
prévoyait le retrait des forces militaires israéliennes vers
des zones à déterminer par les négociations. S’ils
avaient écouté les paroles de Sadate, l’Etat palestinien
serait devenu une réalité maintenant.”
Melhem Karam: - Quand le président Moubarak défend
une cause, il la mène jusqu’à sa finalité même
s’il devait indisposer les Américains. En tant qu’Arabes, nous n’avons
pas intérêt à ce que le président Moubarak se
brouille avec les Américains, car nous perdrions un grand intermédiaire
avec cette grande puissance. Comment conciliez-vous votre souci de prendre
le parti de vos causes et la non rupture des ponts avec les USA?
Président Moubarak: “Notre relation avec l’Amérique est
solide. Nous sommes des amis, mais nous pourrions tomber en désaccord.
Des relations fortes avec les USA ne signifient pas que nous approuvons
tout ce qu’ils accomplissent. Nous avons notre décision et notre
liberté de pensée. Je dis mon opinion à l’Amérique,
non par dépit, mais afin de rectifier sa logique et mon dialogue
avec elle est dans l’intérêt de toute la région, car
elle a besoin d’une région stable où elle dispose d’intérêts
importants.”
Melhem Karam: - Que pensez-vous du point de vue appelant à
l’adoption de la solution finale autour des frontières, des colonies
de peuplement, des eaux et des réfugiés palestiniens?
Président Moubarak: “Ce n’est pas, je crois, un fait pratique
et réaliste. Ils doivent appliquer l’accord de Wye Plantation, pour
que nous puissions parler de la solution finale, laquelle requiert beaucoup
d’efforts et de dures négociations. Or, depuis l’accession de Netanyahu
au pouvoir en 1996, Israël n’a pas respecté les accords conclus.
Ils disent que l’accord d’Oslo n’est pas contraignant, après s’être
engagés à le respecter. Pourtant, il a été
signé par Rabin et Pérès. Netanyahu a signé
l’accord de Hébron et exécuté deux de ses six clauses.
Il a, également, apposé sa signature sur l’accord de Wye
Plantation et n’en a appliqué qu’une infime partie.”
Melhem Karam: - Les élections anticipées en Israël
entraîneront-elles à l’élaboration d’une nouvelle carte
politique en son sein et quelles seront ses retombées sur l’avenir
de l’opération de paix?
Président Moubarak: “ Nous observons leurs prises de position
sans nous immiscer dans leurs affaires.”
Melhem Karam: - L’application de l’accord de Wye Plantation dans
son intégralité sert-il l’intérêt palestinien?
Président Moubarak: “Je le crois, parce que l’accord restituera
aux Palestiniens une partie de leurs terres.”
Melhem Karam: - Pensez-vous que le président Arafat sera
contraint d’ajourner la proclamation de l’Etat palestinien, suite aux pressions
auxquelles il est soumis?
Président Moubarak: “La proclamation de cet Etat est une question
palestinienne dépendant de la volonté palestinienne.”
Melhem Karam: - Les feux sont braqués, actuellement, sur
l’Egypte de la part d’Israël: que ce soit du point de vue de sa capacité
militaire ou de son soutien aux Palestiniens...
Président Moubarak: “Chaque fois qu’ils se trouvent dans l’impasse,
ils ameutent le lobby juif en Amérique. Ainsi, ils ont monté
de toutes pièces l’affaire des chrétiens et ils font feu
de tout bois pour discréditer l’Egypte. C’est fini, nous sommes
immunisés contre toutes ces allégations et ces tentatives
dont l’objectif est maintenant à découvert et sont condamnées
à l’échec.”
Melhem Karam: - Vous avez engagé une bataille visant à
mettre le Proche-Orient à l’abri des armes nucléaires de
destruction massive; où en est cette bataille? Et quel est le degré
du danger que constitue l’arme nucléaire israélienne?
Président Moubarak: “Ce sujet est toujours en cours de discussion.
Le fait pour un Etat dans la région de posséder l’arme nucléaire,
incite certains autres à s’impliquer, tôt ou tard, dans ce
domaine, ce qui constitue un danger pour les peuples. Or, le monde tend
à supprimer toutes les armes de destruction massive. Au cours d’un
entretien avec les Israéliens, ils m’ont dit: Après l’instauration
de la paix totale, nous réfléchirons à cette question.
Celle-ci est à l’étude au sein de la commission chargée
d’en débattre dans le cadre des négociations multilatérales.”
Melhem Karam: - Israël ne semble pas avoir tranché bien
des problèmes, à propos de la paix avec les Palestiniens,
après avoir gelé les accords d’Oslo et de Wye Plantation.
Jusqu’à quel point, l’Etat hébreu refusera-t-il de souscrire
à la paix?
Président Moubarak: “Le processus de paix a progressé
au temps de Rabin et Pérès. Mais depuis l’accès de
Netanyahu à la présidence du Conseil, nous avons entendu
bien des promesses dont rien ou presque n’a été tenu. C’est
ce qui porte les gens à n’avoir pas confiance dans tout accord avec
Israël.”
Melhem Karam: - La proclamation de l’Etat palestinien serait-elle
nécessaire et utile, si elle devait “torpiller toute l’opération
de paix”, comme l’insinue Israël? Et si cet Etat devait être
morcelé, géographiquement, ainsi que le prétendent
les cartes du gouvernement du Likoud sous la présidence de Netanyahu?
Président Moubarak: “L’Etat palestinien sera créé
tôt ou tard. Bien des voix s’élèvent en Israël
le jugeant indispensable dans l’intérêt et pour la sécurité
de l’Etat hébreu.
“Naturellement, quand un Etat palestinien sera créé,
on traitera avec une entité ayant ses frontières et cela
est préférable que de traiter avec un peuple luttant pour
récupérer son territoire, fonder un Etat en vue d’assurer
la coexistence entre les peuples palestinien et israélien.”
Melhem Karam: - Quand vous attendez-vous à la solution avec
Israël sur les volets libanais et syrien?
Président Moubarak: “Tôt ou tard, on devra négocier
sur les deux volets, pour récupérer le Golan et obtenir le
retrait israélien du Liban-Sud et de la Békaa ouest. Sans
cela, il n’y aura pas de paix dans la région.”
Melhem Karam: - Selon des nouvelles, Israël pourrait déclencher
une guerre limitée sur le front libanais, visant le Liban et la
Syrie à la fois, à l’effet de tester la capacité militaire
syrienne. Cette éventualité est-elle possible, à l’ombre
des dissensions internes en Israël?
Président Moubarak: “Je doute de cela. Ils sont habiles dans
la propagande et si les Israéliens sont entrés au Liban en
1982, nous sommes aujourd’hui en 1999 et la conjoncture mondiale a entièrement
changé.”
Melhem Karam: - Pourquoi avez-vous menacé d’acquérir
l’arme nucléaire, alors que vous appelez à un Proche-Orient
débarrassé des armes de destruction massive?
Président Moubarak: “Je n’ai pas proféré une telle
menace, j’ai simplement dit que le fait pour Israël de disposer de
l’arme nucléaire, incitera d’autres Etats à se la procurer,
car chaque Etat veut assurer sa défense. Nous ne nous préoccupons
pas de posséder l’arme nucléaire et nous n’en avons pas besoin.
Mais en même temps, nous n’acceptons pas de subir le chantage de
la part de ceux qui la détiennent.”
Melhem Karam: - Le président Clinton sortira-t-il de son
épreuve? Lui fera-t-elle perdre sa sérénité
de vision ou bien a-t-il des nerfs solides lui permettant de persévérer
dans la confrontation?
Président Moubarak: “Ses nerfs sont excellents et je crois qu’il
ne sera pas destitué. Peut-être tout se terminera-t-il par
un blâme.”
Melhem Karam: - Quelle est votre évaluation de la situation
économique interne, après que l’Egypte eut dépassé
les crises économiques ayant soufflé sur le monde?
Président Moubarak: “Notre économie persiste, Dieu merci,
d’une manière satisfaisante. Nous réalisons, aujourd’hui,
une série de projets géants susceptibles de redessiner la
carte économique de l’Egypte. Nous avons entrepris l’exécution
de ces projets après l’opération de la réforme globale
dont tous les indices témoignent de leur grand succès. Le
déficit du budget a baissé à moins de un pour cent
du produit local; la proportion du développement économique
se rapproche de 6% et ne cesse de croître, alors que la proportion
de l’inflation a baissé en moyenne de 4%, après avoir atteint
38% il y a quelques années. Nul ne croyait en la possibilité
de le réduire jusqu’à cette limite.
“D’autre part, nous avons réalisé une stabilité
dans la parité de la monnaie nationale et disposons, à présent,
d’une réserve de devises étrangères excédant
20 milliards de dollars. Les indices montrent que nous évoluons
dans la bonne voie.”
Melhem Karam: - Des projets géants sont en train d’être
exécutés: quel est le volume de leur profit au plan économique
et le degré de leur succès?
Président Moubarak: “Les grands projets que nous réalisons
à Touchki, dans le Sinaï, à l’est de Port Saïd
et au nord du canal de Suez, ont fait l’objet d’une étude minutieuse
de la part d’instances égyptiennes et internationales qualifiées.
Nous n’aurions pas envisagé de les réaliser sans la réforme
économique. Il y a lieu de préciser que près de 244
millions de guinées ont été dépensées
sur nos infrastructures au cours des dernières années. Le
travail se poursuit et les investisseurs contribuent à leur financement.
C’est un fait réjouissant et prometteur. A titre d’exemple, le projet
Touchki au sud de la vallée avait été élaboré
dans les années soixante et son étude a été
reprise dix années plus tard avec la collaboration de la Banque
Mondiale. La situation économique ne permettait pas, auparavant,
de l’exécuter en raison d’un problème de financement. Aujourd’hui,
la situation est bien meilleure et nous avons la capacité de réaliser
des projets géants. Nous sommes capables de poursuivre les travaux.
Les prochaines années assisteront à de nouveaux complexes
résidentiels et d’une nouvelle vallée; des millions d’Egyptiens
jouiront d’une vie à la mesure de leurs souhaits. Je vous invite
à visiter les lieux où ce projet est en cours d’exécution
et j’inspecterai les chantiers le mois prochain.”
Melhem Karam: - J’en serai honoré, Monsieur le Président.
Quel est le degré de succès de l’action égyptienne
vers l’Afrique, au double plan politique et économique?
Président Moubarak: “Nous faisons maintenant partie du “Comessa”,
le plus grand rassemblement économique du continent africain, notre
rôle sur ce continent étant ancien et connu.”
Melhem Karam: - Au cours de la dernière réunion périodique
élargie que vous avez présidée, vous avez demandé
d’exploiter la position de l’Egypte à l’effet d’intensifier la coopération
avec les pays arabes, africains et du Moyen-Orient. Comment définissez-vous
les spécificités des positions de l’Egypte susceptibles d’être
exploitées?
Président Moubarak: “L’Egypte se trouve à la croisée
des continents d’Europe, d’Afrique et d’Asie. Partant de là, nous
avons créé la zone franche au nord-ouest du canal de Suez.
Plus grande que Hong Kong, cette zone produit et exporte. La Chine est
notre partenaire et d’autres pays sont en voie de l’être. Cette zone
peut devenir l’une des plus grandes zones du commerce libre au monde. En
plus, une autre zone d de commerce libre similaire a été
aménagée à l’est de Port Saïd, l’Etat se chargeant
de l’infrastructure de base et de construire un port desservant toute la
région.”
Melhem Karam: - Le fait de maintenir un économiste à
la présidence du Conseil, le Dr Kamal Al-Janzouri, signifie-t-il
que l’économie est le premier fardeau à la charge du gouvernement?
Président Moubarak: “L’économie est le premier fardeau
dans tous les pays du globe, grands ou petits. Avec les transformations
que connaît la scène internationale, en tête desquelles
les accords du “Gatt”, l’économie occupe la tête de liste
parmi les priorités des Etats, quelles que soient leurs idéologies
et leurs affiliations politiques.”
Melhem Karam: - La production en gaz de l’Egypte augmentera
en 1999. Le gaz deviendra-t-il une ressource importante pour la réactivation
du revenu national, en plus d’autres ressources, comme le tourisme, par
exemple?
Président Moubarak: “Il y a eu de nouvelles découvertes
dans le domaine du gaz naturel et du pétrole qui n’ont pas
encore été révélées. Notre production
de gaz naturel est en croissance permanente et nous avons commencé
à l’utiliser pour faire fonctionner plusieurs centrales électriques.
Nous planifions l’exportation du gaz en Turquie, d’autres Etats ayant émis
aussi le désir de s’approvisionner en Egypte.”
Melhem Karam: - Le président Moubarak est-il complètement
rassuré quant à la sécurité des touristes étrangers
dans son pays?
Président Moubarak: “Je suis totalement rassuré, mais
aucun pays au monde n’est en mesure de garantir la sécurité
de ses citoyens et de ses visiteurs dans une proportion de cent pour cent,
ni l’Amérique, ni la France ou la Grande-Bretagne. Nous prenons
toutes les dispositions nécessaires à l’effet d’assurer la
sécurité des touristes et leur bien-être.”
Melhem Karam: - On vous a choisi à l’unanimité comme
l’intervenant principal à la conférence de Davos. Quelles
seront les idées fondamentales de votre intervention devant les
participants à ces assises?
Président Moubarak: “Je n’ai pas encore préparé
le discours que j’y prononcerai.”
Melhem Karam: - Chaque huit mois, la population égyptienne s’accroît
de près d’un million de personnes. Le gouvernement a-t-il établi
un programme destiné à attirer l’attention du peuple sur
les dangers de l’explosion démographique, afin qu’elle n’annihile
pas les efforts déployés en vue du développement?
Président Moubarak: “Depuis le premier jour de mon entrée
en fonctions, je souligne l’importance du planning familial. La moyenne
de la natalité est devenue moindre aujourd’hui que dans le passé,
en raison des soins croissants prodigués à l’enfance, ce
qui a réduit la moyenne des décès des enfants. Depuis
mon accession au pouvoir, le nombre des habitants en Egypte s’est accru
de 18 millions d’âmes à qui nous devons assurer tout: le pain,
la nourriture, les écoles, les hôpitaux, les universités,
les services et l’emploi.”
Melhem Karam: - Avez-vous mis fin, définitivement, aux
activités des groupes terroristes ou bien leurs opérations
se sont-elles arrêtées après le tragique attentat de
Louxor?
Président Moubarak: “Ainsi que je l’ai affirmé, nous
avons pris toutes les dispositions à l’effet d’assurer la sécurité
du citoyen et du touriste. Cependant, la lutte contre le terrorisme exige
la coopération de tous les Etats, en particulier ceux qui accordent
l’asile aux chefs terroristes à l’étranger. Beaucoup d’Etats
commencent à réagir et à refuser de leur accorder
refuge. En revanche, les Etats qui continuent à les accueillir en
paieront un jour très cher le prix.”
Melhem Karam: - Votre appel réitéré en faveur
de la tenue d’un congrès international pour la lutte contre le terrorisme
en tant que phénomène mondial, a-t-il suscité une
réaction positive, surtout en ce qui concerne l’asile que certains
Etats accordent aux chefs terroristes?
Président Moubarak: “Des propositions ne cessent d’être
formulées à ce sujet aux Nations Unies. Nous finirons par
aboutir à une forme de congrès international aux fins d’imposer
des restrictions à l’acceptation des terroristes en tant que réfugiés
politiques.”
Melhem Karam: - Le prix du pétrole continuera-t-il à
régresser?
Président Moubarak: “Les indices et les prévisions montrent
qu’il ne s’élèvera pas rapidement. C’est ce que répètent
les milieux qualifiés et nous sommes parmi les pays qui ont été
affectés par la baisse du prix de l’or noir. En définitive,
la solution adéquate sera trouvée afin d’en freiner la baisse.”