tribune
 
MME ALBRIGHT DANS L’EMBARRAS?
Le procès de destitution de M. Clinton constitue-t-il une gêne pour la diplomatie américaine? Responsable du département d’Etat, Mme Albright soutient que oui, elle en est embarrassée; il détourne l’attention du Sénat de plusieurs grands problèmes internationaux. On comprend pourquoi Mme Albright développe ce genre d’arguments: elle souhaite comme tous les partisans du chef de la Maison-Blanche, que ce procès soit rapidement clôturé; c’est-à-dire escamoté. 
L’ancien chef du département d’Etat, M. James Baker, bien qu’il soit du camp opposé, va plus loin encore: il fait valoir que ce procès est nuisible pour la crédibilité du président et qu’il a déjà produit des effets néfastes sur la politique étrangère des Etats-Unis. 
Un expert du Centre d’études stratégiques, un autre de l’Institut John Hopkins, un troisième de l’Université Georgetown affirment, en revanche, qu’“il n’y a pas de soucis à se faire”. Le procès et le cours de la diplomatie n’interfèrent pas entre eux. 
Tel est, en résumé, le débat dont nous fait part une récente dépêche de l’AFP de Washington. 
Le procès n’empêche pas M. Clinton de bombarder l’Irak après le Soudan ou l’Afghanistan, de se préoccuper du Kosovo, du conflit arabo-israélien ou de l’Afrique. D’ailleurs, lui-même ne cesse de répéter qu’il continue de faire son travail comme si de rien n’était. Et on l’a vu prononcer son discours annuel sur l’état de l’Union avec beaucoup d’éloquence et se faire bruyamment ovationner. Le vice-président Al Gore, debout derrière lui, donnait le signal des applaudissements à chaque passage significatif. La scène était bien réglée. 
***

Que nous importe tout cela? Il ne s’agit que d’un débat de politique partisane. On sait déjà que le peuple le plus puritain de la terre se désintéresse totalement des désordres de la vie privée de son président. L’économie américaine va bien, le pays traverse une ère de prospérité que le monde entier lui envie, pourquoi faut-il se soucier de morale, d’entrave à la justice, de parjure ou d’infidélité conjugale? “Du pain et des jeux”, comme on disait du temps de la décadence de l’Empire romain, cela suffit au bonheur de l’Amérique. La cote de popularité de M. Clinton atteint des sommets sans précédent. 
Dès lors, comment peut-on se demander si le procès de destitution influe ou pas sur l’action diplomatique de Mme Albright? On a bien vu comment le Conseil de Sécurité de l’ONU a été bafoué et l’Irak bombardé (et continue de l’être). On a bien vu aussi, à l’opposé, l’accord de Wye Plantation, à peine signé par Arafat et Netanyahu, contresigné par Clinton, demeurer inappliqué. Pendant ce temps, le Serbe Milosevic et les Kosovars narguent l’OTAN sur fond de nouveaux massacres. Les Arabes de la Ligue, par contre, face au problème irakien, sont prisonniers de leurs querelles et offrent à la diplomatie américaine un beau champ de manœuvres. 
Les experts du Centre d’études stratégiques de Washington, de l’Institut John Hopkins ou de l’Université Georgetown peuvent soutenir tant qu’ils veulent contre Mme Albright qu’ils ne voient pas en quoi le procès de destitution peut la gêner, cette polémique paraît totalement étrangère aux affaires du monde. Certes, les partenaires de l’Amérique, le président français ou le chancelier d’Allemagne, par exemple, continuent de dialoguer avec la Maison-Blanche. On ne va pas supposer que M. Chirac, chaque fois qu’il appelle M. Clinton au téléphone, voit surgir devant ses yeux l’image d’un président en train de se livrer à des galipettes avec sa secrétaire, dans le bureau oval. Mais tout de même!... On ne niera pas qu’il y a, désormais, quelque chose de cassé. 
Quelle que soit l’issue de ce procès de destitution, un homme qui assume de si hautes responsabilités à l’échelle mondiale, a perdu sa crédibilité. Ce n’est pas sa puissance militaire qui la rétablira. Des fusées sur l’Irak ne tiennent pas lieu de diplomatie. 

***

S’il ne s’agit que de faire peur, l’Amérique possède tous les outils nécessaires pour faire peur. Personne ne le conteste. 
Mais il s’agit d’inspirer confiance. Il s’agit de persuader le monde que ces outils sont employés à bon escient. Cela est un problème d’ordre moral. Depuis longtemps, l’Amérique intervient sur la scène du monde au nom de principes moraux, de démocratie, de liberté, de justice, de droits de l’homme... Nul n’a jamais eu la naïveté de ne pas percevoir les intérêts matériels derrière cette façade de principes. Mais, en général, il existait une volonté de concilier ceci avec cela; et la création des Nations Unies était la grande illustration de cette volonté. 
Maintenant, l’Amérique ne paie même plus ses cotisations à l’ONU. Et le président des Etats-Unis, tout en mobilisant ses flottes et en lançant ses fusées à droite et à gauche, donne au monde le spectacle d’un erotomane en goguette. 
Comment imaginer une diplomatie crédible dans ces conditions-là? 
Pitié pour Mme Albright! En tout cas, elle témoigne d’un grand courage et d’une grande loyauté en demeurant à son poste dans une situation aussi scabreuse. 

 
 

Home
Home