Bloc - Notes

ParALINE LAHOUD 

JUSQU’AU BOUT

Brusquement, les milliards évaporés se sont matérialisés au ministère des Finances, là où, paraît-il, ils n’auraient pas dû être puisque appartenant à la caisse autonome des municipalités. Laquelle caisse n’avait rien d’autonome, puisque soumise au bon plaisir de M. Sanioura et rien d’une caisse non plus puisque transformée en passoire.
Comment ont-ils été retrouvés? Dans un registre “introuvable”, nous apprend-on et discret à souhait. Bien sûr, nous savons tous, du moins M. Sanioura nous l’avait dit, qu’une véritable armée de nouveaux fonctionnaires-spécialistes avaient été engagés pour mettre le ministère des Finances sur ordinateur. Lesquels spécialistes, dans le feu de l’action, avaient oublié le registre des milliards municipaux.
Pourquoi incroyable (!)? Ne peut-on plus laisser sa part au rêve? Et puis un brin de fantaisie n’a jamais nui à personne. Ainsi, comme il y a des registres sur ordinateur, il y en a d’autres subtilisés par St Antoine de Padoue, vous savez, celui qui cherche dans les petits trous. A part que contrairement à certains, lui au moins, il rend ce qui n’est pas à lui.
L’étrangeté du phénomène n’est pas que des pleines brassées de milliards aient disparu, mais la dextérité d’illusionniste avec laquelle ils l’ont été. Tant et si bien, qu’en comparaison, un David Copperfield*, par exemple, apparaît tout simplement ridicule, lui qui n’a réussi à faire disparaître qu’un malheureux Boeing.
Je reviens aux 24 milliards de dollars, montant de nos dettes. Et à propos de 24 milliards, un lecteur furieux m’a énuméré un tas de qualificatifs que j’ignorais posséder, pour m’expliquer que les 24 milliards en question n’ont jamais existé que dans mon imagination et qu’il ne s’agit en fait que de 18 milliards. Moi, je veux bien, reste à en convaincre nos créanciers.
Bon, eh! bien, supposons qu’ils le soient. Donc 18 milliards. Aux dires de certains ministres qui faisaient partie des ex-gouvernements, la reconstruction a coûté, jusqu’à présent, 4 milliards. Reste quand même 14 milliards. Je ne prétends pas qu’ils ont été volés, mais ils sont allés quelque part. Et puisque nous sommes condamnés à les payer, d’une façon ou d’une autre, nous aimerions bien qu’on nous les localise ou qu’on nous indique le chemin qu’ils ont pris. Enfin, pourquoi ce genre de questions devrait-il faire sentir à qui que ce soit qu’il est insulté?
A en croire Lavoisier (du moins, il me semble que c’est Lavoisier): “rien ne se crée et rien ne se perd...” Ce qui justifie en partie le fait que le pouvoir précédent n’ait jamais rien inventé, ni créer pour venir en aide à une population aux abois, mais n’explique pas par contre le fait que tout se perd dans ce pays, les milliards comme les mémoires.
Ce genre d’amnésie, doublée d’une vertueuse indignation, peut devenir le plus dangereux des pièges si le gouvernement Hoss se laisse intimider ou recule devant certaines pressions. Il n’est pas question pour nous de faire la leçon aux dirigeants actuels, ni de leur apprendre comment gouverner. D’autant que dans la situation dont ils ont hérité, ils le font à leurs risques et périls.
Tout simplement, les choses étant ce qu’elles sont et par référence au discours du serment constitutionnel qui a parlé de transparence, des réclamations des “honnêtes gens”, admis officiellement la justesse de ces réclamations et promis (promesse appuyée par le président Hoss dans la déclaration ministérielle) d’y donner suite, nous sommes aujourd’hui en droit d’évoquer ces promesses et cette transparence, pour demander que l’épuration amorcée aille jusqu’au bout et ne se contente pas de quelques boucs émissaires.
Les Libanais veulent, également, savoir ce qui a été fait des sommes hallucinantes empruntées en leur nom. Si des “dossiers” doivent être ouverts, que tous les dossiers le soient. Le président l’a dit, il n’y a pas de grand devant la loi. Quel que puisse être l’ordre de grandeur susceptible d’être atteint, il faut maintenant aller jusqu’au bout.
Sinon, cette amorce d’épuration et ces dossiers à peine entrouverts risquent de causer des dégâts irréparables et de provoquer des désordres auxquels un pays en convalescence, comme le nôtre, y survivrait difficilement. n

* David Copperfield, l’éternel fiancé de Claudia Schiffer, est considéré par beaucoup comme le plus grand illusionniste de ce dernier quart de siècle.


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