PAYSAGES DE FIN DU MONDE
DANS L’“AXE DU CAFÉ”
LA COLOMBIE TREMBLE TOUJOURS
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TEt surtout l’horreur de savoir qu’un être cher est là
perdu sous les tonnes de gravats, sans qu’il ait aucune chance d’en sortir
vivant ou même d’être retrouvé. C’est peut-être
cela la fin du monde.
Le 25 janvier à 13h20, bon nombre de Colombiens de l’“axe du café”
se trouvaient chez eux suivant les épisodes d’un feuilleton local
qu’ils affectionnent tant, quand ils ont senti la terre trembler sous leurs
pieds. Dans un mouvement de panique contagieux, ils se signent et se précipitent
à l’extérieur. La terre tremble depuis si longtemps chez
eux. La dernière fois, en 1983, la secousse la plus meurtrière
avait frappé la ville de Popayan dans la province de Cauca, au sud-ouest
du pays. Et elle avait fait plus de 300 morts et 1.200 blessés.
Cette fois, c’est bien plus grave. Et tout à l’heure quand le président
Andres Pastrana va débarquer dans cette Cordillère centrale
des Andes au centre et à l’ouest du pays où cinq provinces
et vingt villes ont été touchées, tout particulièrement
Armenia et Pereira, il va réaliser qu’il s’agit de la pire tragédie
de l’histoire colombienne.
Le séisme de magnitude 6 sur l’échelle ouverte de Richter
aura, pendant six jours, 47 répliques qui ont fini par inciter la
population sinistrée à l’exode, fuyant à raison de
6.000 par jour une région considérée comme parmi les
plus riches du pays. Pendant une semaine, tant que les équipes de
secours venues du Mexique , des Etats-Unis, du Japon, de France, d’Allemagne
(avec un appareillage sophistiqué) s’employaient à retrouver
d’éventuels survivants, l’espoir avait habité cette population.
Mais au terme de vaines recherches, le type de constructions qui se désagrègent
ne permettant aucune poche d’air pour maintenir les sinistrés en
vie, les recherches ont été arrêtées et les
secouristes sont rentrés chez eux enterrant les espoirs de la population.
Les bulldozers ont rasé les décombres et les victimes ont
été enterrées sur place.
Près de 1.000 morts déjà, sans compter les disparus
et 4.000 blessés, 250.000 sans abri dont la moitié à
Armenia, la ville la plus meurtrie. La catastrophe est nationale, d’autant
qu’au départ, la population en détresse avait perdu le sens
de l’orientation, n’étant en mesure de s’adresser ni aux hôpitaux,
ni aux sièges de police tous dévastés. Elle était
privée d’eau, de nourriture, de médicaments, de l’usage du
téléphone et du courant électrique.
La panique généralisée a incité la population
à piller les magasins pour survivre; puis, à se révolter.
Dans une atmosphère d’émeute, elle s’est trouvée vite
débordée par des éléments incontrôlables
venus de l’extérieur de la zone pour piller, avec la nourriture,
des téléviseurs et des appareils électroménagers.
L’armée en est venue à lui recommander de s’armer pour se
protéger des pillards dont 120 ont été arrêtés
au cours d’une seule journée. Au terme de six jours de désordres
indescriptibles, un renfort de 6.000 policiers et soldats sont parvenus
à rétablir l’ordre.
Le président Pastrana qui a annulé une tournée européenne,
est venu diriger en personne les opérations. Il a décrété
à Armenia (qui doit son nom à une variante des plants de
café arabica importés au XIXème siècle du Yémen
et désignés comme tels en hommage à un Arménien
de l’Empire ottoman qui a lancé la mode du café en Europe)
un état d’urgence économique et social pour une durée
de trente jours. Il a, en outre, transformé le gouvernement en cellule
de crise.
Comment lutter contre les catastrophes naturelles? La terre d’une seule
secousse détruit des siècles de labeur. Si elle continue
de trembler, tous les plans de secours et de réhabilitation demeurent
vains. Mais ce n’est ni la première ni la dernière fois que
l’adversité s’abat sur les Colombiens. Dans l’immédiat, après
avoir sauvé leur peau, ils devront sauver les récoltes de
café (la Colombie est le second producteur de café au monde).
Si les champs sont intacts, les équipements y sont détruits
ou fortement endommagés. Il faut donc redoubler d’efforts.
Quant à la pacification du pays et aux négociations avec
les Farc, elles marqueront un temps d’arrêt.
Les autorités étant engagées dans la lutte pour la
survie (facilitée quelque peu par l’aide interna-tionale), ce qui
constitue un défi permanent. La guérilla voudrait continuer
à béné-ficier de la démi-litarisation d’une
zone de 42.000 km2 dans le sud du pays pour poursuivre en toute liberté
la production et le trafic de la cocaïne.
Mais déterminé qu’il est, le président Pastra-na entend
mener sur tous les fronts une même ba-taille pour la sécurité
des Co-lombiens.