ROUCHAÏD EL-KHAZEN:
 “LES PRÉCÉDENTES TENTATIVES DE RÉFORME ONT ÉCHOUÉ FAUTE D’AVOIR RENFORCÉ LES ORGANISMES DE CONTRÔLE”


Connu pour son franc-parler, M. Rouchaïd el-Khazen, député de Ftouh-Kesrouan, a porté un jugement objectif et réaliste sur la situation dans son ensemble et, en même temps, répondu à ceux qui critiquent l’action menée, actuellement, par le nouveau régime. Il a estimé que le feu vert de la réforme administrative a été donné, dès le moment où les organismes qualifiés - le Conseil de la fonction publique notamment - ont présenté leurs dossiers étayés de faits, de chiffres et de noms.
 

“Le gouvernement, soutient-il, a voulu produire un choc bénéfique, le président Salim Hoss ayant promis de procéder à l’assainissement de l’administration étatique, sans lequel l’action gouvernementale n’a aucune chance de réussir. Par le fait même, il ne sera pas possible de réduire les dépenses improductives, à l’effet de combler le déficit du budget. Il va sans dire, que la réforme exige des décisions que le président du Conseil a qualifiées de douloureuses et d’impopulaires.”
- Pourtant la réforme administrative pose certains points d’interrogation quant aux principes sur base desquels elle est effectuée.
“Naturellement, il ne s’agit pas pour le “Cabinet des 16” d’une simple promenade. La réforme soulève bien des questions de la part de ceux qui y sont directement impliqués, en tout premier lieu les fonctionnaires et ceux qui les ont nommés ou les couvrent... D’autant que beaucoup d’entre eux ont été engagés sous contrat et ne sont donc pas inscrits dans les cadres officiels.
“Puis, le gouvernement a mis en garde ceux d’entre eux qui perçoivent deux traitements ou des gratifications d’en dehors des cadres gouvernementaux.
“Ceci concerne les fonctionnaires recrutés, sous les précédents Cabinets, en dehors du cadre officiel, ce qui constitue une infraction aux lois et règlements en vigueur. Ces fonctionnaires se trouvent devant l’alternative suivante: régulariser leur situation ou démissionner.
“Partant de là, le gouvernement n’agit donc pas par esprit de vengeance ou pour des considérations d’ordre politique, comme le prétendent ses détracteurs. Au contraire, on doit lui savoir gré d’appliquer les lois.”
- Les priorités du plan gouvernemental au plan de la réforme administrative sont-ils valables à votre avis?
“Evidemment, car le gouvernement se devait de commencer par les organismes de caractère administratif ou traitant des questions économico-financières: le CDR, la société OGERO, le Conseil exécutif des grands travaux, etc...
“Le président Hoss a bien précisé que les projets en cours d’exécution seront poursuivis, mais les autres feront l’objet d’une étude minutieuse pour juger de leur utilité et, surtout, de l’opportunité de les exécuter en priorité.”
- Le nouveau régime réussira-t-il l’opération de la réforme?
“A ma connaissance, le cas des directeurs généraux a été posé dès l’accession du général Lahoud à la magistrature suprême, dans l’optique de changer les personnes et la manière de gérer la chose publique.
“Il a été suggéré, tout d’abord, que ces hauts fonctionnaires placent leur démission à la disposition du Conseil des ministres qui prendrait à leur sujet la décision adéquate après l’étude de leurs dossiers. L’attention a été retenue, par la suite, par les fonctionnaires qui perçoivent deux traitements, sous prétexte que leurs mensualités officielles ne suffisent pas à leur assurer une vie digne.
“Ceci est inacceptable, car le fonctionnaire qui touche une gratification d’une personne étrangère à l’Etat, proclame sa loyauté à l’égard de cette dernière et non à l’organisme officiel dont il relève. Aussi, est-il tenu de choisir entre la fonction publique ou la démission.”
- D’aucuns critiquent la nomination du Dr Hassan Chalak en tant que membre du Cabinet...
“Le Dr Hassan Chalak, ancien président du Conseil de la Fonction publique, est l’homme qu’il faut à la place qu’il faut, en raison de son expérience dans ce domaine, de sa probité et de sa compétence.
“Ses rapports annuels donnaient une idée claire de la situation administrative, tout en dénonçant les infractions et les abus résultant des ingérences des politiciens dans l’administration étatique.
“Ces rapports indisposaient les an-ciens responsables qui s’abstenaient de les divulguer, en les publiant au Journal officiel. Le Dr Chalak a donc soumis ses rapports et le plan qu’il préconise pour assainir l’adminis-tration: appliquer la loi sur l’enrichissement illicite promulguée en date du 14/4/54, réactiver les administrations des services, assurer la hiérarchisation des fonctions publiques, rassembler les organismes d’inspection et de contrôle dans un même bâtiment, recruter les commis de l’Etat selon des critères déterminés et les soumettre à des cycles d’entraînement et de formation, adopter le principe de la récompense et du châtiment, etc...
“Le Dr Chalak estime que le renforcement des organismes de contrôle est une opération prioritaire. Aussi, considère-t-il que l’échec des réformes qui ont été effectuées depuis 1952, a eu pour cause l’absence de tout contrôle ou son inefficacité.”
- Dans son discours d’investiture, le président Lahoud a, dit-on, déterminé les grandes lignes de la politique du régime. Ce qui se passe aux plans administratif, financier, économique et social traduit-il le discours présidentiel?
“Sans nul doute, le chef de l’Etat étant déterminé à traduire ses paroles en actes; il l’a dit à ses proches collaborateurs et conseillers. C’est, d’ailleurs, le grand défi que le président doit relever.
“Le discours d’investiture a révélé d’une part, la personnalité du chef de l’Etat, sa manière de travailler, de concevoir les solutions aux problèmes auxquels le pays est confronté et, d’autre part, a fait apparaître le président de la République sous l’angle d’un opposant dans ses aspirations, dénonçant les pratiques de la classe politique qui se sont répercutées aux niveaux de l’administration, de la magistrature et des institutions.
“Le discours a provoqué un choc dans les milieux politiques et parlementaires. Il s’est distingué par le fait pour le président Lahoud de s’être adressé au peuple et à la jeunesse d’une manière directe, soulevant leurs problèmes et leurs préoccupations, tout en s’engageant à répondre à leurs ambitions.”
- N’avez-vous pas relevé une men-tion particulière des réalisations de l’ancien régime?
“L’enthousiasme avec lequel les citoyens ont accueilli l’élection du président Lahoud, prouve que ceux-ci étaient fatigués de l’ancien régime qui s’était maintenu pendant neuf ans, les abus, passe-droits et erreurs de ce dernier ayant terni ses réalisations.
“Le Général-Président a bien spécifié que son sexennat sera différent du précédent, en ce sens qu’il n’en sera pas une prolongation, mais sera marqué par le changement dans tous les domaines.
“De même, le message de félicitations que lui a adressé le président Assad ne fait nullement mention de l’ancien régime, ni souligné la continuité entre l’ancien et le nouveau.”
- Le nouveau régime bat-il le fer pendant qu’il est chaud et profite-t-il du soutien unanime dont il a bénéficié à son avènement?
“Naturellement, il en a profité à l’extrême, en entamant la réforme administrative et en ayant constitué une équipe ministérielle sans tenir compte des forces politiques. Et ce, afin de ne pas tomber dans les erreurs du passé où les forces antagonistes se confrontaient au niveau du pouvoir et le condamnaient à l’immobilisme.
“Avec un autre gouvernement, il ne serait pas possible d’élaborer une nouvelle loi électorale et de procéder à un mouvement administratif portant sur les fonctions de la première catégorie. Ceci rendrait impossible l’éradication de la corruption. A vrai dire, ce gouvernement est à l’image du président Lahoud.
“Puis, le président Salim Hoss est connu pour être un homme prenant des positions fermes et claires, même s’il tarde parfois à se décider. Il en a été ainsi sous le mandat du président Elias Sarkis, dont il a formé le premier Cabinet le 9 décembre 1976. Il en est de même par rapport au “Cabinet des 16” dont la formation a été annoncée le 4 décembre 98.
“De son exercice des responsabilités gouvernementales, M. Hoss a acquis une expérience et dégagé un principe qu’il ne cesse de rappeler, à savoir: “Le responsable reste fort jusqu’à ce qu’il réclame quelque chose pour lui-même”. Il doit donc se maintenir au-dessus des accointances pour pouvoir conserver sa liberté d’action et de décision.”
- Comment concevez-vous la nouvelle loi électorale?
“Elle doit être équitable et équilibrée, tout en établissant une distinction entre le découpage administratif et celui des circonscriptions dans le cadre de chaque mohafazat.
“Puis, il faut ramener l’âge de l’électeur à 18 ans, instituer la carte électorale et interdire le cumul de la députation et de la charge ministérielle. De cette manière, la représentation populaire sera mieux assurée.”
- Une telle loi peut-elle garantir le climat démocratique sans lequel tout scrutin serait faussé à la base?
“Le confessionnalisme, la féodalité politique et le sectarisme entravent la pratique démocratique. Les législatures issues d’élections qui ne sont pas organisées sur base des partis, risquent de perdre de leur représentativité. D’où la crainte de ne pouvoir assurer un climat démocratique véritable.
“Toujours est-il qu’une loi équitable et équilibrée, même en l’absence des partis, peut garantir une représentation nationale authentique, si le scrutin se déroule sur base d’une loi égale pour tous les électeurs. Il faut, aussi, que les élections aient lieu dans une atmosphère de liberté totale, sans aucune trucage.”

Propos recueillis par
JOSEPH MELKANE


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