tribune
À PROPOS DE FONDS PERDUS...
Personne n’a jamais dit ou pensé que M. Michel Murr manquait d’intelligence ou d’habileté. Au contraire, il passe pour un homme aussi habile qu’expérimenté. Alors que signifie cette histoire de fonds municipaux hier perdus, le lendemain retrouvés? M. Murr a-t-il cru lever un lièvre qui lui a subitement échappé?
Dans l’atmosphère empoisonnée qui est entretenue autour du Cabinet Hoss depuis sa formation, une telle maladresse serait impardonnable. Mais s’agit-il d’une maladresse? Quoi qu’il en soit, la voie aura été ouverte, ainsi, au ministère des Finances pour clarifier la situation.
***

C’est peut-être, aussi, l’occasion de réfléchir de nouveau sur la nature de ce gouvernement.
On s’est accordé, généralement, pour le qualifier de “technocrate”. En fait, il est mixte. Mais la caractéristique dominante de sa composition lui est conférée par la présence de hauts fonctionnaires spécialisés et d’experts renommés. Il n’a pas d’attaches partisanes. Le chef du gouvernement lui-même, quoique député et homme d’Etat, est davantage considéré pour ses compétences en matière de finances et d’économie, que pour son action politicienne. Le chef de l’Etat lui-même, quoique issu d’une famille politique, est étranger à la politique politicienne.
De tous les membres de cet Exécutif, M. Murr est le seul qui est réputé être ce qu’on appelle un politicien. Qu’est-ce qui le qualifiait pour figurer dans un gouvernement auquel est dévolue, essentiellement, la mission de réformer l’Etat, d’assainir ses finances et de redresser une gestion à laquelle M. Murr n’est pas étranger? On ne le sait pas. Son intelligence et son expérience, peut-être? Vice-président du Conseil et ministre de l’Intérieur d’une manière permanente depuis plusieurs années, ses qualités lui ont-elles servi à réussir les tâches qui lui étaient assignées ou à tirer son épingle du jeu et à se maintenir au pouvoir? Il a organisé des élections législatives et municipales sur lesquelles on porte des jugements contrastés. Il a lancé une vaste opération de changement de cartes d’identité qui n’a pas l’air de s’achever. Il a présidé de grandes commissions, notamment celle de la circulation, qui n’ont servi qu’à enterrer les problèmes. Et ce fameux décret sur la nationalité qui n’a pas fini de susciter des remous, n’y est-il pour rien?
En peu de mots, on peut dire que le bilan de sa participation au pouvoir révèle plus d’habileté que de volonté de réalisations concrètes. En matière de sécurité, il pourrait peut-être se prévaloir de meilleurs résultats. Il faudrait des statistiques comparées pour en juger.
Il ne serait pas inutile de dresser ce bilan d’une manière plus précise. On aurait peut-être, ainsi, une quelconque explication de la présence de M. Murr dans ce gouvernement réformiste. Tel n’est pas notre sujet. Ni M. Murr, ni son œuvre. Mais, à ce propos, ce qui est préoccupant, ce sont les risques auxquels est exposé le Cabinet dont il fait partie.

***

Les gouvernements au Liban sont généralement de coalition, grâce à quoi ils disposent d’une majorité parlementaire. Dans les rares cas où un Cabinet de technocrates ou de fonctionnaires a été formé, son assise politique lui était garantie par le chef de l’Etat, tant que son autorité sur la Chambre était incontestée.
Le Cabinet Hoss n’est pas un gouvernement de coalition. La majorité parlementaire dont il béné-ficie lui a été assurée par la vague de sympathie populaire provoquée par l’accession au pouvoir du président Lahoud - la Chambre a suivi - et par l’espoir d’une réforme de l’Etat - et par les qualités personnelles du chef du gouvernement et de ses ministres.
Toutes choses rares mais bien aléatoires.
Les campagnes de dénigrement dont il est l’objet visent, précisément, à saper ces données de base de son autorité morale. A quoi s’ajoute la suspicion que M. Joumblatt entretient à l’égard de l’Armée pour le cas où l’influence de celle-ci, comme il le suggère, constituerait la donnée fondamentale de la situation.
Cela bien compris, on saisit pourquoi ce gouvernement ne peut se permettre de se tromper. Il n’a pas, comme on dit, le droit à l’erreur. L’un des ministres a déclaré l’autre jour que seul celui qui ne fait rien ne se trompe jamais. C’est vrai. Mais ce gouvernement est appelé à faire mieux: agir et ne pas commettre de fautes.
C’est pourquoi, enfin, cette histoire de fonds municipaux est grave.

***

Le gouvernement Hoss est le genre de gouvernement que toutes les factions peuvent se disputer et essayer de gagner à leur cause. Penser que les groupements politiques ou d’intérêts économiques peuvent s’élever à une conception de l’intérêt national où M. Hoss (avec le président Lahoud) entend se placer, c’est une dangereuse illusion.
Le bénévolat en politique et dans les affaires n’existe pas. M. Hoss est appelé à faire prévaloir sa propre vision du bien public. Il lui faudra, pour ce faire, se battre contre tout le monde politique en gardant le pays avec lui. Or, ce n’est pas un battant... C’est le seul reproche qu’on puisse lui faire. Mais c’est un résistant et ce pourrait bien être, dans cette conjoncture, une façon de se battre. On l’a même vu attaquer et menacer. Tout arrive. Et il ne faut jurer de rien. 


Home
Home