Personne
n’a jamais dit ou pensé que M. Michel Murr manquait d’intelligence
ou d’habileté. Au contraire, il passe pour un homme aussi habile
qu’expérimenté. Alors que signifie cette histoire de fonds
municipaux hier perdus, le lendemain retrouvés? M. Murr a-t-il cru
lever un lièvre qui lui a subitement échappé?
Dans l’atmosphère empoisonnée qui est entretenue autour
du Cabinet Hoss depuis sa formation, une telle maladresse serait impardonnable.
Mais s’agit-il d’une maladresse? Quoi qu’il en soit, la voie aura été
ouverte, ainsi, au ministère des Finances pour clarifier la situation.
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C’est peut-être, aussi, l’occasion de réfléchir
de nouveau sur la nature de ce gouvernement.
On s’est accordé, généralement, pour le qualifier
de “technocrate”. En fait, il est mixte. Mais la caractéristique
dominante de sa composition lui est conférée par la présence
de hauts fonctionnaires spécialisés et d’experts renommés.
Il n’a pas d’attaches partisanes. Le chef du gouvernement lui-même,
quoique député et homme d’Etat, est davantage considéré
pour ses compétences en matière de finances et d’économie,
que pour son action politicienne. Le chef de l’Etat lui-même, quoique
issu d’une famille politique, est étranger à la politique
politicienne.
De tous les membres de cet Exécutif, M. Murr est le seul qui
est réputé être ce qu’on appelle un politicien. Qu’est-ce
qui le qualifiait pour figurer dans un gouvernement auquel est dévolue,
essentiellement, la mission de réformer l’Etat, d’assainir ses finances
et de redresser une gestion à laquelle M. Murr n’est pas étranger?
On ne le sait pas. Son intelligence et son expérience, peut-être?
Vice-président du Conseil et ministre de l’Intérieur d’une
manière permanente depuis plusieurs années, ses qualités
lui ont-elles servi à réussir les tâches qui lui étaient
assignées ou à tirer son épingle du jeu et à
se maintenir au pouvoir? Il a organisé des élections législatives
et municipales sur lesquelles on porte des jugements contrastés.
Il a lancé une vaste opération de changement de cartes d’identité
qui n’a pas l’air de s’achever. Il a présidé de grandes commissions,
notamment celle de la circulation, qui n’ont servi qu’à enterrer
les problèmes. Et ce fameux décret sur la nationalité
qui n’a pas fini de susciter des remous, n’y est-il pour rien?
En peu de mots, on peut dire que le bilan de sa participation au pouvoir
révèle plus d’habileté que de volonté de réalisations
concrètes. En matière de sécurité, il pourrait
peut-être se prévaloir de meilleurs résultats. Il faudrait
des statistiques comparées pour en juger.
Il ne serait pas inutile de dresser ce bilan d’une manière plus
précise. On aurait peut-être, ainsi, une quelconque explication
de la présence de M. Murr dans ce gouvernement réformiste.
Tel n’est pas notre sujet. Ni M. Murr, ni son œuvre. Mais, à ce
propos, ce qui est préoccupant, ce sont les risques auxquels est
exposé le Cabinet dont il fait partie.
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Les gouvernements au Liban sont généralement de coalition,
grâce à quoi ils disposent d’une majorité parlementaire.
Dans les rares cas où un Cabinet de technocrates ou de fonctionnaires
a été formé, son assise politique lui était
garantie par le chef de l’Etat, tant que son autorité sur la Chambre
était incontestée.
Le Cabinet Hoss n’est pas un gouvernement de coalition. La majorité
parlementaire dont il béné-ficie lui a été
assurée par la vague de sympathie populaire provoquée par
l’accession au pouvoir du président Lahoud - la Chambre a suivi
- et par l’espoir d’une réforme de l’Etat - et par les qualités
personnelles du chef du gouvernement et de ses ministres.
Toutes choses rares mais bien aléatoires.
Les campagnes de dénigrement dont il est l’objet visent, précisément,
à saper ces données de base de son autorité morale.
A quoi s’ajoute la suspicion que M. Joumblatt entretient à l’égard
de l’Armée pour le cas où l’influence de celle-ci, comme
il le suggère, constituerait la donnée fondamentale de la
situation.
Cela bien compris, on saisit pourquoi ce gouvernement ne peut se permettre
de se tromper. Il n’a pas, comme on dit, le droit à l’erreur. L’un
des ministres a déclaré l’autre jour que seul celui qui ne
fait rien ne se trompe jamais. C’est vrai. Mais ce gouvernement est appelé
à faire mieux: agir et ne pas commettre de fautes.
C’est pourquoi, enfin, cette histoire de fonds municipaux est grave.
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Le gouvernement Hoss est le genre de gouvernement que toutes les factions
peuvent se disputer et essayer de gagner à leur cause. Penser que
les groupements politiques ou d’intérêts économiques
peuvent s’élever à une conception de l’intérêt
national où M. Hoss (avec le président Lahoud) entend se
placer, c’est une dangereuse illusion.
Le bénévolat en politique et dans les affaires n’existe
pas. M. Hoss est appelé à faire prévaloir sa propre
vision du bien public. Il lui faudra, pour ce faire, se battre contre tout
le monde politique en gardant le pays avec lui. Or, ce n’est pas un battant...
C’est le seul reproche qu’on puisse lui faire. Mais c’est un résistant
et ce pourrait bien être, dans cette conjoncture, une façon
de se battre. On l’a même vu attaquer et menacer. Tout arrive. Et
il ne faut jurer de rien. |
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