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CLINTON DEVANT TROIS OS

Ragaillardi après son acquittement dans l’affaire Lewinsky, M. Clinton nous promet qu’il consacrera, désormais, toute son énergie pour nous donner la paix avant la fin de son mandat. C’est-à-dire d’ici à peine deux ans. Si l’on tient compte des dérobades habituelles du négociateur israélien, il ne lui reste que relative-ment peu de temps. Au surplus, il redoute, sans évidemment le dire, le retour de M. Netanyahu au pouvoir. Comme là-dessus, il ne peut être fixé qu’à la fin du mois de mai, après les élections israéliennes, le délai est ainsi réduit de trois mois et dans la plus grande incertitude, puisque tout dépendra finalement du vote de l’électorat juif.
M. Clinton peut-il influer sur ce vote?
Ailleurs, il croit pouvoir disposer de moyens efficaces de pression. C’est ainsi qu’à coup de bombes et de missiles dévastateurs, l’Amérique tente de renverser Saddam Hussein considéré comme une menace pour la paix. En Serbie, M. Clinton agite au nez de M. Milosevic la perspective de bombardements pour le forcer à accepter une formule de paix au Kosovo.
Voilà donc désignés les trois ennemis de la politique de pacification que s’assigne le président des Etats-Unis pour le temps qui lui reste au pouvoir: Saddam Hussein, Milosevic, Netanyahu. Ces trois personnages ont ceci en commun qu’ils refusent de se soumettre aux décisions de la communauté internationale et se moquent, chacun à sa manière, des menaces de Washington.
Contre le premier, l’Amérique a recours, depuis huit ans, à son arsenal militaire sans autre résultat que le risque de bouleverser la carte et l’équilibre du Proche-Orient. Contre le second, elle agite la menace militaire, mais se donne des délais pour passer à l’action de crainte d’une conflagration générale dans les Balkans. Contre le troisième, l’Amérique s’est avérée jusqu’ici tout aussi impuissante, mais sans cesser de financer le développement de son arsenal militaire (utilisé uniquement contre le plus innocent de ses voisins, le Liban).

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Qu’est-ce que M. Clinton pourra inventer dans les prochains mois pour venir à bout de ces difficultés?
Au risque de choquer, on a envie de dire qu’à la vue des résultats obtenus jusqu’ici, le mieux qu’il puisse faire est de s’abstenir.
Pour justifier les interventions américaines dans les régions troublées par des conflits territoriaux ou ethniques, le département d’Etat invoque souvent “les intérêts nationaux des Etats-Unis.” En réalité, ces intérêts nationaux ne paraissent menacés par personne sinon par les maladresses des Américains eux-mêmes. Ce sont seulement l’incapacité et les contradictions de la diplomatie américaine qui mettent en danger ces intérêts.
Pour régler les conflits et maintenir la paix, les Etats-Unis ont inventé une espèce de tribunal qu’on appelle l’ONU. Mais les Etats-Unis ne font pas confiance à cette instance. Ils veulent se charger eux-mêmes de faire appliquer ses décisions souvent par des procédures qui finissent par en modifier et le sens et l’objet. Ils suscitent, de ce fait, l’hostilité des peuples concernés. Cette hostilité, c’est l’Amérique qui en pâtit, ce qui la conduit à invoquer ses intérêts nationaux pour s’impliquer davantage jusqu’à occulter le rôle de l’ONU au nom de laquelle elle était censée agir, accentuant ainsi le sentiment d’injustice des peuples. C’est un cercle vicieux.
Comment M. Clinton peut-il s’en sortir?
Quand on lui dit: revenons à l’ONU, il s’affole et réplique: attention, vous allez troubler le processus où je suis engagé.
Quel processus?... Si sur des incidents passagers (Arnoun, par exemple) il peut encore exercer une certaine influence (tout aussi passagère), sur l’essentiel, c’est l’échec le plus complet.
Le seul moyen auquel l’Amérique pourrait recourir pour amener Israël à accepter la “paix juste” promise à Madrid sur la base des résolutions de l’ONU, c’est de lui couper toute aide financière et militaire. C’est le seul langage que les dirigeants israéliens puissent comprendre, qu’ils s’appellent Barak ou même Netanyahu ou Sharon.
Mais c’est le seul langage que M. Clinton ne peut pas tenir. Clinton n’est pas Eisenhower et Israël, depuis 1956, a étendu sa puissance au point de peser à Washington même sans redouter la moindre contrariété. M. Netanyahu, particulièrement, sait jusqu’où il peut aller sans se faire couper les vivres: très loin. Il tient le congrès.

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Dans ces conditions, que valent les nouvelles promesses de M. Clinton?
Elles valent ce que les dirigeants arabes accordent encore de crédit à la diplomatie américaine. En réalité, rien. En apparence, beaucoup parce que depuis huit ans, ils se sont laissé berner et ne sont plus en situation de revoir leur politique, ni d’exiger plus de fermeté de leur partenaire américain.
Ils sont prisonniers du même cercle vicieux. De leur côté, les Israéliens chez eux ne sont pas en meilleure posture. Beaucoup parmi les plus lucides de leurs penseurs redoutent une véritable  guerre civile entre laïcs et religieux et colons, entre ashkénazes et séfarades. C’est peut-être par cette voie qu’on peut parvenir à la paix régionale. A condition de savoir attendre!... 


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