Bahrein
est en deuil. Son émir, cheikh Issa ben Salmane al-Khalifa est décédé
samedi 6 mars, à l’âge de 65 ans, foudroyé par une
crise cardiaque, cinq minutes après l’entretien qu’il venait d’avoir
avec William Cohen, secrétaire américain à la Défense.
Son fils aîné, Hamad ben Issa al-Khalifa (49 ans), lui a succédé le jour même et devait, dès dimanche, recevoir les condoléances des dirigeants du monde arabe et des représentants de la communauté internationale qui ont afflué à Manama. |
|
Les obsèques de cheikh Issa ben Salmane ont eu lieu le jour même
du décès, en vertu de la tradition islamique et, l’inhumation,
au cimetière de la famille régnante, à Rifaa, au sud
de la capitale. Les prières à la mosquée et les funérailles
se sont déroulées en présence du nouvel émir,
des membres de la famille, des hauts responsables du pays, des dignitaires
religieux et d’une foule de citoyens, venus faire leurs adieux à
l’émir.
Un deuil national de trois mois était aussitôt décrété
dans tout l’archipel et les activités furent entièrement
suspendues pendant cinq jours.
Avec le décès de l’émir Issa, une figure historique
du Golfe vient de disparaître. Il avait régné sur cet
archipel durant 38 ans, dont il a fait un Etat moderne, bien structuré,
prêt à relever les défis du troisième millénaire.
Né le 3 juin 1933, il reçoit son éducation par
les soins de précepteurs privés. A l’âge de vingt ans
(juin 1953), il s’acquitte de sa première mission officielle, en
présidant la délégation de son pays aux cérémonies
de couronnement à Bagdad du roi Fayçal II d’Irak.
En 1956, son père cheikh Salmane al-Khalifa le nomme président
du Conseil municipal de Manama où il adopte une série de
mesures populaires, dont la création d’une zone de libre-échange
au port de cette ville.
A partir de cette période, il commence à jouer un rôle
de plus en plus actif dans les affaires du pays.
Le 31 janvier 1958, il est nommé prince héritier. Dans
les deux années qui suivent, son père l’émir de Bahrein
étant affaibli par des crises cardiaques fréquentes, cheikh
Issa va assumer une responsabilité de plus en plus grande dans la
direction des affaires intérieures et extérieures; puis,
devient président par intérim de la famille al-Khalifa.
Au décès de son père, le 2 novembre 1961, il est
proclamé, le 16 décembre, émir de Bahrein.
L’archipel de Bahrein est encore en cette période, sous protectorat
britannique. Mais l’émir ne compte pas rester les bras croisés
et s’active au plan interne. Il améliore l’infrastructure des villes,
distribue des terres aux citoyens, augmente l’aide financière accordée
aux “wakfs” (biens religieux), à la restauration des mosquées,
crée des écoles et fait creuser des puits artésiens
dans les villages pauvres et isolés pour améliorer les conditions
de vie des habitants.
A la fin des années soixante, avec le départ des Britanniques,
il crée un organisme de pouvoir indépendant, une garde nationale
qu’il place sous le commandement de son fils aîné, cheikh
Hamad et transforme le “Conseil administratif” en un gouvernement que présidera
son frère cheikh Khalifa.
Le 14 août 1971, il proclame l’indépendance de Bahrein,
présente une demande pour intégrer l’ONU et la Ligue arabe.
Il signe le jour même un pacte d’amitié avec le haut commissaire
britannique, Sir Joffroy Arthur, stipulant que “les deux pays doivent se
consulter en cas de nécessité tout en reconnaissant à
l’émirat l’entière responsabilité en matière
de Défense et des Affaires étrangères” (qui étaient
jusque-là du ressort du mandataire).
Cheikh Issa adopte, d’ailleurs, une politique d’ouverture sur l’Occident
et la Vème flotte américaine est basée à Bahrein.
Il crée un parlement de 45 membres dont 22 élus et dote
le pays d’une Constitution. Les élections ont lieu en décembre
73, mais une période de trouble de vingt mois plane sur le pays
et l’amène à suspendre le parlement qui n’a plus jamais repris
ses activités. Le pouvoir législatif est conféré
au gouvernement, qu’il nomme lui-même.
Cheikh Issa ben Salmane représentait un courant pragmatique
au sein de la société bahranie. Il a voulu, surtout, faire
de Bahrein un Etat moderne, doté d’une parfaite infrastructure,
d’une technologie d’avant-garde en tout domaine, surtout au niveau économique,
des services et du tourisme. Son objectif majeur a été, tout
au long de ses 38 ans de règne, d’améliorer le niveau de
vie de son peuple et de veiller à son bien-être.
Le président Salim Hoss présentant ses condoléances à cheikh Hamad ben Issa al-Khalifa, nouveau chef de la principauté. |
Le chef du gouvernement et la délégation libanaise arrivant au palais du nouvel émir de Bahrein. |
LES CONDOLÉANCES
Le nouvel émir
de Bahrein, cheikh Hamad ben Issa al-Khalifa, entouré des membres
de la famille régnante et des hauts dignitaires, a reçu,
dès dimanche, les condoléances de la communauté arabe
et internationale.
En tête des dirigeants arabes qui ont afflué vers Manama,
le prince héritier Abdallah d’Arabie séoudite; le roi Abdallah
II de Jordanie; le prince héritier du Koweit, cheikh Saad al-Abdallah
as-Sabbah; les présidents égyptien et syrien, Hosni Moubarak
et Hafez Assad; le Premier ministre libanais, M. Salim Hoss à la
tête d’une importante délégation; le chef de l’Autorité
palestinienne, M. Yasser Arafat; l’émir du Qatar, cheikh Hamad ben
Khalifa, le sultan Qabous d’Oman; le président yéménite,
Ali Abdallah Saleh.
Par ailleurs, le Liban et les pays arabes ont annoncé un deuil
officiel de trois jours et rendu hommage au disparu.
L’ÉMIRAT DE BAHREIN: UN ÉTAT
MODERNE ET PROSPÈRE
L’émirat
de Bahrein compte 600.000 habitants dont 378.000 sont des Bahreinis, soit
63% de l’ensemble de sa population. Manama, la capitale compte 150.000
habitants.
Formé d’une succession de petites îles, l’archipel de Bahrein
a été le premier Etat du Golfe où on a découvert
du Pétrole en 1932. Aujourd’hui, l’or noir s’amenuise et l’Emirat
ne produit plus que 38 mille barils de pétrole par jour. Mais
il possède une grande raffinerie alimentée par le pétrole
séoudien et n’est pas membre de l’OPEC.
Sous protectorat britannique de 1871 à 1971, date de son indépendance,
Bahrein est gouverné depuis 1783 par la dynastie sunnite des Khalifa.
Selon des estimations non officielles, la population autochtone serait
formée de 40% de sunnites et de 60% de chiites qui se disent les
“défavorisés”, car le pouvoir politique et les ressources
économiques seraient, essentiellement, aux mains des sunnites; l’émirat
réfute ces allégations.
N’empêche que ces dernières années, l’île
a connu des troubles sporadiques, fomentés par des groupes d’opposition
à dominante chiite. Le plus actif de ces courants étant le
“mouvement de libération de Bahrein” (MLB), basé à
Londres. L’un de ses dirigeants est le fils du principal opposant chiite,
cheikh Abdel-Amir al-Jamri emprisonné à Bahrein.
Ce mouvement a présenté ses condoléances à
l’émir Hamad ben Issa l’appelant à “ouvrir une nouvelle page,
à se réconcilier avec l’opposition.”
Le communiqué du MLB affirme son soutien à “toute tentative
sincère d’engager un processus politique et d’introduire des réformes
par des moyens pacifiques.”
L’opposition réclame la restauration du parlement dissous en
1975 et la libération des prisonniers politiques.
Par ailleurs, durant ses 38 ans de règne, l’émir Issa
avait créé un Etat moderne largement développé
aux plans économique, social et de l’infrastructure. Son successeur
est appelé à en poursuivre le processus et à développer
le système politique vers une réelle démocratie.
LA SUCCESSION ASSURÉE PAR LE NOUVEL
ÉMIR ?
Cheikh Hamad
ben Issa al-Khalifa, qui vient d’être proclamé émir
de Bahrein, est né le 28 janvier 1950. Il fait ses études
primaires à Manama, ses études secondaires à Cambridge
et une formation militaire dans le Hampshire en Grande-Bretagne.
De retour au pays, il présente un projet de création d’une
force de défense de Bahrein dont il prendra la tête dès
le départ. Avec la formation du premier Conseil des ministres, le
15 août 1971, il est nommé ministre de la Défense,
charge qu’il assumera jusqu’au décès de son père.
Il poursuit sa formation militaire à l’académie des officiers
d’état-major au Kansas (Etats-Unis) et son nom est inscrit au tableau
d’honneur des officiers de cette université eu égard à
ses exploits dans le domaine militaire. Diplômé en tant que
pilote d’hélicoptère, il crée une section de défense
aérienne à Bahrein.
Cheikh Hamad s’est intéressé, dès son plus jeune
âge, au sport, se perfectionnant dans les domaines de la natation,
de l’équitation et du tir. Conscient du rôle des jeunes au
service de la patrie et de la société, il accorde une importance
particulière au sport et sera nommé président du Conseil
supérieur de la “Jeunesse et des Sports” en 1975.
Un autre centre d’intérêt va l’occuper à partir
de 1978: La documentation historique avec pour objectif de regrouper tous
les documents d’archives: textes, récits, cartes, photos, etc...
se rapportant à l’Histoire de l’archipel.
De même, il crée un centre de recherche scientifique et
technologique vu l’intérêt et l’importance de ces domaines
de nos jours.
Marié à sa cousine germaine, ils ont trois garçons
et une fille. Il avait été nommé prince héritier
le 27 juin 1964. Le 6 mars 1999, le jour même du décès
de cheikh Issa, le Conseil des ministres tient une réunion exceptionnelle
sous la présidence de cheikh Hamad ben Issa, qui annonce la mort
de son père et s’engage “à assumer la responsabilité
à la tête du pays, avec l’aide de Dieu, déployant toutes
nos possibilités au service de notre pays et de notre peuple, à
l’exemple du grand disparu qui a consacré sa vie au service de sa
foi, sa patrie, son peuple et sa nation.”