Bloc - Notes

Par ALINE LAHOUD

DE JUSTESSE

Les mots planification, prévoyance, prévention, notions élémentaires dans les pays civilisés, sont inconnus au Liban. Comment vivent les Libanais? Au petit bonheur la chance, par le plus grand des hasards et, surtout, grâce à une faveur spéciale du Tout-puissant.
Quelles dispositions l’Etat libanais a-t-il jamais pris ou simplement envisagé pour nous permettre de faire face à une catastrophe majeure, telle que celle de Selaata qui a menacé tout le littoral du pays depuis Jbeil jusqu’à Tripoli? Strictement aucune. Et ce n’est pas faute de nous soutirer le taux d’impôts indirects le plus élevé du monde.
Quels sont les faits? En résumé, un cargo turc (décidément les Turcs s’arrangent très bien ces temps-ci pour faire parler d’eux) le SIMGE a quitté Selaata avec 6.000 tonnes d’acide sulfurique à bord, appartenant à l’usine de produits chimiques, Lebanese Chemical Company, propriétaire: Pierre Doumet. A peine éloigné de la côte et par suite d’une fausse manœuvre - soit que le capitaine ait été ivre ou pour une toute autre raison - le SIMGE va heurter les rochers où il échoue le nez dans la mer, menaçant gens, animaux et choses de la pire catastrophe humaine et écologique du siècle.
Il y a eu, bien sûr, d’autres catastrophes de cet ordre, un peu partout dans le monde. Plus particulièrement les marées noires qui ont fait trembler l’Europe et l’Amérique, notamment celles de la Mer du Nord et de l’Alaska. Mais qu’est le pétrole auprès de l’acide sulfurique!
Je me souviens d’avoir lu dans le temps, dans les annales du crime, l’histoire du fameux Landru, figure charismatique de l’assassinat en série des années 20. Lequel charmant garçon avait inventé, pour faire disparaître ses victimes, de les mettre dans une baignoire et de les dissoudre dans l’acide sulfurique. Or, Landru apparaît comme un jeune galopin farceur auprès des milliers de victimes qu’aurait pu causer le chargement du SIMGE. Sans compter l’anéantissement de toute forme de faune et de flore marines et terrestres, la région dans son ensemble transformée en paysage lunaire, jusqu’à l’air, chargé d’émanations quasi mortelles qui aurait rongé les poumons de ceux qui auraient eu le malheur de les respirer.
Qui est responsable? On dit que le cargo turc - le SIMGE en l’occurrence - ne peut charger au maximum que 5.000 tonnes et que par avidité, par soif effrénée du gain, par mépris de la loi et des normes de sécurité, on lui a collé plus de 1.000 tonnes de plus. Ce qui lui a fait donner de la bande pour venir s’incruster dans les rochers avoisinants.
Mais quelles que soient les causes mises en avant, il n’en demeure pas moins que le Liban - par suite de l’imprévoyance chronique de ses dirigeants - n’est nullement en mesure de faire face à ce genre de menace. Cela est apparu désespérant à chaque situation critique. Ainsi, chaque année que Dieu fait, nous avons des incendies qui ravagent littéralement nos forêts, faute de moyens nécessaires pour en venir à bout. Pourquoi? Parce que, dit-on, les Canadairs, ces avions qui combattent, efficacement, les incendies coûtent cher et que nous n’avons pas les moyens de nous payer ne serait-ce qu’un seul appareil, ni de le louer d’ailleurs.
Même indifférence sur le plan humain. Des blessés, des accidentés en montagne, des victimes de crises cardiaques meurent sur place en attendant une problématique ambulance qui n’arrive pas à se frayer un passage dans l’embouteillage permanent de nos routes. Chacun sait qu’il suffirait d’un hélicoptère pour sauver plus d’une vie. Mais les hélicoptères comme les Canadairs coûtent cher.
Et un ministre, ça ne coûte pas cher, peut-être? Comment avons-nous pu nous payer trente spécimens du genre dont la valeur marchande - ce serait injuste et stupide de s’en tenir au seul Barsoumian - va chercher dans les centaines de millions de dollars? Pour le prix d’un ministre, nous aurions pu disposer d’une véritable flotte de Canadairs et pour le prix de deux ministres nous serions devenus propriétaires d’une escadre d’hélicoptères spécialement équipés pour les sauvetages.
On nous dira que le gouvernement actuel n’y est pour rien. C’est juste. Mais la politique d’austérité qu’il prône ne peut pas être aveuglément appliquée sans provoquer des dégâts qui nous coûteraient encore plus cher.
Rogner sur le nécessaire, c’est remplacer la politique du pire par celle de l’autruche. Il était moins une pour la cargaison du SIMGE. Arriverons-nous à temps la prochaine fois?

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