“LE PRÉSIDENT LAHOUD AURA À AFFRONTER
DES DÉFIS ET JE LUI SOUHAITE LE SUCCÈS DANS SA MISSION”
L’ex-président
de la République, cheikh Amine Gemayel, ne peut renoncer à
la politique et “se transformer en spectateur”. Il est poussé en
permanence vers l’action politique et, actuellement, il se trouve à
Paris pour une période lui permettant de préparer son retour
au Liban.
C’est un retour difficile chargé d’épines et de bris de verre, mais cela ne le rebute pas et ne l’empêche pas de poursuivre sa tentative. Au cours de cet entretien exclusif dans la capitale française, il a évoqué pour la première fois des faits non encore dévoilés et ignorés du public. |
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A la question: Qu’attendez-vous du nouveau régime?, cheikh
Amine répond: “Tous les Libanais ont fondé de grands espoirs,
dès son élection, sur le président Emile Lahoud, à
qui je souhaite le succès dans sa mission autant dure que difficile,
pour ne pas dire impossible. Il aura à affronter bien des défis
et échéances, parce qu’il a hérité du précédent
régime d’un legs lourd. Et ce, en plus des séquelles de la
longue guerre qui a laissé ses empreintes sur tous les aspects de
la vie politique. L’appui extraordinaire dont il bénéficie
lui facilite la réalisation du sauvetage souhaité. Je crois
que le peuple libanais attend avec impatience que soient atteints trois
objectifs: Primo, la réconciliation des Libanais les uns avec les
autres et avec leur Etat. Le peuple est prêt à cette initiative,
après avoir expérimenté les drames de la division
et des massacres dont nul n’a échappé. Secundo, la consolidation
des relations libano-syriennes qui ont besoin d’un traitement en profondeur.
La confiance mutuelle existant entre les responsables des deux pays, doit
rassurer la Syrie quant aux bonnes intentions du Liban à son égard,
au plan de sa sécurité et de ses intérêts stratégiques.
De plus, elle aide le Liban à recouvrer sa souveraineté absolue
et son indépendance totale. Ceci est le plus grand garant pour l’établissement
de relations privilégiées et la coordination stratégique
entre les deux pays à court et long termes. Seules les relations
basées sur la confiance et la conviction sont appelées à
durer. Tertio, l’affrontement des catastrophes économiques et financières
léguées par le précédent régime, résultant
des dépenses non naturelles, de la corruption illimitée et
de l’endettement suicidaire dont les gens commencent à ressentir
les conséquences nocives au triple plan national, financier et de
la vie quotidienne.
“Le peuple libanais attend du président Lahoud qu’il redonne
l’espoir aux jeunes quant à leur avenir dans leur pays. Ils veulent
la concrétisation d’un projet national autour du rôle du Liban
dans son environnement et dans le monde. Ce pays qui s’est illustré
par ses prestations dans tous les domaines, a besoin d’une philosophie
et d’une doctrine susceptibles de le ramener à l’avant-garde des
Etats évolués. Si le Liban perd son rôle mondial, il
se perd en même temps que son avenir. Au cours des dix dernières
années, l’Etat s’est préoccupé de reconstruire la
pierre, aux dépens de l’homme. Le moment est venu de donner au citoyen
libanais son droit, surtout la nouvelle génération, après
que la guerre eut ébranlé ses convictions et annihilé
son esprit génial.”
- Quel est le secret de votre présence dans les médias?
“Votre question comporte deux volets: le premier d’ordre général,
porte sur ma présence médiatique; le second est personnel,
en rapport avec le sujet de mon retour. Par rapport à ma présence
médiatique, c’est le cas de tout homme œuvrant dans le domaine public
et engagé dans une ligne nationale qu’il défend, quelles
que soient les difficultés à surmonter. L’information audiovisuelle
et écrite est l’intermédiaire entre l’homme politique et
l’opinion publique. Je resterai présent dans l’information locale
et internationale, tant que je garde la foi dans la cause libanaise, toujours
engagé à la défendre quels que soient les sacrifices
à consentir et les périls à affronter. “Au début
fut le verbe”, dit l’Evangile. Mes propos sur la cause libanaise sont authentiques
et méritent toute cette épreuve. Mon exil volontaire révèle
que certains personnages influents craignent de faire face à la
vérité et redoutent quiconque la propage. Cela indique qu’en
dépit de mon éloignement du pays, mon discours national traduit
encore les aspirations, les sentiments et les ambitions des gens et c’est
ce qui dérange. “
- Quand et comment avez-vous décidé de revenir au
pays?
“La question de mon retour était dans mon esprit dès
l’instant de mon départ du pays. Ma patrie n’a quitté à
aucun moment ma pensée et mon cœur. J’ai œuvré maintes fois
en vue de la rentrée, mais les circonstances n’avaient pas encore
mûri. Comme je l’ai déjà mentionné, les responsables
craignaient l’opposition chrétienne juste, autant que l’affrontement
de la vérité et du droit. La blessure de la patrie reste
ouverte et ne se cicatrisera pas tant que l’Etat pratique l’exil politique.
J’ai espéré et attendu beaucoup depuis l’élection
du président Emile Lahoud. Je compte sur ce régime pour qu’il
soit mis un terme à l’effondrement effroyable vers lequel s’acheminent
la situation, les institutions et l’Etat libanais. Je considère
que ce régime peut sauver le Liban ou, tout au moins, lui permettre
de mieux suivre les développements et les échéances
régionaux. Ce que je crains le plus, c’est que les entraves et les
menaces directes ayant empêché, dernièrement, mon retour,
s’inscrivent dans le cadre du plan visant à neutraliser ce régime.
J’avais précisé au président Lahoud et à toutes
les personnes concernées, que mon retour s’effectue avec un cœur
ouvert et une main tendue. Tout ce qui m’intéresse est l’intérêt
national qui exige notre présence aux côtés du chef
de l’Etat, pour le soutenir aux fins de réaliser les rêves
et les ambitions du peuple libanais dont l’attente a trop duré.
De toute façon, je reviendrai au Liban et prochainement, s’il plaît
à Dieu. J’ai la nostalgie du pays et j’ai hâte de revoir mes
parents et mes amis.”
- Que s’est-il passé, au juste, par rapport à votre
retour?
“Dès l’élection du président Lahoud, ses prises
de position et ses déclarations m’ont rassuré. Puis, il y
a eu entre nous une communication téléphonique à la
faveur de laquelle je lui ai présenté mes félicitations.
Notre entretien a été cordial et tout cela m’a tranquillisé
quant aux intentions du nouveau régime et à son projet national.
Par la suite, des contacts ont été effectués par le
canal d’amis communs qui ont transmis un message de cordialité et
d’ouverture. J’ai considéré que le moment était venu
pour moi de rentrer au pays et de mettre mon expérience à
la disposition du nouveau régime. J’ai, alors, pris la décision
que je souhaitais prendre depuis longtemps; celle de la rentrée.
J’ai contacté l’ambassadeur libanais à Paris, Naji Abi-Assi
et émis le souhait de le voir transmettre aux présidents
Lahoud et Hoss un message verbal où je faisais part de ma décision
de revenir au Liban dans un climat d’ouverture et de coopération.
J’ai précisé au président Lahoud que je ne déterminerai
mes démarches suivantes et n’entreprendrai aucune initiative avant
de le rencontrer, partant de mon souci de ne pas l’embarrasser avec le
chef du gouvernement.
“Par rapport à l’attitude syrienne qu’on doit prendre en considération
dans la conjoncture, j’ai jugé préférable de traiter
la question à travers la légalité libanaise. Ma position
à ce sujet n’a pas changé, car j’estime nécessaire
de parvenir à une entente entre le Liban et la Syrie, susceptible
de servir l’intérêt des deux pays, tout en préservant
la souveraineté et la spécificité de chacun d’eux.
“Le lendemain, l’ambassadeur Assi m’a informé que le message
était parvenu aux présidents Lahoud et Hoss. En même
temps, il m’a fait état des préparatifs au plan protocolaire
entrepris par le ministère des Affaires étrangères
pour m’accueillir à l’aéroport de Beyrouth. Sur cette base,
j’ai déterminé les détails du voyage et avisé
certains amis parmi les ambassadeurs arabes et étrangers de ma décision
de rentrer au Liban; tous ont fait montre de compréhension à
ce sujet. Cependant, quelques heures avant l’heure fixée pour mon
retour, exactement dans la nuit du jeudi 10 décembre, j’ai reçu
un appel téléphonique de l’ambassade du Liban où le
consul général m’a transmis, à la place de l’ambassadeur
qui se trouvait en mission en dehors de Paris, un message succinct mais
très clair où il était dit dans le premier paragraphe:
“Aucun grief n’est retenu contre le président Gemayel du point de
vue financier et matériel”; mais, y était-il ajouté;
“le président Gemayel a eu des contacts avec des Israéliens
et ce fait est du ressort de la justice. Or, le pouvoir et le gouvernement
ne s’immiscent pas dans les affaires judiciaires”. Ceci tient lieu de menace,
si on lit avec précision la teneur du message de minuit, émanant,
apparemment, du secrétaire général du ministère
des Affaires étrangères, le Dr Zafer el-Hassan, lequel m’a
conseillé avec sa dextérité habituelle, de patienter
et de ne pas précipiter mon retour, sinon je pourrais m’exposer
à des menaces et des mesures vexatoires. Le lendemain, j’ai contacté
MM. Adnan Addoum, procureur général près la Cour de
cassation et Nasri Lahoud, procureur général militaire. Tous
deux ont nié l’existence d’aucun dossier, ni d’aucune plainte en
rapport avec ce sujet ou d’une poursuite auprès de la Justice libanaise.
Ce fait suscite l’inquiétude; il montre que cette accusation est
d’ordre politique et qu’il ne s’agit pas d’une accusation judiciaire. De
toute façon, je traite ma blessure moi-même, ma famille s’étant
habituée aux épreuves et aux périls. Cependant,
l’affaire concerne l’Etat, car interdire mon retour au pays en tant qu’ancien
président de la République ou en tant que citoyen ordinaire
constitue un point sombre pour le nouveau régime, autant qu’un indice
négatif au double plan diplomatique et économique.”
TROIS OBJECTIFS SONT À ATTEINDRE: LA
RÉCONCILIATION, LA CONSOLIDATION
DES RELATIONS AVEC DAMAS ET L’ASSAINISSEMENT
DE L’ÉCONOMIE
- Auriez-vous visité l’ambassade d’Israël à Paris
pour présenter les condoléances à la suite de l’assassinat
de Yitzhak Rabin?
“Je souhaite que cette image apparaisse ou tout au moins qu’on donne
une preuve pour la corroborer. J’affirme d’une manière catégorique
que je n’ai visité l’ambassade d’Israël, ni à cette
occasion, ni en aucune autre circonstance. Quoi qu’il en soit, nul ne pouvait
me donner des leçons de nationalisme et d’arabisme durant mon mandat,
malgré les difficultés auxquelles le pays se trouvait en
butte de l’intérieur et de l’extérieur. J’ai rejeté
les propositions israéliennes et affronté tous les gens,
partant de ma conviction quant à l’intérêt libanais
et à l’arabité du Liban. Fait étrange: certains de
ceux qui propagent aujourd’hui ces accusations, étaient acquis à
l’option israélienne au Liban. On m’avait taxé, alors, de
trahison pour avoir refusé de ratifier l’accord du 17 mai 1983 avec
Israël, après avoir eu la certitude qu’il porte préjudice
aux intérêts arabes du Liban. A cause de cette attitude, Israël
et ses agents m’avaient menacé de tous les malheurs. Il a paralysé
mon régime et l’avenir de mon pays; je ne cesse d’en payer le prix.”
Interrogé sur le point de savoir si la décision de son retour
serait en rapport avec les élections de la présidence des
Kataëb, le président Gemayel répond par la négative,
rappelant que cette décision avait été prise
depuis son départ du Liban en 1988. Puis, elle avait été
relancée sous le mandat du président Elias Hraoui. Celui-ci
ayant appelé les opposants à réintégrer
le pays natal, le président Gemayel avait contacté le palais
présidentiel et il lui était apparu, à l’époque,
que cette invitation de M. Hraoui était de caractère médiatique,
sans plus. “Ma rentrée au Liban, affirme l’ancien chef de l’Etat,
n’est liée à aucun événement ni à aucune
échéance. Au contraire, je considère comme non naturelle
ma présence en dehors du pays et porte préjudice à
son intérêt. En ce qui concerne les Kataëb, je suis soucieux,
naturellement, de ce parti et me préoccupe de son avenir, à
partir de l’intérêt national, car le parti est une nécessité
nationale ayant joué un rôle d’avant-garde dans toutes les
étapes de l’Histoire du Liban contemporain. Mon objectif est
d’amener le parti à reprendre sa position naturelle sur la scène
et il n’est pas nécessaire que j’en assume la présidence.
Parmi les camarades existent bien des éléments aptes à
prendre en charge la responsabilité de la présidence à
l’heure actuelle; je suis prêt à les soutenir sans limites.”
- Auriez-vous un candidat à la présidence du parti?
“Je n’ai aucun candidat et tous les camarades sont égaux même
si, parfois, nous sommes en désaccord sur certains sujets. Nous
restons les fils de la même institution et les compagnons du président
fondateur, cheikh Pierre Gemayel. Je souhaite que le collège électoral
s’élève au-dessus des considérations d’ordre personnel
et mette une sourdine aux susceptibilités, aux complexes, aux impulsivités
et aux égocentrismes.”
- D’aucuns vous accusent d’avoir négligé l’enquête
sur l’assassinat de votre frère: est-ce exact et qui a perpétré
l’attentat contre lui?
“Il est stupide de soutenir que j’ai négligé l’enquête.
Il faut interroger sur cette affaire M. Saïd Mirza, magistrat instructeur,
qui a pris en main les investigations. C’est l’un de nos meilleurs juges
et il dispose d’éléments permettant d’identifier les planificateurs,
les instigateurs de l’attentat et ses exécutants. M. Mirza est parvenu
à des résultats importants. A vrai dire, les propos tenus
à mon sujet ont été propagés à l’occasion
de la fuite de Habib Chartouni, assassin de Bachir, de la prison de Roumieh
le 14 octobre 1990. Fait regrettable: certains de ceux qui ont propagé
ces rumeurs tendancieuses, étaient de la maison. Au lieu de réclamer
des comptes à l’Etat dont ils étaient très proches
à propos de la fuite de Chartouni; de demander aux organismes qualifiés
d’arrêter le criminel et de châtier tous ceux qui ont été
complices dans l’odieux attentat et ont fait fuir l’assassin de prison;
au lieu de tout cela, ils ont détourné l’attention des gens
vers le frère de la victime, sous prétexte qu’il est le coupable.
C’est un plan diabolique et le plus beau cadeau offert aux planificateurs
de l’attentat, à leurs complices et alliés qui se déplacent
sans être inquiétés partout au Liban. Il est déplorable
de constater que tous les critères ont été inversés
ces temps-ci et les criminels accusent maintenant la victime d’avoir commis
le meurtre; ainsi, en toute simplicité. Ah! si le Liban pouvait
aller jusqu’au bout des enquêtes et des procès dans tous les
crimes politiques, tels ceux de Kamal Joumblatt, du mufti Hassan Khaled,
de Mohamed Choucair, René Mouawad, etc... De toute manière,
bien des faits demeurent ambigus dans l’affaire de Bachir et dans d’autres
encore. Je ne peux dévoiler tant de secrets, ni rien dire des secrets-bombes
maintenant, mais lorsque les faits s’éclairciront, je dirai tout.
A ce moment, les masques et des têtes tomberont; il sera possible
de dénoncer ceux qui versent des larmes de crocodile.”
- Certaines gens vous auraient dit le jour de l’élection
de cheikh Bachir à la présidence de la République,
que votre frère ne prendrait pas en charge ses fonctions officielles.
Est-ce exact?
“La candidature de Bachir à la magistrature suprême a
suscité une vague d’appui et d’enthousiasme auprès d’une
catégorie de Libanais et la colère auprès d’une autre
catégorie qui a juré de se venger. Un climat d’inquiétude
et d’angoisse planait sur les membres de la famille, d’autant que l’un
de nos neveux, Amine Assouad avait été assassiné;
puis, Maya, la fille de Bachir. Des menaces nous parvenaient en permanence.
Le fait le plus étrange est ce qu’une sexagénaire devineresse
a prédit durant la guerre. Plusieurs de ses prédictions se
sont avérées justes, dont mon élection à la
présidence en 1982. Lorsque Bachir m’avait fait part de son intention
de poser sa candidature à la magistrature suprême, je lui
ai dit que les circonstances ne se prêtaient pas à ce que
l’un de nous: mon père, lui et moi-même brigue cette haute
charge, les choses n’ayant pas encore mûri, la situation du pays
ne pouvant favoriser l’accession d’un Gemayel à la présidence
de la République... Mais si tu ne partages pas mon avis, je me tiendrai
à tes côtés et considérerai ta bataille comme
étant la mienne. Dans ce cas, j’annoncerai ta candidature, personnellement,
à partir de la “Maison du futur”, afin d’affirmer l’unité
de la famille et, partant, de prévenir les manigances des pêcheurs
en eau trouble. Il en a été ainsi. Quant à ma candidature,
elle émanait de circonstances difficiles connues à l’époque
et de l’unanimité parlementaire sans égale. En dépit
de cela, les forces du mal ne m’ont pas épargné, ni les tentatives
d’assassinat auxquelles j’ai échappé chaque fois par miracle.”
- A votre avis, le Dr Samir Geagea peut-il être impliqué
dans l’assassinat de cheikh Bachir?
“L’enquête officielle a dévoilé l’identité
des planificateurs et des exécutants et rien n’indique que Samir
avait trempé dans l’affaire. La propagation de telles allégations
ont pour but de camoufler la vérité. Malheureusement, l’Etat
se désintéresse de cette affaire, comme si elle ne la concernait
pas.”
JE N’AI VISITÉ L’AMBASSADE D’ISRAËL
À PARIS EN AUCUNE CIRCONSTANCE
- Quelle est la vérité sur la visite de cheikh Bachir
à Naharia: aurait-il demandé à s’y rendre ou bien
l’y ont-ils invité?
“La visite a été organisée par Ariel Sharon après
l’élection de Bachir à la présidence de la République.
Ils ont demandé à rencontrer le président élu
et Bachir a jugé préférable de tenir la rencontre
à la frontière libano-israélienne, loin de tout tapage
médiatique. La rencontre avec Begin a eu lieu au village de Naharia.
Bachir s’y est rendu sans aucun complexe, persuadé qu’il est de
l’intérêt du Liban que l’armée israélienne évacue
notre territoire dans le plus bref délai, sur la base d’arrangements
de sécurité servant les intérêts des deux parties,
sans porter préjudice aux relations libano-arabes. Bachir s’était
préparé, au plan libanais à ce dialogue, en conférant
au préalable avec le président Saëb Salam en présence
du président Sarkis. Au cours de son entretien avec le président
Salam et le général Mohamed el-Kholi, émissaire du
président Hafez Assad au palais de Baabda, Bachir a affirmé
avec fermeté et conviction, que son option était l’unité
du Liban et son arabité; qu’il ne signerait pas un traité
séparé avec Israël et que son premier gouvernement serait
un Cabinet d’union nationale au sein duquel la participation et l’égalité
seraient assurées. Au terme de cette rencontre, le président
Salam a exprimé sa satisfaction des prises de position du président
élu et sa disposition à l’appuyer et à coopérer
avec lui. Bachir était déterminé à exposer,
dès le début, ses intentions à Begin et à asseoir
les relations entre les deux parties sur la base des constantes libanaises,
auxquelles on ne pouvait renoncer à n’importe quel prix et quelles
que seraient les conséquences. Dès le début de la
réunion, sont apparues les prémices des divergences et des
antagonismes entre les deux parties. Alors que Begin demandait l’amorce
des négociations en vue de la signature d’un traité de paix
avec Israël, la position de Bachir était ferme, en ce sens
qu’il réitérait son attachement aux constantes libanaises,
disant qu’il ne prendrait aucune décision avant la mise sur pied
d’un Cabinet d’union nationale, lequel assumerait la responsabilité
des négociations avec l’Etat hébreu. Begin était vivement
contrarié et ne savait pas comment contenir son désappointement.
En fait, il ne s’attendait pas à ce que Bachir tienne ce langage,
car il considérait l’armée israélienne comme ayant
remporté la victoire et, de ce fait, avait le droit d’imposer la
paix à ses propres conditions. La réunion n’a pas duré
longtemps et la brèche entre les deux hommes a éclaté
au grand jour. Ils se sont séparés dans une atmosphère
survoltée. Telle est la vérité de la rencontre. Les
procès-verbaux consignant les discussions révèlent
à ceux qui doutaient des prises de position de Bachir, que mon frère
avait un sens aigu de l’intérêt libanais, était attaché
à l’unité nationale et aux relations libano-arabes.
- Si vous retournez à Beyrouth, vous allez sans doute vous
adonner à la politique. Avez-vous l’intention de conclure une alliance
avec Walid Joumblatt?
“Le mot alliance ne me séduit pas; il est préférable
d’utiliser le terme entente, car il est de l’intérêt du pays
qu’une telle entente soit scellée, du moins autour de questions
élémentaires et vitales. Puis, les questions qui nous rapprochent
sont plus nombreuses que celles qui nous divisent. On a pris l’habitude
dans la politique libanaise, de mêler les questions marginales de
peu d’importance, d’une part, avec les questions nationales essentielles,
d’autre part. Nous nous querellons, en général et avec férocité,
sur des questions secondaires, comme si elles étaient la base, alors
que nous ignorons les questions fondamentales qui nous rassemblent. Un
retour à l’Histoire ancienne et contemporaine, montre que les dissensions
étaient provoquées le plus souvent par des questions superficielles,
sur l’instigation et l’encouragement d’Etats et de forces étrangers.
“Etant donné que vous citez le nom de Walid bey, je le classe
parmi les leaderships libanais avec lesquels nous devons parvenir à
des dénominateurs communs qui sont nombreux. Puis, ma relation personnelle
avec Walid bey a été, en dépit de tout, amicale. Je
lui ai rendu visite, une fois, en sa résidence à Furn el-Hatab
et il est venu chez moi plus d’une fois à Baabda ou à Bickfaya
durant ma présidence. Notre entretien a été toujours
positif et constructif. De même, j’ai tenu plus d’une réunion
avec des responsables de son parti et avons discuté de grandes questions
nationales et stratégiques autour desquelles les vues ont été
concordantes. Cependant, les circonstances et les pressions de toutes sortes,
ne nous ont pas permis d’atteindre les objectifs communs. Je me rappelle
du jour où j’attendais Walid bey à Bickfaya; j’avais reçu
des renseignements selon lesquels il avait prononcé un discours
le matin à Hammana devant les membres du PSP, dans lequel il m’avait
décoché des critiques acerbes. Avant d’arriver à mon
domicile, mon épouse l’a croisé en chemin et l’a blâmé
pour les propos qu’il avait tenus contre moi. Et Walid bey de lui répondre:
“Est-il nécessaire de prendre au sérieux toutes mes déclarations?”.
La conversation avec lui ne devait rien perdre ce jour-là, de sa
franchise et de son positivisme. Il reste que l’accord autour du sujet
de la montagne est fondamental, parce qu’il est le prélude à
l’entente globale et à la réconciliation nationale.”
LE JUGE MIRZA DISPOSE D’ÉLÉMENTS
PERMETTANT
D’IDENTIFIER LES INSTIGATEURS DE L’ASSASSINAT
DE BACHIR
- Quel est le sort du Liban-Sud et pensez-vous que Netanyahu pourrait
se montrer sage?
“Le sort du Sud est en suspens: il est à la merci des convoitises
et des passions, tout en étant tiraillé par des stratégies
régionales antagonistes. Le plus dangereux est que l’administration
libanaise est quasi-absente. Il n’est pas logique que toutes les frontières
arabes avec Israël soient pacifiques ou tout au moins calmes, alors
que les frontières libano-israéliennes sont explosives aux
dépens de la sécurité, de la tranquillité et
du bien-être de notre peuple dans la région méridionale.
Notre peuple s’interroge chaque jour sur le sens et l’utilité de
tant de sacrifices, d’autant que tous les Arabes, y compris le Liban et
la Syrie, ne cessent de négocier avec Israël autour de la paix
souhaitée. Le drame de notre peuple au Sud constitue une énigme
qu’aucune raison ne comprend et qu’aucune conscience ne tolère.
Nous sommes tous favorables à des relations privilégiées
avec la Syrie et à une coordination stratégique avec elle
face à l’Etat hébreu. Nous souhaitons que le rôle du
Liban soit plus présent et efficace au plan de la négociation.
Pour en revenir au Sud, nous devons en tant que Libanais, poser de nouvelles
idées, évoluées et géniales pour traiter le
problème de cette région et alléger les épreuves
de ses populations. Cela est possible sans causer du préjudice aux
intérêts de la Syrie. Nous ne réclamons pas une paix
séparée, mais l’occasion est maintenant propice à
un arrangement provisoire restreint au Sud, en accord avec Damas. Surtout
après qu’Israël eut émis le désir d’appliquer
la résolution 425, ce que les gouvernements libanais successifs
ne cessent de réclamer.”
- Qu’en est-il de vos relations avec le Parti social national syrien?
“Au plan personnel, des relations d’amitié nous lient à
certains responsables du PSNS et à leurs familles. Ainsi, Mme Nidal
Achkar est l’amie intime de ma sœur Arzé depuis le temps du collège.
Nidal est la fille d’Assad Achkar, ancien président de ce parti
dont elle est une militante. Puis, lorsque les dirigeants du PSNS avaient
été emprisonnés à la suite du coup d’Etat manqué
contre le président Fouad Chéhab en 1961, mon père
qui était, alors, ministre de l’Intérieur, fit face au Deuxième
Bureau et à ses procédés, en vue d’améliorer
leurs conditions de détention en les faisant bénéficier
du statut de prisonniers politiques. Ensuite, il a été l’un
des premiers à réclamer leur amnistie. De plus, mon oncle,
cheikh Maurice Gemayel, a assumé la défense d’Antoun Saadé,
leader du PSNS, quand il a été incarcéré et
jugé sous l’inculpation d’avoir comploté contre l’Etat. Dans
les années soixante-dix, durant la guerre, j’ai fait tout ce qui
était en mon pouvoir pour rassurer et protéger les familles
proches du parti ou sympathisant avec lui au Metn, bien que la crispation
à l’époque avait dépassé les limites du raisonnable.
Au plan politique, il ne fait pas de doute qu’une grande divergence et
un antagonisme nous séparent, mais cela ne nous a pas empêchés
d’être dans la même tranchée en 1958 et d’engager un
dialogue constructif et réaliste dans les années soixante,
sous la direction de cheikh Maurice Gemayel et Assad Achkar. Le dialogue
s’est arrêté à cause de leur décès. Puis,
la guerre libanaise nous a surpris et le conflit s’est attisé au
plan national. Les circonstances ont changé maintenant, de même
que le style et les aspirations des deux partis ont évolué.
Le dialogue pourrait s’engager entre nous, parce que les éléments
sur base desquels on peut le reprendre ont mûri. L’intérêt
du pays exige l’entente sur la limite minima et cela est possible.”
- Le jour où vous avez accédé à la présidence
de la République, auriez-vous établi quelque contact avec
Israël?
“Lors de mon élection, l’armée israélienne occupait
maintes régions libanaises et Beyrouth. C’était la première
fois que cette armée occupait une capitale arabe. Elle n’a pénétré
aucun jour ni à Amman, ni au Caire, ni à Damas. Israël
n’était pas enthousiaste pour ma candidature aux présidentielles
et le général Sharon, son ministre de la Défense à
l’époque, n’avait pas caché ses sentiments hostiles à
mon égard. Avant de quitter le palais de Baabda après la
passation des pouvoirs, le président Elias Sarkis m’avait informé
que le gouvernement avait souscrit à une initiative américaine
entreprise par le président Reagan par l’intermédiaire de
son émissaire, Philip Habib (en coopération avec le président
Saëb Salam), Habib ayant joué alors le rôle de médiateur
entre Israël et l’OLP. Les pourparlers avaient abouti à un
accord en huit points dont voici les plus importants: retrait du commandement
de l’OLP du Liban avec ses infrastructures; retrait de l’armée syrienne
de Beyrouth; formation d’une force multinationale comprenant des contingents
américain, français, italien et britannique, ayant pour tâche
de maintenir la sécurité au Liban, en attendant le commencement
des négociations avec Israël par l’intermédiaire de
l’Amérique, à l’effet de déterminer les conditions
de l’évacuation des Israéliens de notre territoire. Cela
avait eu lieu le 23 septembre 1982. En prenant en charge mes fonctions,
j’ai informé MM. Habib et Salam de mon acceptation des termes de
la solution et adressé au président Reagan un message pour
le remercier de son initiative et de ses efforts, tout en lui exposant
les trois principes de base de mon régime:
1) Oeuvrer en vue de recouvrer la souveraineté du Liban, son
indépendance complète sur l’ensemble du territoire national;
2) raffermir l’unité nationale dans le cadre d’un système
démocratique équilibré;
3) renforcer la solidarité entre le Liban et les Etats arabes
frères quel qu’en soit le prix. Je me suis attaché à
ces principes jusqu’au dernier jour de mon sexennat; je n’ai pas changé.
L’expérience a révélé que le complot dont le
Liban a été l’objet depuis le début des années
soixante-dix, n’a pas encore pris fin; que tous ces principes: souveraineté,
unité, liberté et arabisme restent interdits au Liban. Et
c’est là le fond du problème.”
- Quelle est la vérité à propos de la non-ratification
de l’accord du 17 mai?
“Partant des constantes que j’ai citées et de l’accord en huit
points élaboré par Philip Habib, nous avons entamé
des négociations avec Israël, en vue d’obtenir son retrait
de notre territoire. L’Etat hébreu insistait, alors, en vue de la
signature d’un traité de paix avec le Liban. Notre réponse
était que cela constituait une menace à notre unité
et à la solidarité interarabe. Après une longue et
difficile tractation, grâce à la médiation américaine
et à l’appui arabe, notamment le soutien séoudien, en la
personne de S.M. le roi Fahd, “Serviteur des deux saintes mosquées”,
nous sommes parvenus à un accord minima susceptible de sauvegarder
l’avenir national. Cependant, le jour de la signature, Israël nous
a surpris en posant de nouvelles conditions non mentionnées précédemment
et en insistant pour les inscrire en tant que partie intégrante
de l’accord.
“La délégation israélienne a exhibé un
document comportant trois conditions nouvelles:
1) retrait militaire simultané syro-israélien du Liban;
2) prise en charge par l’armée israélienne des prisonniers
détenus par l’OLP;
3) livraison des dépouilles des soldats israéliens tués
en territoire libanais. La partie israélienne refusait de se retirer
tant que ces conditions n’étaient pas satisfaites. Il s’agissait
de conditions rédhibitoires que le Liban ne pouvait admettre, tout
au moins dans un futur prévisible. Nous avons considéré,
alors, que le document israélien avait pour but de torpiller l’accord.
J’étais perplexe, d’autant que les Etats-Unis exerçaient
des pressions pour nous amener à signer. George Schultz, ministre
US des Affaires étrangères, m’a dit que Washington insistait
pour l’application de l’accord. En vue de me rassurer, il a ajouté
que l’Amérique et l’Arabie séoudite étaient en contact
avec la Syrie qui se persuadera de l’utilité dudit accord, unique
voie pour libérer le Liban. Craignant de perdre l’accord et Washington
à la fois, j’ai eu recours à une solution “à la libanaise”
consistant en ce que le Liban approuve l’accord à une double condition:
Primo, joindre à l’accord une lettre pareille à celle d’Israël,
liant l’application de ce dernier au retrait israélien total du
territoire libanais. Secundo, amener les Etats-Unis à se solidariser
avec le Liban, en vertu d’une lettre écrite du président
Reagan souscrivant aux deux conditions. Ainsi, nous avons sauvegardé
la totalité de nos droits, sans perdre le soutien de Washington
qui est resté solidaire avec nous. Trois lettres libanaise, américaine
et israélienne ont été jointes à l’accord du
17 mai et ont été considérées comme partie
intégrante de ce dernier. Lorsqu’Israël a refusé de
se retirer, en vertu de l’accord initial, l’Amérique n’ayant pu
faire admettre les nouvelles conditions qui y étaient consignées,
l’accord est devenu caduc. Je crains que l’expérience se réitère,
aujourd’hui, entre l’OLP et Israël, après les accords d’Oslo
et de Wye Plantation.”
LE COMPLOT DONT LE LIBAN A ÉTÉ
L’OBJET
DEPUIS LES ANNÉES 70 N’A PAS ENCORE
PRIS FIN
- Qu’en est-il de l’offre que le président Rafic Hariri vous
aurait faite pour quitter la présidence, en contrepartie d’une importante
somme d’argent ou de sa nomination en tant que président du Conseil?
“Ce sont des faits exacts. Rafic Hariri m’a proposé une offre
de cette nature par l’intermédiaire de l’ambassadeur Abdallah Habib
et de l’ami commun, Khaled Khodr Agha. Il visait par là à
assurer l’élection d’un chef de l’Etat qui lui serait acquis et
lui confierait la mission de former le Cabinet. Il croyait ainsi faire
d’une pierre deux coups. Quand il a réalisé qu’Amine Gemayel
ne pouvait pas accepter une pareille offre, Hariri a retiré sa proposition.
Malheureusement, M. Hariri traite la chose publique, de la même manière
qu’il traite ses affaires commerciales, croyant que tout peut se vendre
et s’acheter; même l’honneur des gens et leur dignité. Cette
affaire n’a pas été mon unique expérience avec lui.
Il est de notoriété publique que tous les “princes de la
guerre libanaise” touchaient une somme mensuelle de lui durant tout le
temps qu’ont duré les douloureux événements. Surtout
dans les années quatre-vingts au cours de mon mandat, ce qui a contribué
d’une façon fondamentale à paralyser les institutions officielles
au profit des milices. Ceci a eu pour conséquence de prolonger la
guerre et d’aggraver la dimension des destructions et des massacres. Lorsque
les circonstances le permettront, je parlerai longuement de cette étape
dans laquelle Hariri s’est impliqué.”
- On dit que le président Elias Sarkis vous a remis plusieurs
millions de dollars représentant le montant d’une aide séoudite
et que vous en avez disposé pour votre compte personnel...
“Quand je suis entré en fonctions, le montant des sommes reçues
à titre d’assistance, dépassait de loin celui auquel vous
faites allusion. Ainsi, cheikh Zayed, chef de l’Etat des émirats
arabes
unis, nous a offert un million et demi de dollars environ; de même
que certains Libanais émigrés. Le gouvernement américain
a livré des équipements nécessaires au palais présidentiel.
“N’oubliez pas que j’ai pris en charge un Etat en ruines et l’armée
israélienne occupait la capitale en 1982, année de mon élection.
Les Israéliens avaient détruit une grande partie de nos infrastructures
dans différentes régions.
“Dans le même temps, les caisses de l’Etat étaient vides
et j’ai honte de mentionner le montant des crédits affectés
à la présidence de la République, notamment les indemnités
du chef de l’Etat. Les prévisions budgétaires du palais de
Baabda n’ont pas changé depuis le mandat du président Frangié,
en dépit des revers subis au cours des dernières années
par la monnaie nationale.
“Avec nos faibles moyens, nous devions traiter de questions urgentes,
en engageant des dépenses que l’Etat ne pouvait pas couvrir. Sans
oublier les frais nécessités par les déplacements
de nos représentants à l’étranger. C’est pourquoi,
nous avons puisé dans l’aide des Etats frères et amis et
j’ai veillé à effectuer les dépenses selon une parfaite
transparence, celles-ci étant engagées par l’intermédiaire
des organismes qualifiés.”
- Qu’auriez-vous à dire du soulèvement des jeunes
universitaires qui ont investi le village d’Arnoun et l’ont débarrassé
de la clôture de fils barbelés installés par l’armée
israélienne?
“Le Liban tout entier est fier de l’action héroïque accomplie
par les jeunes Libanais qui ont affronté l’occupation israélienne
au Liban-Sud. Cet éveil national ramène l’espoir dans les
âmes, quant à la possibilité pour le Liban de recouvrer
sa souveraineté et, pour le peuple libanais, sa dignité.
Cela ravive la confiance parmi les citoyens et les incite à consentir
plus de sacrifices en vue de la libération du territoire.
“Mais cela ne suffit pas, si de telles actions héroïques
ne sont pas accompagnées d’initiatives diplomatiques de la part
de l’Etat. Israël est, aujourd’hui, perplexe et le monde entier a
les yeux fixés sur nous: c’est une occasion en or pour contraindre
l’Etat hébreu à évacuer nos terres, en accord avec
la Syrie et pour soulever le dossier du Sud dans les instances internationales.”
“La Revue du Liban”
- Paris