COMMENT RÉSOUDRE LE PROBLÈME
DES ENFANTS DE LA RUE?
Qu’ils
soient cireurs de chaussures, trieurs d’ordures, “parking boys”, mendiants
ou vendeurs, garçons et filles, sans égard à leur
âge précoce, ils sont livrés à eux-mêmes.
On les voit, quotidiennement, aux ronds-points Chevrolet, Hayek, Dora,
à la corniche de Mazraa et un peu partout, en groupe ou dispersés,
hélant passants et conducteurs, suppliant pour quelques pièces
de monnaie ou proposant du menu fretin. A l’âge où ils devraient
aller à l’école et se préparer à une vie d’adulte
digne et productive, ils sont astreints soit à la mendicité,
soit au travail. Enfants de la rue ou enfants-travailleurs, ils subissent,
inéluctablement, les formes les plus hideuses et perverses de l’exploitation.
Abusés, violentés, vendus, achetés ou échangés,
ils survivent marqués à jamais par les stigmates physiques
et psychologiques des mauvais traitements. Qui sont ces enfants? D’où
viennent-ils? Pourquoi sont-ils dans la rue? Quelle autorité répond
de leur situation? Est-ce le résultat de l’absence d’une véritable
politique sociale au Liban?
“La Revue du Liban”, dans une tentative de cerner le problème, a essayé de répondre à ces questions. |
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QUI SONT LES ENFANTS DE LA RUE?
“Jusqu’à présent, il n’existe ni recensement ni études
concernant les enfants de la rue.
Le ministère des Affaires sociales est incapable de s’attaquer
seul à ce problème”, assure M. Georges Nehmé, président
des services sociaux. “Ce phénomène relève, également,
de la responsabilité des ministères de l’Intérieur,
du Travail et de la Justice.
“En outre, aucune démarche ne sera efficace avant l’instauration
et l’élaboration des méthodes de procédure, de la
formation d’un personnel qualifié et de cellules spécialisées;
en l’absence de centres de réhabilitation et de programmes de réinsertion.
“Déjà, ajoute Nehmé, une commission présidée
par le ministre des Affaires sociales où sont représentés
les organismes concernés, a été formée suite
à une décision du gouvernement de mettre au point une stratégie
visant à éradiquer ce phénomène. Cependant,
son travail a été un peu retardé, ce à quoi
nous essaierons de remédier.
“Aussi, le Liban a-t-il signé la convention des droits de l’enfant
en 1991. En 1994, fut instauré le Conseil supérieur de l’enfance
regroupant des représentants des différentes ONG s’occupant
des problèmes de l’enfance, les administrations et organismes officiels,
tels les ministères de la Santé et de l’Education. Et ce,
afin de préserver les droits de l’enfant (droit à la scolarisation,
à la santé).
“L’opinion publique générale est encline à penser
que la plupart des enfants de la rue sont des étrangers, affirme
Georges Nehmé. Que ce déploiement est organisé par
des mafias et des groupes d’intérêts exploitant les enfants,
ce qui est fort probable.
“Le ministère n’a ni chiffres ni données précises.
En revanche, il a signé un contrat avec un centre de réhabilitation
à Berbara (caza de Jbeil). Chaque fois que l’assistante peut convaincre
l’enfant et les parents, celui-ci suit une formation technique, après
avoir atteint quatorze ans. Le ministère déploie des efforts
continuels pour réinsérer dignement ces enfants dans la société.
Ces efforts peuvent, cependant, être stoppés si les parents
s’y opposent. On ne peut, en aucun cas, retenir un enfant contre le gré
de ses parents selon la loi libanaise.”
OPÉRATION COÛTEUSE
85% du budget du ministère des Affaires sociales sont accordés
aux cas sociaux (orphelins, handicapés, personnes âgées,
etc) admis par 244 institutions sociales, pédagogiques et techniques
disséminées au Liban.
“Puisque les ministères chargés de l’enseignement n’ont
pu jusqu’à maintenant assurer l’accès à une scolarisation
gratuite et obligatoire, ajoute M. Nehmé, le ministère a
préféré intervenir pour couper court à la délinquance.
Notre politique actuelle s’inscrit dans ce cadre. Les enfants de la rue
supposent des méthodes et des moyens fort coûteux; toute démarche
incomplète dans ce sens fait empirer les choses.
“Des institutions internationales, l’UNICEF notamment, offrent des
aides financières et techniques. Récemment, la Ligue a fait
don d’environ 50 mille dollars, à l’intention des handicapés
(accessoires). Le redressement de la situation sociale est une opération
coûteuse. Elle exige une coopération totale entre Etat, ONG
et individus, car rien ne peut être réalisé séparément.”
Pour ce qui est du travail de l’enfant, l’inspection revient au ministère
du Travail, précise M. Nehmé; l’institution délivre
le permis de travail. La commission parlementaire des droits de l’enfant,
ainsi que le ministère du Tra-vail coopèrent ensemble pour
relever l’âge minimum des enfants-travailleurs de 8 à 13 ans.
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AMENDEMENT DES TEXTES
Les clauses 22 et 23 du code du Travail ont été amendées
le 24/7/1997. L’âge minimum a été relevé de
8 à 13 ans révolus. Désormais, il est interdit d’employer
des enfants âgés de moins de 14 ans; d’employer des enfants
âgés de moins de 15 ans dans le secteur industriel, surtout
pour les travaux nocifs pour la santé. “C’est la première
action juridique introduite par le ministère du Travail, affirme
M. Moustapha Ismaïl, directeur de l’office de la main-d’œuvre, pour
éradiquer le travail des enfants, l’organiser et en fixer les normes.”
- La loi est-elle stricte-ment appliquée?
“Les instructions ont été données à cette
fin aux inspecteurs du Travail. Cependant, les enfants ayant travaillé
dès l’âge de huit ans et grandi en dehors de l’école,
que vont-ils faire? De 9 à 14 ans, cinq ans ont passé. On
est face à un double problème: on les prive de leur source
de revenu et on les pousse à la délinquance. Ce qu’on a essayé
de faire, c’est de considérer les trois années à venir
comme une période pour orienter les enfants et les inciter à
regagner les écoles, tout en interdisant aux employeurs de recruter
les enfants âgés de moins de 14 ans à partir de juillet
1996. Une inspection périodique s’assure de l’application de ces
textes.”
ORGANISER
LE TRAVAIL DES ENFANTS
- Existe-t-il une coopération avec le ministère de
l’Education, en vue d’une amélioration des textes concernant les
enfants?
“Une conférence tenue en 1997 a regroupé des ONG, le
CSA, les ministères des Affaires sociales, de l’Education et de
l’Enseignement technique, de l’Industrie, en plus du ministère du
Travail. Une commission fut alors, chargée d’appliquer les recommandations.
Elle se réunit une fois par mois pour discuter des conditions du
travail des enfants et de tout ce qui touche à l’amendement du code
du Travail en fonction de l’évolution juridique, économique
et sociale mais, aussi, en fonction des conventions internationales sur
les droits de l’enfant.
“Plusieurs projets de lois ont été présentés,
dont un est à l’étude à la Commission parlementaire
de l’Administration et de la Justice. Il amende la clause 23 en ce qui
concerne les heures de travail qui deviennent: 6 heures au lieu de 8, entre
7 et 19 heures avec interdiction de travailler la nuit.
“Aussi, sera-t-il interdit d’employer les adolescents (puisque la loi
interdit le travail au-dessous de 14 ans) pour un travail supplémentaire
(overtime), afin d’empêcher leur exploitation.
“Alors que le congé annuel des adultes est de 15 jours, il sera
21 jours obligatoires. L’adolescent en profite pour les 2/3, soit deux
semaines consécutives. Le reste sera réparti sur la longueur
de l’année.
“La commission a, en principe, approuvé ce projet. Un autre
fut aussi présenté. Il porte sur l’augmentation des amendes
sur les employeurs en cas de contraventions surtout de la loi du travail
des enfants et de l’emprisonnement en cas de récidive.”
- Le ministère du Travail possède-t-il des statistiques
sur le nombre des enfants-travailleurs?
“Jusqu’à maintenant, il n’y a que les recensements réalisés
par le ministère des Affaires sociales et l’UNDP. Cependant, le
ministère a fixé une stratégie. Une étude sera
faite sur les enfants âgés de moins de dix ans (et de 10 à
14 ans aussi). On a un projet, mais on collabore avec l’UNICEF et l’OIT
pour assurer le financement. Les résultats seront perçus
vers la fin de l’année.
“En ce qui concerne les enfants de la rue, le ministère du Travail
n’assume aucune responsabilité. Ce travail incombe au ministère
des Af-faires sociales chargé de la protection; au ministère
de la Justice, pour l’application de la loi et au ministère de l’Intérieur
chargé d’interdire le travail organisé. Résoudre ce
problème suppose l’arrestation des gangs qui sont à l’origine
de ce fléau.”
- Ne pensez-vous pas que les textes lèsent les enfants en
matière de protection? Comme le cas de Fatima el-Jassem?
“Le code du Travail n’inclut pas le travail des enfants dans les maisons
privées (clause 7). Ce secteur ne relève pas du ministère
du Travail et échappe au code du Travail. Tout, en effet, dépend
du contrat établi entre les deux parties. Cependant, le ministère
a présenté un projet de loi interdisant l’emploi d’un enfant
âgé de moins de 14 ans dans les maisons. Il lui permet, à
travers les services d’inspection, de superviser l’application du contrat,
le travail en matière de prévention et de sécurité.”
NAYLA MOUAWAD:
“LIMITER LES DÉGÂTS”
Cette faille dans la loi sera corrigée. C’est ce qu’affirme
Mme Nayla Mouawad, présidente de la Commission parlementaire des
droits de l’enfant. “J’attends, dit-elle, la prochaine séance de
la Chambre pour pré-senter une proposition de loi en ce sens. Tout
est précisé et men-tionné, de façon à
ce qu’il ne soit pas un handicap à l’épanouis-sement physique
et intellectuel de l’enfant. Une loi impose l’enseignement primaire gratuit,
mais il lui manque le décret d’application. On attend le budget
pour savoir quel agenda va présenter le gouvernement. Comment cette
loi va être appliquée, quelles sont les dispositions prises:
aug-mentation du nombre des écoles, des enseignants, des sièges,
comment les répartir, etc.”
- Même à 14 ans, n’est-ce pas tôt pour un enfant
de travailler?
“Beaucoup d’enfants sont le seul appui de leurs familles. On essaie
d’élaborer une loi applicable, de limiter les dégâts
en imposant une série de conditions, dont l’examen médical
régulier et une juste rémunération.”
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LA POLITIQUE EXIGE
UNE DIMENSION SOCIALE
Le programme d’action de la conférence d’Oslo sur le travail
des enfants, devait appeler la communauté internationale à
adopter l’initiative (20/20) qui attribue, obligatoirement, 20% des budgets
nationaux et 20% de l’aide internationale au développement et aux
besoins sociaux.
- Où en est le Liban de cette initiative?
“Il faut commencer par le “développement social”. Avec les anciens
gouvernements, j’étais dans l’opposition et l’un des grands sujets
contre lesquels je me suis dressée, est que dans les prévisions
budgétaires, il n’y avait pas une assez grande part au développement
des ressources humaines. Or, le développement économique
doit passer par le social et les ressources humaines”.
- Y a-t-il une véritable politique sociale au Liban?
“Dans la politique suivie jusqu’ici, il manquait une dimension sociale.
La politique doit avoir une vision. Comment l’appliquer et quels sont les
ordres de priorité? Au Liban, nous assistons à une popularisation
et à une anal-phabétisation croissantes. La priorité
est à l’éducation, parce que l’arme de départ à
donner à quelqu’un pour réussir sa vie, est l’accès
à l’éducation et à la culture. Les grands sommets
de la Terre à Rio, au Caire ou à Pékin ont mis l’accent
sur les problèmes quotidiens de la société.”
- Entre-temps avec les moyens existants, que peut-on faire?
“Il est évident que, dans une politique sociale, il faut faire
participer les ONG et tous les secteurs de la vie publique et sociale.
Dans toutes les conférences mondiales, il est réservé
une place énorme aux ONG et aux secteurs privés, afin de
trouver peu à peu des solutions. La responsabilité revient
à toute la société réunie.”
ATTAQUER LES MAFIAS
- On organise le travail des enfants scolarisés; mais que
fait-on de ceux de la rue?
“La première chose consiste pour le ministère de l’Intérieur
à s’attaquer aux mafias qui exploitent les enfants. Ils représentent
des dangers à tous les niveaux: manque d’hygiène, pro-pagation
de la drogue, vols etc. Ces mineurs sont utilisés, parce qu’ils
écopent des peines plus légères que les adultes. Aussi,
y a-t-il un grand risque de favoriser la pédophilie au Liban. Je
tire, régulièrement, la sonnette d’alarme.
“Contrairement à ce que tout le monde pense, beaucoup de Libanais
figurent parmi ces enfants. L’Association de la protection des mineurs
avec le juge Ghassan Rabah, a procédé à une étude
sur les contraventions payées par les enfants, parmi lesquels on
compte 60% de Libanais!”
- Il y a eu une tentative de la part du ministère de l’Intérieur
qui s’est heurtée à l’absence des centres spécialisés?
“Pour les centres de réhabilitation, il y a du progrès.
Deux centres existent à Fanar et à Baassir. Le précédent
gouvernement avait accordé 900 mille dollars pour les agrandir.
Parce qu’un mineur emprisonné avec les adultes devient un criminel.
“A Roumieh, les bâtiments consacrés aux mineurs ont été
pris par l’Armée. Cependant, on a réussi à ce que
ceux-ci aient leur propre prison. Cette dernière doit avoir une
optique de réhabilitation, une réinsertion dans la vie sociale
à travers l’enseignement d’un métier.”
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LA LOI EST COMPLÈTE...
- Et les enfants qui subissent les sévices de leurs parents
silencieuse-ment, qui les protège?
“80% des cas de violence à l’encontre des enfants sont des violences
domestiques. Plusieurs dispositions peuvent être prises dont une
sorte de “Hot Line” où un enfant pourrait se plaindre aux assistantes
sociales.
“L’Association pour la protection des mineurs pourrait se charger de
cette tâche. Aussi, dans les postes de police, doit-il y avoir des
assistantes sociales afin d’empêcher la brutalisation dans les postes.
Les juges pour enfants doivent avoir une certaine spécialisation.
Une note de service avait exigé des juges de ne pas interroger un
enfant sans la présence d’un avocat et d’une assistante sociale.
“Souvent, la loi est parfaite, mais son application ne l’est pas.
“L’âge minimum d’admission à l’emploi ne doit pas être
inférieur à celui de la fin de la scolarité obligatoire.”
Convention de base nÞ138 de l’OIT (Organisation Internationale
du Travail), établie en 1973. Basée sur le principe qu’une
paix universelle et durable ne peut être fondée que sur la
justice sociale, l’OIT œuvre, dès 1919, pour la protection des droits
fondamentaux de l’homme et de l’enfant.
Dès les années cinquante, l’OIT a établi une coopération
technique avec différents pays. Depuis 1990, elle a mis en place
quatorze équipes multi-disciplinaires en Afrique, en Asie, en Amérique
latine, en Europe Centrale et Orientale et au Moyen-Orient, qui aident
à concevoir et à mettre en œuvre les programmes de développement.
Jusqu’en 1996, 49 des 173 pays membres de l’OIT ont ratifié la convention
nÞ138.
Le Liban l’a ratifiée le 18 novembre 1991.
Cependant, toute une palette d’interventions doit s’ajouter à
la ratification, surtout l’application de ces textes. Il faut donner des
moyens aux inspecteurs du travail, mobiliser l’ensemble de la communauté,
trouver des revenus alternatifs aux familles concernées, doper les
budgets sociaux... Quelques pistes d’action concrètes sont à
suivre par le Liban pour assurer les besoins sociaux de base, afin de libérer
les enfants de la dure exploitation.
LA RÉPARTITION DE LA MAIN-D’ŒUVRE ENFANTINE SELON LES MOHAFAZATS
* Source: les chiffres de ce
tableau figurent dans le rapport sur le “travail des enfants” préparé
par l’UNICEF et le ministère des Affaires sociales. Les données
sont basées sur les chiffres de “Population and Household Survey”.
Réalisé par les Drs Najib Issa et Marwan Houry - novembre
1997.
•Aussi, d’après le même
rapport, 10% des enfants travailleurs de 10 à 13 ans sont des étrangers,
ainsi que 5% pour ceux de 14 à 17 ans. Ils sont soit des Syriens
soit des Palestiniens. Ces derniers vivent aux cazas de Saïda et Zahlé,
alors que les enfants syriens concentrent leurs activités à
Bourj Hammoud, Bourj el-Barajneh et Zahlé.
Liban: chiffres alarmants!
Selon un rapport de l’UNICEF
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Chiffres de par le monde
Ce phénomène n’est pas propre au Liban, mais s’étend
aux pays du Tiers-Monde comme dans les pays les plus évolués.
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