HASSAN NASRALLAH:
“LES ISRAÉLIENS SE RETIRERONT,
TÔT OU TARD, SANS AUCUNE GARANTIE DE L’ETAT LIBANAIS”
Rarement
on a vu un révolutionnaire aussi calme; un idéologue mû
par une telle foi, un militant jouissant d’un tel courage, un meneur d’hommes
ayant une telle sagesse, un penseur se distinguant par une pareille clarté,
un homme politique affichant une telle crédibilité et un
homme de religion traitant les problèmes et les crises avec une
telle sérénité. Rarement la pensée s’est alliée
à l’action. Sayed Hassan Nasrallah, secrétaire général
du “Hezbollah”, est à la tête d’une formation ayant inversé
les équations dans l’histoire de la région et transposé
la frayeur d’une tranchée à la tranchée d’en face,
tout en donnant au martyre en faveur des patries une nouvelle signification.
Avec sa franchise habituelle, il a répondu à nos questions,
même les plus embarrassantes.
- La consolidation du “Hezbollah, à laquelle ont fait allusion
des publications européennes spécialisées, sera-t-elle
tolérée par Israël? Provoquera-t-elle une guerre au
Liban-Sud?
“Depuis sa création en 1982, le parti n’est pas toléré
par Israël qui refuse toute résistance. Cependant, la consolidation
du parti, quantitativement et qualitativement, dépend, uniquement,
de la volonté de ses adhérents et des Libanais. Je ne crois
pas que cela constitue un motif de guerre, puisque la force du parti est
celle de la résistance, les expériences ayant prouvé
jusqu’à maintenant, que la tendance à la guerre est une question
dont les résultats ne sont pas garantis et est donc vouée
à l’échec. Abstraction faite de la force du “Hezbollah” et
de son développement, je crois que les Israéliens ont tiré
des leçons de leurs différentes guerres libanaises.”
- On constate que le renforcement de votre puissance sur le terrain
est apparu suite au dernier congrès du parti, à la formation
du “Conseil du Jihad” et à l’appui iranien. Vous apprêteriez-vous
à une longue guerre, même après le retrait israélien?
“Cette supposition est fausse, car notre force existe depuis des années
alors que le “conseil du Jihad” remonte à 1990-91. L’information
a peut-être manqué dans la mise en relief de notre capacité.
Puis, nous insistons sur le retrait israélien, sans pour autant
être concernés par les arrangements sécuritaires, d’autant
que les Israéliens ne révèlent pas toutes leurs intentions
quant à l’avenir.”
- Les opérations des ”Hezbollahis” se poursuivront-elles,
même si les Israéliens procèdent au retrait inconditionnel?
“Israël doit se retirer tout d’abord. On verra ensuite.”
- On dit que la guerre menée par Hezbollah contre Israël
n’est pas “technique”.
“La guerre de la résistance contre l’ennemi sioniste a différents
portées et aspects: militaire, sécuritaire, psychologique
politique et culturel. Nous usons de tous les moyens disponibles pour l’entreprendre.
Ceci est notre droit et devoir afin de pousser l’ennemi à se retirer.
D’importantes réalisations ont été enregistrées
au plan sécuritaire; durant les dernières années,
plusieurs réseaux ont été démantelés
en collaboration avec les organismes officiels de sécurité.
Des agents de l’ennemi ont été déférés
au tribunal militaire qui leur a infligé des châtiments à
la mesure de leurs forfaits.”
- Ne reste-t-il donc plus de réseaux?
“Les Israéliens tentent d’en former à travers l’Europe.
Mais grâce à la vigilance de la résistance, de ses
organismes de sécurité et à leur collaboration avec
les organismes officiels, nous parviendrons, si Dieu le veut, à
désorienter l’ennemi.”
- On dit que le “Hezbollah” est le fruit d’une entente syro-iranienne.
Cela est-il vrai? Au cas où cette équation serait ébranlée,
quelles en seraient les conséquences sur le parti?
“Hezbollah, en premier lieu, est la conséquence de l’invasion
israélienne au Liban en 1982. Sa création est due à
une décision intrinsèque dans une conjoncture interne favorable.
La République islamique d’Iran qui lutte contre le projet sioniste
dans la région, l’appuie. Il en est de même de la Syrie.
“Ainsi, l’entente syro-iranienne en faveur de notre parti, est due
au fait que la résistance donne la preuve de sa crédibilité.”
- Comment avez-vous pu maintenir l’unité du parti après
l’affaire de cheikh Toufayli? Y a-t-il encore quelque danger qui la menace?
“La base et les cadres supérieurs ont empêché la
division du parti. Je crois que la cohésion interne est forte, le
sang des martyrs et les sacrifices consentis ne permettant aucune division
dans nos rangs.”
- Vous semblez minimiser la force aérienne israélienne?
“La volonté de la lutte est notre arme. La résistance
islamique au Liban ne dispose pas de bases militaires, ni de casernes.
Nous portons les armes lorsque nous combattons l’ennemi dans les portions
occupées de notre territoire. Les Israéliens n’arrivent plus
à nous repérer.”
- Comment se comporte le soldat israélien au Liban-Sud?
“Contrairement à ce que disent les médias, les éléments
armés israéliens ne font pas preuve de courage autant que
nos combattants qui ne redoutent pas la mort. Cela constitue notre force
malgré le fait que l’ennemi possède un matériel militaire
sophistiqué.”
- Quelle est la solution?
“L’ennemi se trouve devant cette alternative: rester et subir des pertes
supplémentaires en vies humaines, ce qui nuit à l’institution
militaire; ou se retirer sans poser de conditions. Tôt ou tard, il
se retirera et sans attendre aucune garantie de l’Etat libanais en contrepartie.”
- Israël avait installé au Liban-Sud un dispositif de
radar sophistiqué, produit par la compagnie israélienne ELBIT.
Comment avez-vous pu le neutraliser?
“L’important, c’est que nous arrivons jusqu’à présent
à circuler sur la bande frontalière, à y semer des
mines ou à tendre des embuscades.”
- Les Américains ont doté “Tsahal” au Liban-Sud d’un
dispositif anti-obus, type “NAUTILUS”. Quelle en est l’efficacité
sur le terrain?
“Ce dispositif est encore à l’essai. Preuve en est que la résistance
a bombardé quelques colonies au Nord de la Palestine, sans encourir
aucune riposte.”
- Qu’en est-il des avions sans pilote qui survolent vos positions?
“Nous y sommes habitués.”
- Votre unité militaire qui a vaincu le général
Gerstein, chef de l’unité de liaison israélienne, est-elle
le résultat d’un entraînement ou une simple coïncidence?
“Ce n’est pas la première fois que nos combattants attaquent
des éléments de “Tsahal”. Gerstein est le premier général
à être tué au cours de nos opérations sur la
ligne frontalière où les Israéliens imposent un dispositif
serré de sécurité.”
- Netanyahu entreprendrait-il une opération militaire vaste
au Liban-Sud?
“Il n’y a pas de motif à ce genre d’opération. Les opérations
menées par la résistance islamique sur le territoire libanais
occupé visent des buts militaires. D’autre part, l’ennemi réalise
que toute opération militaire de sa part au Liban est désormais
vouée à l’échec. Les expériences passées
l’ont prouvé.”
Cheikh Nasrallah en compagnie
de notre confrère Joseph Melkane.
• PLUS DE 2000 PERSONNES DE TOUTES LES COMMUNAUTÉS
ONT
DÉJÀ PRÉSENTÉ
DES DEMANDES D’ADHÉSION À LA RÉSISTANCE
• NOTRE PARTI EST LE FRUIT
D’UNE DÉCISION INTRINSÈQUE
- Que pensez-vous des élections israéliennes?
“Le Liban et la résistance y constituent un facteur déterminant.
L’opération des “Grappes de la colère” n’a-t-elle pas provoqué
l’échec de Shimon Pérès et du parti du Travail?”
- Ce qui s’est passé à Arnoun, est-il la concrétisation
d’une troisième force ou le commencement d’une société
civile nouvelle? L’approuvez-vous? Peut-on libérer Jezzine de la
sorte?
“C’est une importante initiative dont nous sommes fiers et nous l’appuyons.
Cependant, ce genre de mouvement peut réussir la première
fois, le facteur surprise y jouant un grand rôle. Les étudiants
qui ont libéré Arnoun ont surpris les soldats israéliens
qui n’ont pas tiré sur eux, de peur de susciter l’indignation de
l’opinion internationale.”
- Cette expérience pourra-t-elle être généralisée?
“Ceci a besoin d’étude, puisque l’ennemi pourrait prendre à
l’avenir des mesures empêchant la réussite d’opérations
similaires.”
- Les milieux diplomatiques estiment que le conflit libano-israélien
ne s’achèvera qu’avec la constitution d’une troisième force
au Liban. Qu’en dites-vous?
“La résistance armée appuyée par le peuple et
l’Etat est capable de faire subir à l’ennemi des pertes en vies
humaines. Les forces de l’occupation doivent se retirer de notre territoire,
elles n’ont pas d’autre choix.”
- Les déclarations contradictoires des responsables israéliens
à propos de la situation au Liban-Sud et de la manière de
s’y comporter, révèlent des divergences au plan de la direction
politique à Tel-Aviv: les élections de mai en Israël
en sont-elles la cause?
“A vrai dire, l’Etat hébreu se trouve dans une impasse totale.
La question n’est plus celle de juifs occupant le nord de la Palestine,
mais elle concerne l’entité israélienne dans son ensemble.
Les revers de “Tsahal” dans notre région se répercutent,
négativement, au plan interne et la mort du général
Gerstein a produit un choc terrible au sein des institutions et de la société
israélienne. Les responsables de l’Etat ne savaient plus quoi dire
et comment expliquer cette catastrophe dont ils n’ont jamais connu de pareille.
Les élections anticipées ont contribué à accentuer
la perplexité, à tel point qu’un même dirigeant israélien
tenait des propos qu’il contredisait le lendemain. Il va sans dire que
la dimension du revers et les élections sont entrées en ligne,
accentuant davantage les surenchères.”
- Les Israéliens émettent des avis contraires en ce
qui a trait au retrait unilatéral du Liban-Sud et de la Békaa,
partant du fait que cela affecterait le moral de l’armée et aurait
des répercussions sur ses positions en Cisjordanie. Qu’en pensez-vous?
“Je crois que c’est la raison essentielle empêchant l’Etat hébreu
d’évacuer notre territoire. Etant entendu qu’il n’a pas d’autre
option que le retrait, lequel interviendra à plus ou moins brève
échéance. Puis, leur retrait inconditionnel signifierait
la reconnaissance de leur défaite face à la Résistance
libanaise. Cela prouve que la logique de notre mouvement est saine, à
savoir que la libération du territoire peut être obtenue par
la lutte armée et non par les négociations. Ceci encourage
le Palestinien à se soulever de nouveau et prouve la profondeur
de l’impasse israélienne, c’est en tout cas leur problème:
ils occupent des portions de nos terres et nous les combattrons jusqu’à
ce qu’ils s’en retirent.”
- Le “Hezbollah” a pris le devant de la lutte contre Israël
depuis des années, mais jusqu’ici, il n’a pu convaincre d’autres
franges de la population à intégrer la Résistance,
ses combattants étant dans leur majorité des chiites. Cela
ne signifie-t-il pas que les cellules libanaises n’ont pas atteint leur
objectif?
“Les cellules ne sont pas un parti politique pour organiser des meetings.
Elles ne forment pas des milices dont les effectifs défileraient
dans les rues, leurs combattants entreprenant leurs opérations dans
le plus grand secret.
“Puis, les demandes d’adhésion de toutes les communautés
nationales ont dépassé deux mille, ce qui constitue un chiffre
élevé qui m’a surpris, personnellement, d’autant que l’appel
pour attirer de nouvelles recrues n’a été lancé qu’il
y a un an alors que les “Hezbollahis” opèrent sur le terrain depuis
dix-sept ans.”
- En plus de la lutte armée que vous menez contre Israël,
vous devez poursuivre une lutte d’un autre genre contre les réseaux
d’espionnage dont vous avez démantelé dernièrement
quelques-uns...
“Le réseau récemment découvert, travaillait pour
le compte des services de renseignements européens, du moins en
apparence. Cependant, les investigations ont établi qu’ils opéraient
au profit d’Israël.
“En dépit de cela, nous avons réussi à déjouer
les plans de l’ennemi et bien des opérations, après celle
d’Ansarieh, ont été connues à l’avance, ce qui a provoqué
la défaite des agresseurs.”
• S’IL FAUT ACCORDER UNE NOTE AU GOUVERNEMENT
POUR
SES RÉALISATIONS, NOUS LUI DONNERONS
DIX SUR VINGT
• LA COOPÉRATION AVEC L’ARMÉE REMONTE À PLUSIEURS ANNÉES
- Le parti est parvenu à accéder au parlement, mais
n’a pas de représentant au sein du Cabinet et de l’Administration
étatique; quelle en est la cause?
“En ce qui concerne le gouvernement, nous n’avons demandé à
participer à aucune équipe ministérielle depuis 1992,
ni au Cabinet du président Hoss, bien que nous ayons proposé
le nom de l’actuel Premier ministre pour former le premier gouvernement
du nouveau régime.
“Cela prouve que nous ne revendiquons pas de postes officiels. Nous
ne participerons au pouvoir que lorsque notre présence sera jugée
utile aux questions pour lesquelles nous militons. Sinon pourquoi y participerons-nous?
Est-ce pour supporter la responsabilité des erreurs que nous ne
serions pas capables de rectifier? Jusqu’à présent, nous
n’avons pas la certitude de pouvoir accomplir quelque réalisation
susceptible de profiter au pays au plan national.”
- Trois mois après avoir accordé la confiance au “Cabinet
des 16”, quel jugement portez-vous sur la gestion gouvernementale?
“Des dossiers n’ont pas été achevés, notamment
celui relatif à la réforme administrative. Aussi, ne pouvons-nous
pas porter un jugement définitif, tant que le gouvernement assure
n’avoir pas mené la réforme jusqu’à son terme.
“Sur le plan économique, le gouvernement en est encore à
la phase de l’étude. Il faut admettre qu’il lui faut du temps pour
mettre au point son programme et élaborer un plan d’action répondant
aux impératifs de l’heure.
“Quoi qu’il en soit, si nous devions lui accorder une note, nous lui
donnerions dix sur vingt.”
- Pour la première fois depuis longtemps, une coopération
est instituée entre l’Armée et la Résistance. Comment
évaluez-vous ce phénomène?
“En fait, la coopération entre nous remonte à des années:
l’armée assume une responsabilité déterminée
dans le cadre de laquelle nous n’interférons pas et vice-versa.
Je tiens à dire que cette coopération se poursuit après
l’accession du général Emile Lahoud à la magistrature
suprême et la nomination du général Michel Sleiman
à la tête de la Grande Muette. Ceci traduit la responsabilité
que tout le monde doit assumer face à l’occupation.”
- Deux courants politiques s’affrontent en Iran; avec lequel le
“Hezbollah” pactise-t-il?
“Notre parti entretient des relations amicales profondes avec les dirigeants
et les responsables iraniens de tous les courants, car il se maintient
en dehors des axes, étant donné que ces derniers adoptent
une même attitude à l’égard du Liban, de la Syrie et
de la Palestine. Ils soutiennent les peuples de cette région et
font face au projet visant à instaurer l’hégémonie
sioniste.”
- La situation économique est difficile; comment poursuivrez-vous
la lutte dans ces conditions?
“Je ne voudrais pas minimiser le drame, ni l’amplifier non plus. Mais
je rappelle que la Résistance menait son combat au Sud, alors que
le pays était plongé dans une guerre civile. Il n’y avait,
alors, ni Etat, ni institutions, ni gouvernement.
“La situation est mauvaise, mais non dramatique et le Libanais est
capable de résister face aux épreuves. Toujours est-il qu’il
est demandé au gouvernement d’opter pour une politique saine, les
forces politiques et les classes populaires étant appelées
à coopérer avec le pouvoir, en vue d’appliquer cette politique.
Quoi qu’il en soit, nous pouvons dépasser l’épreuve et cela
n’est pas impossible.”