L’ÉLARGISSEMENT DE L’OTAN À L’EST:
UNE HUMILIATION POUR LA RUSSIE


Le ministre tchèque des Affaires étrangères
Jan Kavan signe le document. Au second plan, 
Madeleine Albright, secrétaire d’Etat,
Janos Mastonyi et Bronislaw Geremek, chefs 
de la diplomatie hongroise et polonaise.

Madeleine Albright félicite 
les nouveaux membres.
“Les peuples de ces trois pays savent ce que signifie de perdre leur liberté; désormais, ils vont nous aider à la défendre pour les nombreuses années à venir. Leur adhésion renforcera la sécurité de l’Amérique, rendra l’Otan plus fort et nous aidera à réaliser notre vision commune de l’Europe qui, pour la première fois, est unifiée, démocratique et pacifiée.”

Bill Clinton jubile. L’adhésion à l’Otan de la Pologne, de la Hongrie et de la République tchèque est son plus grand succès en politique étrangère qu’il compte savourer au sommet atlantique qui rassemblera à Washington, les 23-25 avril prochains, un impressionnant aréopage de chefs d’Etat et de gouvernement de dix-neuf pays conviés aux célébrations grandioses du cinquantenaire de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord.
En janvier 1994, le président américain annonçait, pour la première fois et sans fixer d’échéances, l’élargissement de l’Otan aux anciens membres du Pacte de Varsovie. Son initiative était reprise le 16 décembre de la même année par les ministres des Affaires étrangères réunis à Bruxelles. Elle faisait son chemin en dépit des remous qu’elle suscitait au niveau de la Russie qui ne trouvait plus de justification d’une défense européenne après la guerre froide, craignant de se voir entourée d’un mur d’hostilité de la part des anciens pays satellites de l’URSS. C’est un long travail de persuasion visant la levée des obstacles russes qui permettra, en vertu de “l’Acte fondateur” signé en mai 1997 à Paris, la création d’un Conseil permanent Russie-Otan.
L’Otan s’engage à ne pas déployer des armes nucléaires aux frontières de la Russie, elle-même en possession de 10.000 armes nucléaires. Douze candidats se pressent déjà à ses portes. Au sommet de Madrid en juillet 1997, elle n’en retient que trois: la Pologne, la Hongrie et la République tchèque, renvoyant à une seconde vague (qui sera soumise au prochain sommet de Washington, car la “porte de l’Otan reste ouverte”) la candidature de la Roumanie soutenue par la France et celle de la Slovénie avancée par l’Italie.


Des soldats tchèques saluent l’événement en portant des drapeaux des pays
membres de l’Otan lors d’une parade au nord de Prague.

Les trois pays élus ont préféré adhérer à l’Otan avant le sommet de Washington (qui les accueillera avec toute la solennité requise) pour être en mesure de participer aux décisions qui y seront prises. Et c’est lors d’une cérémonie simple et non moins déterminante qui s’est déroulée à Independence dans le Missouri à la bibliothèque Harry Truman où sont conservées les archives de l’ex-président et de son secrétaire d’Etat Dean Acheson lesquels avaient signé le traité le 4 avril 1949, que la Pologne, la Hongrie, la République tchèque ont remis à Madeleine Albright les instruments de ratification de leur adhésion. Ces anciens pays du pacte de Varsovie qui avaient combattu l’Otan intègrent désormais ses rangs, mettant fin à la division de l’Europe en deux blocs imposée par Staline à Yalta. Ils bénéficient, désormais, du parapluie nucléaire de l’Otan et s’engagent en vertu de l’article 5 du traité de Washington à participer à la défense collective de tout allié en cas d’agression. Ils devront en outre moderniser leur appareil militaire devenu obsolète en y payant le prix. La facture de leur ticket d’entrée sera lourde à raison de quelques milliards de dollars. Elle l’est également pour l’Alliance qui devra débourser 1,5 milliard de dollars en faveur de ses trois nouveaux membres.
Bientôt, l’Otan accueillera, officiellement, ses trois nouveaux membres à Bruxelles. L’heure est à l’euphorie. Et Madeleine Albright, elle-même tchèque et fille de diplomate, salue chaleureusement l’événement tout en soulignant sa portée: “Nous affrontons un futur où les armes seront de plus en plus destructrices. Nous devons nous assurer que les forces de l’Otan soient équipées et préparées pour le XXIème siècle pour prévenir les guerres et sauvegarder la liberté, assurer la paix en Europe et l’harmonie en ce monde”. Pour Javier Solana, secrétaire général de l’Otan, “l’Alliance non seulement s’est agrandie, mais elle est devenue plus forte.”
Tel n’est pas le sentiment de la Russie qui a présenté l’événement comme une “dangereuse erreur historique”, traçant une “ligne rouge” à ne pas dépasser avec une éventuelle adhésion de l’Ukraine et des pays baltes. Le général Leonid Ivachov responsable des relations internationales du ministère de la Défense a été même plus loin en constatant que “lorsque l’équilibre des forces est rompu sur notre continent, il y a toujours des conflits et des guerres”. Mikhaïl Gorbatchev a considéré l’élargissement comme une “humiliation” infligée à la Russie autant que le fut le traité de Versailles pour l’Allemagne au lendemain de la Première Guerre mondiale. Le temps se chargera de cicatriser les blessures et de banaliser peut-être un événement dans le cours de l’Histoire.

EVELYNE MASSOUD

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