tribune
LE “JEU” DE M. ARENS

En s’acoquinant avec M. Moshé Arens, devenu son ministre de la Défense, à la veille des élections, M. Netanyahu a pris un gros risque. M. Arens est un joueur, c’est-à-dire un amateur de risques précisément. Depuis quelque temps, il répète à qui veut l’entendre: “Nous allons changer les règles du jeu au Liban.”
Ce qui se passe au Liban-Sud serait donc un “jeu” aux yeux de M. Arens. Un jeu, à notre connaissance, c’est un moyen de distraction, c’est une façon de passer le temps; on dit mieux: tuer le temps. En l’occurrence, ce n’est pas le temps qu’on tue, mais des êtres humains. On tue des populations innocentes ou on les chasse de leurs villages, on détruit leurs maisons, on dévaste leurs vergers et leurs champs. Parfois, on les kidnappe pour les jeter en prison sans jugement; et qui d’ailleurs, aurait le droit de les juger? Ils sont ainsi poussés à  prendre les armes pour devenir résistants (ce que M. Arens nomme “terroristes”).
Ce jeu-là est un jeu criminel. Quand M. Arens annonce qu’il a l’intention d’en changer les règles, il est bien évident qu’il n’entend pas lui assigner comme objectif la paix et le bon voisinage, mais bien le rendre plus meurtrier, plus destructeur.
La dernière fois où M. Arens a exprimé cette volonté, il l’a fait publiquement en présence de son homologue américain, M. William Cohen.
Cet Américain-là représente le gouvernement qui s’intitule “parrain du processus de paix”. Mais M. Cohen n’est pas concerné par ce processus. Il est venu en tournée dans la région, comme il le fait périodiquement, vendre des armes et raffermir les gouvernements dans une politique de bombardements de l’Irak.

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Pour M. Arens, qui ne s’en cache pas, ce qui doit être modifié, c’est cette “entente d’avril” qui, sous l’égide de la France et des Etats-Unis, est censée mettre les populations civiles des deux côtés de la frontière à l’abri des opérations militaires qui opposent la résistance libanaise à l’armée d’occupation israélienne.
Les règles de cette entente ont plus ou moins bien fonctionné jusqu’ici. Moins bien pour les populations civiles libanaises que pour les habitants de la Galilée qui, eux, n’ont souffert d’aucun dommage depuis la conclusion de cette entente. Et pourtant, M. Arens n’est pas content: son armée d’occupation subit des pertes sévères et il voudrait lui donner plus de liberté de riposte. Autrement dit, il voudrait lui laisser les mains libres pour s’en prendre davantage qu’elle ne le fait déjà aux populations civiles et aux infrastructures du Liban.
L’objectif de M. Arens n’est pas la paix mais la guerre généralisée. Avec les armes et l’argent de l’Amérique (“parrain du processus de paix”).
Cette politique est annoncée au monde entier au moment où le “parrain” Clinton proclame, de son côté, qu’il a la volonté de ne pas terminer son mandat, dans moins de deux ans, sans réaliser la paix entre Israël et ses voisins.
Cette promesse n’est pas nouvelle. Elle date de 1991, de la conférence de Madrid. Le “processus de paix”, comme on l’a appelé, avait alors pris un bon départ avec, du côté israélien, Rabin et Shimon Pérès. Depuis l’assassinat de Rabin et l’échec électoral de Pérès, M. Netanyahu s’est employé à rendre cette paix impossible. Déjà, il avait changé les “règles du jeu”, pour employer les termes de M. Arens.
L’objectif avec Rabin et Pérès, était, en effet, la réconciliation, la paix, la normalisation des relations, le bon voisinage. Le prix à payer: la restitution des territoires conquis en 1967.
Avec Netanyahu, la priorité est devenue la sécurité du peuple juif. Le prix à payer? Rien ou presque. (Déjà, il y a quarante ans, Mme Golda Meïr s’étonnait: pourquoi devrions-nous payer le prix de la paix?... En revanche, le monde entier continue d’être harcelé pour indemniser Israël des crimes de Hitler). Ainsi, le “processus de paix” a été bloqué, plus exactement saboté.
Alors que plus personne ne menace la sécurité d’Israël, c’est l’armée israélienne qui continue d’occuper le plus pacifiste de ses voisins, le Liban et de menacer sa population.

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Le plus scandaleux dans ce “jeu”, puisqu’il faut l’appeler ainsi, c’est l’impuissance des Etats-Unis.
Aux “règles du jeu” qu’il veut changer au Liban, M. Arens vient d’annoncer qu’il faut ajouter un nouveau chan-gement: “La Syrie doit renoncer à la récupération du Golan.”
Qu’est-ce qui resterait de Madrid et de “l’entente d’avril”? Rien.
N’est-il pas clair que la diplomatie américaine a opéré, elle aussi, un revirement dans le sens imposé par Netanyahu, renforcé maintenant par Arens? La priorité à ses yeux est devenue la “sécurité d’Israël” et non plus “la paix contre les territoires”. En témoignent les accords de Wye Plantation conçus à l’avantage d’Israël et que M. Netanyahu éprouve pourtant le besoin de bloquer, parce que ses alliés électoraux jugent qu’il a tout de même trop cédé.
La dernière manifestation de ce ralliement aux thèses de Netanyahu, on la doit à M. William Cohen. Lors de sa récente escale à Jérusalem et au cours de sa conférence de presse en compagnie de M. Arens, il s’est contenté de commenter les propos de son homologue au sujet du “changement des règles du jeu”, en ces termes: il faut assurer la sécurité des populations israéliennes.
Et la sécurité des Libanais? Et l’occupation de leur territoire depuis vingt ans en dépit d’une résolution du Conseil de Sécurité votée par les Etats-Unis? Une occupation que plus rien ne justifie, si jamais elle le fut...
Qui oserait, à Washington, rappeler les véritables règles du jeu au tandem Netanyahu-Arens?

P.S.: Dans la “tribune” du dernier numéro de la revue, diverses erreurs mineures se sont glissées que le lecteur aura corrigées de lui-même. Mais il est peut-être utile de signaler que la dernière phrase de l’article doit être rectifiée ainsi: “A défaut d’un fleuve Alphée, M. Hoss, serait-il Hercule, ne dispose que de textes de loi qu’on n’a pas l’habitude d’appliquer et de magistrats peu exercés aux actes héroïques; il n’en a que plus de mérite à tenter l’aventure.”


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