|
LES “SYMBOLES... ASSIÉGÉS” | ||
Monsieur Walid Joumblatt a découvert, il y a quelques jours, que le silence est d’or. Pour combien de temps? On ne tardera pas à le savoir. En attendant, il nous a fourni, une semaine plus tôt, un bon sujet de réflexion. Il avait déclaré à peu près ceci (avant de recevoir une riposte sévère et anonyme de l’Agence nationale d’information) : “Les symboles nationaux sont assiégés.” Qu’est-ce donc qu’un symbole national et qui sont ces “symboles nationaux”? Nous avons appris, sur les bancs de l’école, que la feuille d’érable est le symbole du Canada; la nef le symbole de la ville de Paris, comme le cèdre est le symbole du Liban. Ce n’est évidemment pas à cet arbre millénaire et dit “sacré” que pensait Walid bey pas plus qu’au drapeau national qui porte cet arbre planté en son milieu. On dit, aussi, que le président de la République est le symbole du pays qu’il représente sur le plan international; c’est, bien entendu, un symbole en raison de sa fonction et non de sa personnalité ou de son patronyme. En dehors de cette iconographie, on ne voit pas vraiment quel ou qui peut être un symbole pour tout un pays. Dans le contexte où la déclaration de M. Joumblatt a été faite (il s’agissait du rapport de la Cour des comptes sur les fonds municipaux mettant en cause la gestion du précédent gouvernement), il semblerait que Walid bey pensait à M. Hariri et à quelques-uns de ses ministres, dont lui-même, seigneur de Moukhtara. C’est assez bizarre. Peut-on vraiment imaginer qu’aux yeux du socialiste Joumblatt, le capitaliste Hariri soit un “symbole national”, un symbole de la nation au même titre que le cèdre ou la feuille d’érable ou l’aigle à deux têtes ou le coq gaulois? Walid bey lui-même se considère-t-il comme un symbole de tout le Liban, du seul fait qu’il porte le nom d’une des plus anciennes familles féodales de ce pays? A ce compte, les “symboles nationaux” dans ce petit Liban seraient innombrables. Il faudrait, d’abord, définir la “nation”. S’agirait-il de ce que les voyageurs du XVIIIème siècle appelaient “la nation druze”, ou “la nation maronite”? Il y aurait, pour symboliser la première aujourd’hui, un Joumblatt aux côtés d’un émir Arslan, par exemple et, pour la seconde, un el-Khazen peut-être avec un descendant d’un Youssef Karam dont la statue équestre se dresse encore sur la place de l’église d’Ehden, alors que son corps embaumé est exposé dans la nef. Pour les sunnites, un Salam (plus ancien tout de même qu’un Hariri) ou un Solh. Pour les chiites, un Haïdar (s’il en existe encore) ou un el-Assaad avec un Osseyran... Cela ferait beaucoup de monde, beaucoup de symboles (de quoi? on ne le saurait plus...) Enfin, pour unifier toutes ces “nations”, on pourrait encore trouver un Chéhab, symbole des symboles. Un “symbole national”, si nous saisissons bien la pensée de Walid Bey, se doit d’être au-dessus des lois. Après quoi, on pourrait encore se vanter, sans rire, que le Liban est une république démocratique. *** Silence ou pas, il faudrait tout de même pouvoir s’entendre. Est-ce que les mots ont encore une signification? On a envie d’en douter quand on prend la mesure de tout ce qui se dit, de tout ce qui s’écrit à longueur d’année sans arrêt, sur tous les tons, dans tous les milieux. A l’évidence, pour les Libanais, le silence n’est pas d’or et ce n’est pas en se taisant qu’on s’enrichit. Mais on devine bien qu’à ce sujet, la réflexion de M. Joumblatt n’était pas innocente. En répondant aux journalistes: le silence est d’or, il insinuait clairement qu’il n’est plus permis de parler que dans une ligne “politiquement correcte”, selon l’expression à la mode. Tout cela n’a finalement aucune importance réelle. Car personne ne renoncera jamais à parler dans un pays où la parole, beaucoup plus que l’action, tient lieu de politique. Pour M. Joumblatt, qu’on entendra encore souvent, car il est une des vedettes de ce folklore, comme pour tout le monde, l’essence de la vie politique c’est le discours. Alors, on s’interroge de nouveau: est-ce que les mots ont un sens? Quand tout est symbole, qu’est-ce qu’un symbole? A l’écouter, tout Libanais serait à lui seul le symbole du Liban. A multiplier ainsi le symbole, on le dévalue. Mais nul ne s’en rend compte, tellement chacun est imbu de sa propre importance. Ce défaut (ou cette qualité?) national est, d’ailleurs, encouragé. Ainsi, l’autre jour, une chaîne de télévision prétendait recueillir la réaction populaire au projet de loi de finances. Comme si l’homme de la rue pouvait avoir lu et compris un texte aussi technique, le reporter de cette chaîne interrogeait sur le trottoir un pelé et deux tondus et croyait ainsi résumer la réaction du pays au projet sur lequel M. Georges Corm avait sué pendant trois mois. Ce n’était pas une plaisanterie. D’hommes qui ont des prétentions intellectuelles et ambitionnent de jouer un rôle de leadership national, comme Walid bey par exemple, on attend une certaine rigueur dans la pensée et dans son expression. Sans beaucoup d’illusion, reconnaissons-le. |