84ÈME COMMÉMORATION DU GÉNOCIDE ARMÉNIEN

CHÉRIR UNE MÉMOIRE ET CÉLÉBRER UNE RENAISSANCE

Avec le feu et l’épée vous avez ravagé la terre,
Avec espoir, nous l’avons changé en une levée de soleil.
Partout, vous avez semé la dévastation et la mort,
Nous avons donné naissance à la beauté et à la bonté.

                                                                        Siamanto



Comme un siècle se fane dans la nuit du temps pour renaître à l’aube d’un autre millénaire; comme le monde témoigne de multiples crimes arrachant aux nations leurs droits humains; comme d’innombrables victimes tombent dans le piège injuste des guerres affreuses; comme une Arménie indépendante lutte pour affirmer une présence digne parmi les pays du monde... et comme des projets neufs de coopération posent un défi optimiste pour une nouvelle génération d’Arméniens et des Turcs, nous, Arméniens et citoyens de cette noble terre ayant sauvegardé nos ancêtres dans ce beau pays des Cèdres, on ne peut que se rappeler l’amer souvenir de cette période sombre de notre Histoire, celle du génocide de 1915, perpétré par l’Empire Ottoman, le premier du siècle, mais malheureusement pas le dernier.
Quatre-vingt quatre longues années se sont écoulées depuis les massacres, mais le souvenir de 1,5 million d’Arméniens disparus hante encore des générations dans les quatre coins du monde.
Comme je témoigne de l’agonie silencieuse profondément exprimée dans les yeux d’un grand-père nonagénaire le 24 avril de chaque année, je ne peux que me souvenir de cette dure épreuve.
 

LE COMMENCEMENT
Tout a commencé dans la seconde moitié du XIXème siècle, quand les Arméniens vivant dans la région ouest de l’Arménie (sous contrôle turc), avec les Grecs et d’autres minorités ethniques établies en Turquie, étaient sous les constantes menaces de mort par le sultan Abdel-Hamid II - le “Sultan Rouge” - sous le prétexte que les minorités protestaient contre la tyrannie du régime hamidien (1876-1908). Ces actes de méfiance ont causé la mort de plusieurs personnes et l’emprisonnement de beaucoup d’autres.
Tous ces sentiments de mécontentement ressentis par la population de l’Empire, sujets minoritaires comme les Turcs eux-mêmes, ont provoqué l’émergence d’un mouvement parmi l’élite turque surnommé “Jeunes Turcs”. Le but de ce courant était de mettre fin à l’autocratie du sultan et de réformer, radicalement, l’Etat. Ce mouvement a abouti au grand soulèvement de 1908, qui a mis fin au despotisme et ouvert la porte d’une soi-disant nouvelle ère. Ce fut un temps d’euphorie pour tout le peuple de l’Empire, qui a signé un pacte pour édifier une nouvelle ère de tolérance.
Les chefs des “Jeunes Turcs” cherchaient à ressembler aux modèles occidentaux. La chose qui les a le plus impressionnés était l’homogénéité comparative ethnique des Européens en contraste avec le multi-culturalisme de l’Empire Ottoman. Pour remédier à ce “défaut”, les leaders de ce nouvel ordre ont élaboré un programme avec lequel tous les peuples du royaume seraient forcés à adopter une même culture, celle des dirigeants.
Ce programme produisit un grand choc sur les minorités du pays, qui ont eu peur pour leur héritage culturel. C’était aussi vrai pour les Arméniens, parmi lesquels beaucoup occupaient déjà de hauts postes et menaient une vie aisée.

UN REMÈDE MORTEL
Le déclenchement de la guerre de 1914 a donné au régime dirigé par le Triumvirat Enver, Talaat et Jamal, une occasion pour prescrire un remède mortel au problème: l’extermination totale des Arméniens; en un mot, le génocide.
L’application de ce projet a commencé en 1915. Pour l’exécuter, il était essentiel de désarmer la population arménienne de l’Empire. En ce temps-là, à peu près 300.000 Arméniens servaient dans l’armée et il fallait les désarmer; cette mission était accomplie au mois de mars 1915. Aussitôt après, les soldats ont été emmenés en groupes dans des camps où ils furent torturés et assassinés d’une cruelle façon.
Par la suite, sous le prétexte d’une conscription militaire, des troupes étaient envoyées dans les villages arméniens, où ils ont saisi tous les mâles âgés entre 16 et 70 ans, pour les envoyer dans les “camps de la mort”.
Comme si ce n’était pas suffisant, l’ordre était donné à tous les notables arméniens - intellectuels, médecins et avocats - de se présenter à la police. Après cela, ils ont été emprisonnés, torturés, démembrés, décapités et brûlés vifs. Des photographies prises par des journalistes étrangers, montrent l’image hideuse de têtes d’intellectuels mises sur des piquets en métal.
Les atrocités ne se sont pas arrêtées là. Les Arméniens encore en vie, des femmes, des enfants et des vieillards sans défense, n’avaient aucune idée de ce qui était arrivé à leurs hommes.
Leur déportation était, donc, facile et sous divers prétextes, les autorités militaires ont forcé ces malheureux à abandonner leurs maisons et les ont acheminés vers le sud. Il leur était dit qu’ils étaient dirigés vers des endroits “plus sûrs”. Ce qu’ils ne savaient pas, c’est qu’ils marchaient vers les déserts arides séparant la Syrie de l’Irak. La plupart des déportés ne sont jamais arrivés à leur destination, ayant subi les atrocités barbares des soldats qui les accompagnaient. Lorsque les convois des déportés se trouvaient dans des régions éloignées des villes, ils étaient massacrés par des méthodes cruelles inimaginables.
Le désert de Deir el-Zor était un exemple notoire, où de jeunes filles étaient violées, des nouveau-nés et des vieillards tués, les embryons des femmes enceintes arrachés du ventre de leurs mères. Des milliers d’autres ont péri de faim et de soif.
C’est de cette manière que l’Em-pire Ottoman a résolu son “pro-blème arménien”. De deux millions Arméniens habitant dans l’Empire avant 1915, deux-tiers ont été exécutés; le reste était exilé ou bien vivant dans la terreur. Un contraste horrible! Quelques responsables, seulement, de ce crime ont été punis ou condamnés à mort par les alliés après la guerre.
Des survivants du génocide ont émigré dans différents pays du Moyen-Orient: le Liban, la Syrie, l’Iran, l’Irak, l’Egypte et la Jordanie. D’autres ont trouvé refuge en France, en Italie, en Bulgarie et aux Etats-Unis. Les Arméniens étaient éparpillés partout dans le monde, mais la mémoire collective de leur passé historique et le souvenir de leurs souffrances de 1915 restent toujours vivants. Ainsi était formée la diaspora arménienne dont le Liban est le pilier, où la tradition arménienne est préservée avec beaucoup d’encoura-gement par le gouvernement libanais donnant, ainsi, l’exemple d’échange fructueuse de deux cultures cohabitant ensemble.

LA RENAISSANCE D’UNE NATION
Avec une endurance infinie, un courage, une volonté et une immense passion, pour la vie, les Arméniens ont survécu et relevé les défis avec sagesse et force, créant une “nouvelle Arménie”, partout où ils se sont établis. Ils ont su renaître avec une immense détermination et une foi pour un meilleur avenir.
Ainsi, les Arméniens ont démenti l’expression consignée dans un décret de 1915: “Un seul Arménien restera vivant pour être exposé dans une musée, comme un échantillon d’une ancienne civilisation”.
Cette année, en priant pour les âmes de nos ancêtres et les familles victimes d’un horrible destin, il y a 84 ans, nous chérissons leur mémoire, en espérant qu’un jour, d’une manière ou d’une autre, prendra fin le déni de cette page sombre de notre Histoire.


ESPOIRS DE RECONNAISSANCE ET DE RÉCONCILIATION

Depuis les événements terribles de 1915, les Arméniens ont espéré arriver à une reconnaissance complète et inconditionnelle du génocide.

Le processus et la lumière au fond du tunnel, semblent visibles maintenant. A part les échanges commerciaux et autres entre la Turquie et l’Arménie, il y a une prise de conscience chez beaucoup de Turcs pour l’épreuve subie par les Arméniens, sous le régime de Enver, Talaat et Jamal Pacha.
Dans le cadre d’une telle compréhension et à la demande de l’Association germano-turque, des responsables turcs et kurdes se sont réunis à Francfort le 26 septembre 1998, pour établir l’Association d’opposition au génocide.
Les membres accrédités de cette association ne sont pas des représentants des peuples ayant souffert du génocide, mais plutôt des pays directement ou indirectement responsables de ce crime. Le Centre de Recherche de la Diaspora arménienne (CRDA) à Paris, a signalé que la session d’ouverture de l’association mentionnée présidée par M. Ali Erdim, de nationalité turque, a mis le point sur le fait que la République turque actuelle n’étant pas directement impliquée dans les événements de 1915, le gouvernement d’Ankara continue à nier le génocide et refuse de s’excuser de la politique suivie dans cette affaire. Il a ajouté que la population turque, à son tour, est forcée “à porter la culpabilité de ses ancêtres en son âme. Nous, les représentants des Turcs et des Kurdes, voulons nous débarrasser de ce fardeau, pour que cette sale tache qui ternit notre nation et notre identité soit purifiée. Nous voulons que nos enfants héritent une identité propre, celle de l’honneur et de la distinction”.
Dans son discours, Erdim a parlé de projets visant à former des groupes acceptant d’assumer la responsabilité et dénonçant le génocide commis par des membres de leur nation, des gens ayant honte des évidences croissantes du génocide et sont prêts à remédier à la situation.
“Ces groupes seront formés, initialement, en Allemagne; puis, dans des pays européens et d’autres continents.
A un autre niveau, des intellectuels turcs et kurdes épris de justice: Rageb Zaragolu, Yelda, Taner Akcham et Kinsal Nizam, ont pris part en 1998 à une série de conférences organisées par le président-fondateur du CRDA, Jean-Claude Kébabjian et son chargé des affaires étrangères, Raffi Hermon-Arax, à Paris, Lyon et Francfort.
La plus remarquable des interventions a été faite par Yelda, qui a dit: “Pour qu’on puisse aider les Arméniens par les meilleurs moyens possibles, j’ai appris à lire, écrire et parler leur langue”.
Elle a partagé l’opinion exprimée par Zaragolu, à savoir que “ce n’est plus une affaire arménienne, mais turque”.
“En dissimulant et niant le génocide, mon pays a été contaminé  par une sorte de maladie. S’il continue à nier l’Histoire, il ne guérira jamais de cette maladie et de cette honte. Beau-coup de gens comme moi en ont assez de cette situation.”
Yelda a conclu en faisant la pro-messe “de pour-suivre la lutte “jusqu’à ce qu’une meilleure atmos-phère psycholo-gique soit assurée à son peuple.”
Peut-être la déclaration la plus frappante faite par un Turc reconnaissant le génocide et condamnant les démentis, était celle de Selcuk Tezgul, qui vit à Las Vegas. Il a fait une longue déclaration publiée dans “The Las Vegas Review Journal” où il a dit en substance: “Il faut dire la vérité quelles qu’en soient les conséquences.”
 

LARA KHATCHIKIAN

 
HISTORIQUE
Les Arméniens sont un peuple indo-européen, avec un passé de plus de quarante siècles, incluant même un empire sous le règne de Tigran II le Grand (95-55 A. J.-C.) qui a pris fin avec l’invasion romaine.

L’Arménie a été le premier pays à avoir accepté le christianisme comme religion d’Etat en 301 (A.D.) et est resté chrétien malgré plusieurs conquêtes et persécutions.
Divisée entre les empires romain et perse en 387, l’Arménie est redevenue indépen-dante sous la dynastie Bagratide, en 885. Vers 1064, elle était conquise par l’Empire byzantin et, par conséquent, la noblesse arménienne a perdu ses propriétés et s’est établie en Cilicie dans le sud-est de l’Asie Mineure. Là, un nouvel Etat fut établi par la dynastie Rubeneid, qui a survécu jusqu’en 1375.

Plus tard, l’Arménie a été conquise par les Ottomans. Comme la puissance de l’Empire ottoman s’est déclinée vers la fin du XVIIème siècle, il a cédé beaucoup de son territoire aux pays voisins, dont la Russie qui a annexé l’Arménie Orientale.
La tentative du sultan Abdel-Hamid II de régner autocratiquement, n’a pas arrêté la décadence de l’Empire et, en 1908, il a été forcé de céder l’autorité à une organisation réformiste, appelée “Les Jeunes Turcs”. Bien que le nouveau gouvernement a commencé avec des principes libéraux, il est graduellement devenu plus autoritaire, a embrassé l’idéal de l’uniformité ethnique et culturelle, laquelle a essayé d’imposer par la force aux peuples sujets de l’Empire.
La partie d’Arménie placée sous le règne de la Russie, a acquis le 28 mai 1918 son indépendance qui fut éphémère, le pays étant pris dans la lutte entre la Turquie et la Russie bolchévique. Sous la pression des deux armées, l’Arménie Orientale fut obligée de céder la plupart de ses territoires et même son indépendance, devenant une des républiques de l’Union soviétique.
Le 21 septembre 1991, comme l’Union soviétique se désintégrait rapidement, l’Arménie a organisé un référendum dans lequel 94 pour cent des électeurs ont voté pour l’indépendance. L’Arménie fut, alors, déclarée indépendante de l’URSS.
La première élection présidentielle a eu lieu le 16 octobre 1991.
Aujourd’hui, l’Arménie est membre à part entière des Nations Unies, ayant des ambassades et des consulats dans plusieurs pays du monde. 

L’ARMÉNIE ET L’ART DES KHATCHKARS

A travers les siècles, le peuple arménien a créé un grand nombre de valeurs culturelles: l’architecture, les miniatures et la musique médiévale.

Mais les Khatchkars est la manifestation la plus originale de sa culture et de ses habitudes religieuses. Partout, sur le territoire de la République d’Arménie et même dans les pays limitrophes, les Khatchkars s’élèvent en groupes ou seuls, directement sculptés dans le rocher ou taillés sur une pierre plate reposant sur un socle ou enfoncée dans le sol à l’entrée des églises, sur leurs façades, leurs murs et leurs toits ou, simplement, éparpillés dans la nature près des monastères et des lieux de culte.
 
 

A Geghart, Khatchkars creusés 
dans le rocher XIIIème - XIVème siècles.


A Yeghvard, Khatchkars 
des XIIIème - XIVème siècles.


 

Khatchkar de Me Monik 
(1308) à Etchmiadzin.


Medz Mazra (881), à Vardenis.

LES KHATCHKARS À TRAVERS LES SIÈCLES
Les Khatchkars, croix ornementées sculptées dans la pierre, constituent une très ancienne tradition arménienne. Se basant sur des habitudes païennes, cet art s’est développé et a atteint la perfection au Moyen Age. Deux mille ans avant Jésus-Christ, les menhirs jouaient un rôle important dans la religion (Menhir de la région Sisian). Ils cédèrent la place au “visap”, structure rocheuse massive (celui des montagnes de Gegham), mais c’est “l’Urartique”, monolithe avec des inscriptions remontant aux VIIIème - VIIème siècles avant J-C. qui fut considéré comme l’archétype des Khatchkars.
Avec la phase paléochrétienne, les Arméniens convertissent les sanctuaires à la nouvelle religion et la croix remplace déjà les symboles païens. La croix en bois gagna, en premier, l’Arménie aux IV-VIIème siècles; elle fut remplacée par la croix en pierre. C’est la période de l’émergence du concept du Khatchkar.
A la moitié du IXème siècle, profitant de la faiblesse du Califat arabe, de nouveaux royaumes se sont formés en Arménie: Les Bagradouni à Ani et les Ardzrouni, à Vaspourakan. Ceci a contribué à la progression de la culture nationale. L’Arménie connaît, alors, un essor important d’églises et de monastères (Sevan, Tatev, Horomos). Si la période allant du IXème au XIème siècles est la phase de la création et de la formation des Khatchkars, aux XIIème et XIIIèmes siècles, ils atteignent la perfection.
Le plus ancien est celui de la reine Katranide, épouse du roi Ashot Bagradouni, érigé en 879 à Garni.
Le développement des Khatchkars fut interrompu par les invasions des Seljuk et des Mongols du XIVème au XVIIIème siècles.

Khatchkar de Me Borghos 
(1291) à Goshavank.


A Etchmiadzin, Khatchkar sculpté en 1602
par Me Grégor apporté de Djoulfa.

 
SIGNIFICATION PRATIQUE DES KHATCHKARS
Du IVème au VIIème siècles, les gravures sur les façades des temples avaient pour but de propager la religion chrétienne. Alors qu’à la fin du IXème siècle, le Khatchkar représente le symbole de la crucifixion et de la rédemption. Néanmoins, le Khatchkar a eu d’autres significations:
- Pour mémoriser les victoires militaires, le Khatchkar élevé à Amberd (1202), mentionne la victoire des frères Zakarian sur les Seljuk.
- Pour immortaliser des événements historiques.
- Pour commémorer l’achèvement des églises, fontaines, ponts ou autres constructions.
- Restauration des églises.
- Donations surtout des Khatchkars creusés dans les murs des églises.
- Pierres tombales.
- Pour combattre le mal, modérer ou repousser les séismes et la sécheresse (ce sont les Khatchkars “Tsasman”).
- Pour les sacrifices des héros, des amoureux malheureux et pour d’autres occasions.
Les Khatchkars ont une importance historique, car de leur lithographie, on peut reconnaître l’artiste-maçon, la date, l’occasion et la personne pour laquelle il a été élevé.

LA SCULPTURE ET LES MAÎTRES-MAÇONS DES KHATCHKARS
La façade du Khatchkar est complètement gravée, parfois accompagnée, d’inscriptions. La croix est décorée tout autour par des formes géométriques qui n’ont ni fin ni début, ou par des formes botaniques surtout les grappes de raisin et les branches de pin. Parfois, une corniche orne la tête du Khatchkar où des portraits sont représentés: la Vierge, les Anges, les portraits des saints ou des donateurs. Un disque est représenté, souvent, symbole de l’éternité. La pierre paraît légère et immatérielle, brodée comme de la dentelle.
Aux XVIème et XVIIème siècles, quand l’Arménie fut divisée entre la Turquie et l’Iran, les derniers exemples de l’évolution de l’art des Khatchkars furent ceux de l’ancienne Djoulfa, ville commerçante en contact avec l’Occident et l’Orient, en particulier l’Iran.
L’influence de l’art perse se remarque nettement sur le groupe de milliers de Khatchkars de Djoulfa devenus des pierres tombales. On remarque non seulement un changement de la décoration qui devient plus simple mais, également, de la composition et du volume: le Khatchkar devient étroit; une sorte de colonne massive et élancée. La croix centrale est disposée sous des arcs en accolade propre à l’architecture orientale. Le maître de cette époque est Kiram Kazmogh. Les Khatchkars abondent dans les années 1551-1610, surtout dans les cimetières de Martouni, Kamo, Achtarak...
Leur architecture n’appartient pas à une période déterminée mais à des écoles artistiques. Malheureusement, peu de noms d’artistes sont parvenus, parfois le nom est inscrit sur la pierre. A partir du XIIème siècle, Mkhitar et son élève Avedis sont les plus connus (Khatchkars de Todevordi). La plupart de ces artistes étaient des architectes ayant construit et décoré des églises. Momik a travaillé de 1282 à 1321 dans la vallée de Vayots (région des Sunik), ainsi qu’à l’église d’Areni. Les Khatchkars de Goshavank sont faits par Boghos (1291) et ceux de Geghardavank par Timot et Mkhitar (1213). Il faut, aussi, mentionner Vahram, l’auteur de “Amenaprkitch” qui a donné une nouvelle forme et une décoration originale aux Khatchkars.
 

SAMUEL KARAPÉTIAN
Ainsi, les Khatchkars forment une partie inséparable de l’art de la sculpture arménienne et sont l’expression de la foi chrétienne. Ils ont un caractère national et représentent le patriotisme de ce peuple. C’est dans ce cadre que Samuel Karapétian, jeune archéologue originaire de Van, travaille sur les monuments historiques et les Khatchkars arméniens dans les régions occupées de Géorgie de Turquie et d’Azerbaïdjan. Il a édité plusieurs livres et revues (RAA: Research on Armenian Architecture) traitant de ce sujet. D’après ses études, plus de 50.000 Khatchkars sont, actuellement, connus dans les territoires de la République d’Arménie; mais, beaucoup d’autres ne sont pas encore étudiés tels que ceux de la région de Javakhch et Akhlchalack en République de Géorgie.
La présence de ces pierres - typiquement arméniennes - est une preuve que ces villages étaient arméniens. Ses deux prochains ouvrages exposeront “les monuments de la civilisation arménienne dans les régions occupées de l’Azerbaïdjan” édités en trois langues: l’arménien, le russe et l’anglais; un petit catalogue regroupera les quelque 5.000 photos de Khatchkars du Karabagh.
Samuel Karapétian souligne que les Arméniens obligés de fuir leurs villages sous la pression de leurs ennemis, ont emporté avec eux ce qui est le plus précieux: des valeurs spirituelles notamment. Comme témoignages à cela, les réfugiés de 1915, malgré la famine, ont essayé de sauver les manuscrits et des portes sculptées des couvents. De même, pendant l’immigration forcée de mai 1989, un habitant de Khatchagab (Ghouchtchi en Turc), Ytzhack Dikran Baghian avec l’aide de son fils Sergeï, a pu déplacer avec beaucoup de difficulté et de précaution le Khatchkar élevé sur la colline au Sud-Ouest du couvent Tarkmanchats. Il l’a emmené dans leur nouveau village Bakradachen (région de Noyempertan - République d’Arménie).
Sur le Khatchkar est inscrit: “La Sainte Croix in-tercède par l’Esprit de Der Hovannes - Amen 1608”.
L’âme de Der Hovannes espère retrouver son Khatchkar à la même place où il a été élevé il y a juste 381 années (1608-1989), en reprenant son apparence qu’il avait eue en 1980 quand Samuel l’avait vu et photographié pour la première fois.

Rania Nahed

Home
Home